L'expatriation renforce-t-elle le lien avec son pays d'origine ?

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Publié le 2024-05-15 à 10:00 par Natallia Slimani
L'expatriation ouvre grand les portes d'une nouvelle vie. Immersion dans une langue étrangère, rencontres enrichissantes, découverte d'un mode de fonctionnement inédit : tout concourt au renouveau culturel. Toutefois, face à ce tourbillon de nouveautés, certains expatriés ressentent le besoin de préserver des repères familiers, s'accrochant ainsi à ce qu'ils connaissent par cœur. Pour certains, l'expatriation peut être une expérience révélatrice qui permet de redécouvrir sa propre culture sous un nouveau jour.

Renouer avec son pays d'origine

Imaginez que vous arriviez en Chine. Vous vous réveillez au son de la cloche d'un temple à l'aube. En vous promenant dans le parc voisin, vous verrez des gens faire du tai-chi et jouer au mah-jong sur des tables en bois. L'après-midi, vous flânez dans les rues animées et les marchés colorés, puis vous rentrez chez vous avec l'odeur des boulettes de pâte qui cuisent à la vapeur. Pour certains d'entre nous, il s'agit d'une expérience qu'ils ont hâte de vivre. 

Pour Emilie, il s'agissait d'une journée de plus dans sa ville natale de Chengdu : « Lors de ma dernière année de lycée, j'étais impatiente de quitter la maison. J'ai été acceptée dans une université américaine et j'étais tellement excitée. Ma première année à l'étranger a été très intéressante », se souvient-elle. « Mais je suis rentrée chez moi pour le Nouvel An chinois, et après mon retour, j'ai commencé à me sentir un peu perdue. Je me suis rendu compte que des choses me manquaient chez moi, surtout des choses très élémentaires comme la nourriture et les festivals. La cuisine chinoise américaine est très différente de la cuisine chinoise à laquelle je suis habituée. Et les fêtes de fin d'année sont plus discrètes qu'en Chine. Je voulais vraiment faire partie de cette nouvelle culture, mais je ne m'y reconnaissais pas. J'ai fini par trouver une communauté d'étudiants chinois sur le campus et nous nous sommes retrouvés pour des dîners-partage et des fêtes ».

Alors pourquoi Emily n'a-t-elle commencé à apprécier les petites choses de son pays d'origine qu'une fois partie ? Ce phénomène est-il courant ?

Le foyer, une couverture invisible

Chez soi, le confort quotidien et les petites habitudes culturelles nous enveloppent comme une invisible couverture. On en ressent la chaleur, mais on ne les remarque pas forcément, on ne leur accorde pas toujours d'importance. Ce petit café où on a ses habitudes, ce bar où on aime se retrouver entre amis, cette fête de famille qu'on ne manquerait pour rien au monde… Ils structurent notre vie, ils en forment la trame de fond. Et pourtant, on oublie parfois à quel point ils nous sont chers.

Loin de son pays, la nostalgie peut s'installer. Soudain, ces petites choses qu'on prenait pour acquises se transforment en souvenirs précieux. On se surprend à regretter les plats qui paraissaient si ordinaires à la maison et on accorde plus d'importance aux fêtes qui rappellent notre pays. L'attraction pour ses racines peut devenir si forte qu'on cherche à retrouver ces bribes de son chez-soi d'origine dans son nouveau foyer.

Paul a quitté l'Allemagne pour s'installer à Shanghai en 2014 et son expérience est similaire à celle d'Emily : « Je n'étais pas vraiment patriote lorsque je vivais en Allemagne. Je n'aimais pas le climat, les prix semblaient trop élevés... Alors quand j'ai eu l'occasion de m'expatrier, je l'ai fait. Et c'est là que je suis tombé amoureux de l'Allemagne. C'est drôle, vraiment. Je n'ai pas l'intention d'y retourner de sitôt, mais j'ai maintenant plus d'amis allemands que je n'en avais en Allemagne. Je connais l'adresse et le propriétaire de tous les biergarten de Shanghai et je participe à des débats dans les bars pour défendre la politique allemande. Parfois, j'ai du mal à me reconnaître ! ».

La nouveauté est accablante

En arrivant dans un pays étranger, tout ce qui nous entoure est nouveau. L'excitation de la découverte est indéniable, mais la barrière de la langue, les saveurs inconnues et les codes sociaux si différents peuvent rapidement se transformer en un sentiment d'accablement. Cette immersion culturelle, si enrichissante en termes d'ouverture d'esprit et de découverte de nouvelles perspectives, peut paradoxalement nous amener à chérir davantage nos racines et à redécouvrir la valeur de notre propre culture.

En quête de repères familiers, vous vous tournerez naturellement vers les communautés de votre pays d'origine. Clubs d'expatriés, groupes sur les réseaux sociaux ou réunions locales, ces interactions permettent de tisser des liens solides avec vos compatriotes et de procurer un sentiment d'appartenance retrouvé. Ces fragments de votre pays natal, loin d'être de simples retrouvailles, nourrissent votre identité et vous rappellent la richesse de vos racines.

