A présent que nous sommes devenus des expats à Madagascar pour certains, des souvenirs de jeunesse nous remontent à la mémoire comme de vieilles photos jaunies par le temps. Ainsi pendant les années cinquante, mes années cinquante, ce dont je me souviens de cette époque lointaine entre autre, c'est de la seule voiture du village, une traction avant qui appartenait à François Deimer, qui selon les dires avait été dans le maquis quelques années auparavant et donc était considéré comme un héro à nos yeux car on en parlait avec respect.
Nous pouvions courir dans l'herbe haute les jeudis quand on n'allait pas en classe chez le "Victo Champé" qui venait à pied tout les jours à l'école, vêtu de sa blouse grise et marchant d'un pas rapide et distingué. Il saluait tout le monde sur son passage et avait toujours le sourire aux lèvres. Il fumait des cigarettes de la marque "Celtique" en paquet bleu et jaune à l'époque.
Cet instituteur nous emmenait souvent dans la nature le samedi avec toute la classe car il n'y avait qu'une seule classe à l'époque qui allait des enfants de six à quatorze ans pour ceux qui ne quittaient pas l'école primaire pour aller dans le secondaire en ville. Souvent aussi nous allions au terrain de foot qui se trouvait au lieu dit le "Jungenwald" et en passant dans la forêt il nous apprenait par exemple à différencier le chêne du hêtre.
Parfois il y avait une 4CV qui montait la côte du "Vingatsberg" où il y aurait eu, selon les dires une plantation de vigne avant que le phylloxéra ne la détruise. C'était aussi un instituteur de Creutzwald qui venait rendre visite à sa famille avec sa 4CV. Il faut savoir qu'à cette époque il y avait des personnalités qui avaient grande importance comme Willy par exemple qui annonçait solennellement les règles à suivre suite aux décisions du conseil municipal après avoir sonné sa cloche qui était posée en dehors de son service sur l'armoire de la cuisine à côté de son képi. C'était le garde champêtre, qui avec le maire du village et l'instituteur formaient le trio des personnes les plus importantes du village mais naturellement il y avait également le personnage suprême qui était le curé Brunaguel qui rassemblait dans son église une bonne partie des fidèles du village le dimanche matin et servait de prétexte aux hommes pour aller après la messe qui se terminait vers les onze heures, se rincer le gosier chez la Alice au bistrot du village. Quant aux femmes cette messe du dimanche était le prétexte pour mettre leur plus beau chapeau ainsi que les vêtements à la mode... à la mode...
Un peu plus tard c'est un François Folschweiler qui montait la côte assis, la tête baissée, sur sa moto, une Peugeot grise qui fendait l'air à la vitesse d'un avion à réaction.
Le jeudi aussi le "droguiste" passait avec sa Juva quatre pour vendre les revues "Nous deux" ainsi que le "Journal de Mickey" dans lequel j'ai vraiment appris à lire. Bien entendu il vendait également la fameuse lessive 'Bonux" qui contenait dans sa boîte en carton un petit jouet dont raffolaient les enfants.
Le calme qui régnait dans le village était déchiré tous les jours par le klaxon des deux sœurs boulangères de Merten qui venaient livrer le pain.
Vers midi le facteur venait en vélo livrer le journal régional le "Républicain Lorrain" et souvent ma mère achetait un délicieux miel qu'il vendait dans des seaux de cinq kg car il était apiculteur aussi et c'est avec une cuillère à soupe que je dégustais avec volupté ce miel qui faisait des trous dans la mie de pain quand on voulait l'étaler car il était d'une consistance dure et non pas coulante ou pâteuse comme le miel actuel.
Tous les soirs en nous relayant ma soeur Marie Antoinette et moi nous devions aller au village chercher le lait encore fumant dans le bidon en aluminium. Parfois je rentrais à la maison et le bidon était à moitié vide car j'adorait boire ce lait encore chaud fraîchement tiré du pis de la vache.
Il y a tant de souvenirs de cette époque qui remontent dans ma mémoire mais si les livres ne commençaient pas par être démodés, je pourrai en écrire un ou deux mais avec tout ce que j'ai oublié de ce temps là je pourrai en écrire une bibliothèque entière.