Émigration croissante du Canada : les expatriés repartent-ils en grand nombre ?

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Publié le 2023-11-22 à 10:00 par Asaël Häzaq
Le pays star des expatriés ne ferait-il plus rêver ? Alors que le Canada compte sur l'immigration pour assurer sa croissance, une récente étude soulève l'inquiétude. Les immigrants sont plus nombreux à quitter le pays. Analyse.

Davantage de départs d'immigrants

Que se passe-t-il au Canada ? La « terre historique d'immigration » voit de plus en plus d'immigrants quitter le territoire. C'est ce que révèle une étude menée par l'Institut pour la citoyenneté canadienne (Institute for Canadian Citizenship) et Conference Board du Canada. Publiée en octobre 2023, l'étude révèle une tendance forte depuis la fin des années 80, qui s'est accélérée ces dernières années.

D'après l'étude, chaque année, 0,9 % des immigrants titulaires d'un permis de résidence permanente en 1982 ou après cette date quitte le Canada. Le chiffre peut sembler infime, au regard du nombre d'arrivants, mais démontre une tendance qui se confirme avec le temps. Le risque d'une « reprise de la migration », et donc, d'un départ du Canada, est, selon les conclusions de l'étude, « particulièrement élevé » entre la 4e et la 7e année après l'arrivée au Canada.

Contrairement aux idées reçues, les immigrants ne prennent pas forcément un aller simple pour s'établir définitivement au Canada. S'ils arrivent nombreux, ils sont aussi plus nombreux à partir. De 18 % à la fin des années 80, ils étaient 21 % dans la première moitié des années 90 à quitter le pays. L'étude observe même deux pics de départs : entre 2016 et 2017, le nombre d'immigrants quittant le Canada augmente de 43 %, passant de 0,8 % en 2016 à 1,15 % en 2017. Nouveau pic en 2019, avec + 1,18 % de départs soit + 31 % de hausse comparativement à la moyenne historique de 0,9 % de départs.

Un phénomène qui dure

Le phénomène n'est donc pas nouveau, mais s'inscrit dans la durée. La tendance inquiète, surtout parce qu'elle touche particulièrement les résidents permanents, présents sur le territoire depuis 10 ans, 15 ans ou plus. L'étude montre qu'en moyenne, 14,6 % des étrangers quittent le Canada dans les 15 ans après l'obtention de leur permis de résidence permanente. Les départs sont moins nombreux chez les étrangers arrivés au milieu des années 80. En revanche, ils s'accélèrent chez ceux arrivés à la fin des années 90, et bondissent chez ceux arrivés dans les années 2000.

La hausse des départs est encore plus marquée chez les immigrants de long terme. Les données comptabilisant les départs cumulatifs après 25 ans passés au Canada montrent une progression quasi constante. Les départs sont passés d'environ 18 % chez les immigrants arrivés au début des années 80 à environ 21 % pour ceux ayant eu la résidence permanente au milieu des années 90.

Le phénomène est d'autant plus alarmant qu'en parallèle, l'exécutif n'a cessé de favoriser l'immigration. En octobre 2017, le gouvernement Trudeau de l'époque réforme sa loi immigration pour faciliter l'accès à la citoyenneté canadienne. Le Plan immigration Canada prévoit d'accueillir 310 000 nouveaux résidents permanents en 2018, 330 000 en 2019 et 340 000 en 2020. Le plan 2024-2026, présenté en début novembre, envisage d'accueillir 485 000 nouveaux résidents permanents en 2024, 500 000 en 2025 et 500 000 en 2026. Si les chiffres prévisionnels incluent les changements de statuts d'immigrants déjà prévus sur le territoire, ils sont à mettre en perspective avec les chiffres des départs.

Rêve ou mirage canadien ?

Pourquoi ces départs ? L'étude évoque une intégration sur le marché du travail plus difficile que prévu. Les pénuries chroniques de main-d'œuvre laissent espérer de grandes opportunités pour les expatriés. Mais une fois sur place, il n'est pas aussi simple de décrocher un emploi à la hauteur de ses diplômes et compétences. Des diplômes qui ne sont pas toujours reconnus, de même que les compétences. Les étrangers se retrouvent contraints d'accepter des postes en dessous de leurs compétences, pour des salaires moindres.