La recherche d'une identité

Parfois, s'expatrier revient à endosser une nouvelle identité. Cette sensation même a valu tout un épisode à la célèbre sitcom « How I Met Your Mother ». Intitulé « Double nationalité », l'épisode se concentre sur le dilemme d'un des personnages face au choix entre son ancienne citoyenneté canadienne et sa nouvelle citoyenneté américaine. Prise de frustration, elle s'exclame : « En arrivant aux États-Unis, je me suis juré de ne pas changer. Et pourtant, me voilà, dans l'endroit le plus canadien de l'univers - un Tim Hortons - à deux pas du Temple de la renommée du hockey, et je me sens étrangère. C'est comme si je n'avais plus de pays. »

Nombreux sont les expatriés qui comprendraient sa peine. S'expatrier et vivre dans un pays étranger pendant une longue période vous transforme en profondeur. Vous n'êtes plus tout à fait la même personne que vous étiez autrefois, mais vous n'êtes pas non plus toujours prêt à abandonner complètement votre ancienne identité. Cela vous place dans un entre-deux mental, tiraillé en permanence entre la personne que vous êtes devenue dans votre nouveau pays et celle que vous étiez chez vous.

Il est de plus en plus facile de garder ses racines

Nous vivons à une époque où il est plus facile que jamais de rester en contact malgré la distance. Voyager et s'installer à l'étranger il y a 50 ans était une expérience radicalement différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Désormais, on peut passer des appels vidéo avec ses amis et sa famille, peu importe où l'on se trouve. On échange photos et vidéos en temps réel et on peut stocker des téraoctets de contenus sur le cloud pour que nos proches les visionnent pendant un repas de fête.

Dans la plupart des pays, il est possible d'acheter des produits importés du monde entier. Cela signifie qu'on peut se rendre au magasin du coin et retrouver ce même chocolat qu'on adorait enfant, ou encore acheter les ingrédients nécessaires pour préparer le plat que concoctait notre grand-mère. De plus, on peut facilement entrer en contact et rencontrer des personnes originaires de son pays d'origine, peu importe où l'on vit. Il existe d'innombrables groupes et conversations en ligne dédiés aux expatriés, qui permettent de tisser des liens entre compatriotes.

Les précédentes générations d'expatriés ne disposaient d'aucun de ces luxes. Pour eux, il n'était même pas envisageable de maintenir un lien avec leur pays d'origine.

Tous les expatriés ne ressentent pas la même chose

Si de nombreux expatriés admettent avoir développé un lien plus profond avec leur pays d'origine après s'être installés à l'étranger, d'autres ont une expérience tout à fait opposée. 

Yulia a quitté le Bélarus pour s'installer à San Diego, puis à Hawaï. Pour elle, la maison reste un lieu aimé, mais quelque peu éloigné : « Je n'ai jamais cherché à me rapprocher de personnes et/ou de lieux liés à mon pays d'origine. En fait, si, pour une raison quelconque, je parle ma langue maternelle en public, je suis généralement plus encline à passer à l'anglais si j'entends quelqu'un d'autre la parler à proximité. Je n'ai jamais eu d'intérêt particulier pour les restaurants, les bars, les magasins de vêtements, etc. inspirés de la culture de mon pays d'origine. Cela étant, il m'arrive d'écouter de la musique, de regarder des films que j'ai regardés durant mon enfance et de cuisiner quelques-uns de mes plats préférés. Mon mari n'est pas un grand fan de ces plats et cela ne me dérange pas, car ça signifie que j'en aurai plus pour moi ».

Certains expatriés constatent également que leur intérêt pour leur nouvelle destination l'emporte sur le mal du pays et la nostalgie, ce qui leur permet d'apprécier les expériences qu'ils ont l'occasion de vivre.

Inga, une ancienne expatriée à Dalian, en Chine, explique : « J'ai passé cinq ans en Chine et je pense que j'étais assez réaliste quant aux avantages et aux inconvénients du nouveau pays pour moi, ainsi qu'aux avantages de mon pays d'origine. Il m'est arrivé d'être un peu plus désireuse de représenter ma culture et mes traditions ou de me plaindre de quelque chose en disant : Oh, chez moi, c'est tellement différent ! Oh, chez moi, c'est tellement mieux ! Mais dans l'ensemble, j'acceptais les nouvelles règles du jeu, j'essayais d'apprécier la nouvelle culture et les nouvelles expériences, tout en appréciant les choses que j'aimais dans mon pays d'origine. »

Que pouvons-nous donc retenir de cette expérience ?

La vie à l'étranger amène souvent les expatriés à apprécier davantage leur pays d'origine. C'est un mélange de nostalgie pour le confort quotidien perdu, de recherche d'une nouvelle identité et d'efforts pour retrouver ce qui est familier au milieu de ce qui est largement inconnu. C'est ainsi que certains trouvent le moyen d'embrasser pleinement leur nouveau monde, tout en gardant leur « chez-soi » dans leur cœur pour les jours de pluie. L'équilibre entre le nouveau et le familier semble être la réalité unique de la vie à l'étranger.