L'étude révèle également le poids du racisme. Le « rêve canadien » a tourné court pour de nombreux étudiants africains francophones, dont les dossiers étaient moins acceptés que ceux des autres. Les associations dénoncent ce problème depuis plus de dix ans et parlent d'une discrimination « systémique ». Mais il faudra attendre 2022 pour qu'Immigration Canada reconnaisse « du racisme au Canada ainsi qu'au sein de sa propre organisation. » Plus tôt, en octobre 2020, le journal canadien Le Devoir publiait une enquête sur le « racisme systémique dans les universités canadiennes. » D'autres raisons sont soulevées par l'étude de l'Institut pour la citoyenneté canadienne et Conference Board du Canada, comme le difficile accès à la propriété, le coût de la vie et les opportunités de carrière plus importantes dans d'autres pays.

Une crise du logement qui touche tout le monde

Et les citoyens canadiens ? Ils sont encore majoritaires à soutenir les mesures du gouvernement en faveur de l'immigration. Les provinces frappées par d'importantes pénuries de main-d'œuvre encouragent la venue des étrangers. Mais dans le même temps, le nombre de mesures de soutien a tendance à baisser, au profit du nombre de mécontents. C'est ce que révèle un sondage d'Environics Institute pour Focus Canada, publié le 28 octobre 2023. Selon le rapport, l'écart entre les Canadiens soutenant l'immigration actuelle et ceux disant que l'immigration est trop forte s'est considérablement réduit depuis 2022, passant de 42 % à 7 %.

Principale cause du mécontentement : la crise du logement. D'après la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), le Canada aurait besoin de 3,5 millions de logements supplémentaires d'ici 2030. Pour les défenseurs d'une immigration plus faible, les expatriés aggravent la crise du logement. Leur avis semble partagé par certains politiques : en août, Sean Fraser, ancien ministre de l'Immigration actuellement ministre du Logement avait envisagé de limiter les arrivées d'étudiants étrangers pour lutter contre la crise du logement.

Face au tollé, Marc Miller, ministre de l'Immigration, lui répond 3 semaines plus tard. Interrogé par la radio CBC, il s'inquiète de l'association « étudiants-crise du logement ». Une association dangereuse qui stigmatise « des personnes issues de la diversité qui viennent au Canada pour améliorer le pays ». Miller rappelle les étrangers contribuent à l'économie canadienne, notamment par les frais de scolarité, et que leur implication est « importante pour l'économie ».

Comment retenir les immigrants ?

Pour le gouvernement canadien, il y a urgence. L'immigration est essentielle pour sa croissance. De nombreux secteurs souffrent de graves pénuries. Mais les immigrés dénoncent un système « deux poids deux mesures » avec, d'un côté, des provinces en manque de main-d'œuvre, et de l'autre, une réalité qui les freine (discriminations, racisme, emplois sous-qualifiés, etc.).

Dans sa conclusion, l'étude de l'Institut pour la citoyenneté canadienne et Conference Board du Canada préconise de nouvelles mesures pour accueillir, et surtout retenir les immigrants. Les auteurs de l'étude proposent 3 grands axes : des services d'accueil et de soutien pour rendre la vie des étrangers au Canada « plus agréable », un investissement conséquent pour améliorer le recrutement des étrangers et pour retenir les travailleurs déjà sur place, et plus de moyens pour améliorer l'accès aux soins, et renforcer le système éducatif.

Le gouvernement dit avoir aussi entendu les inquiétudes des Canadiens, notamment concernant le logement ; inquiétudes d'ailleurs partagées avec les immigrants. En mars, le gouvernement fédéral a lancé un Fonds de 4 milliards de dollars canadiens visant à accélérer la construction de 100 000 logements.

Liens utiles :

Article « du racisme à Immigration Canada »

Article du journal Le Devoir