Alors que les fils sur les comportements sexuels des vazahas, touristes ou expatriés, se multiplient, et où ceux-ci sont souvent dépeints comme de Vieux Cochons Lubriques, adeptes du viagra ( voir les commentaire récents de certain-es sur le sujet ) peu s'intéressent aux comportements des autochtones. Cet article de Médiapart visiblement de la plume d'un connaisseur a le mérite de faire le point.
Je partage en grande partie son analyse, notamment quand aux violences conjugales ( j'ai connu de nombreux cas concrets : amies, domestiques, etc... )
"La liste de ce qui ne va pas dans les relations femmes-hommes à Madagascar est sans fin. Vivre en patriarcat est de façon générale d'une grande pénibilité, mais vivre en patriarcat sauce évangélico-malgache demande un tout autre niveau de force et de résistance.
Pour commencer, savez-vous que chez nous, quand un homme parle de sa partenaire, il l'appelle ankiziko, « mon enfant » ? La réciproque n'existant pas - une femme n'appelle jamais son amoureux ainsi : qu'est-ce-que cette expression dit sur le niveau de patriarcat ambiant ?
[ Le fait que les seules autres personnes désignées par ce terme, "ankizy", sont les personnes employées de maison, hommes à tout faire et individus ayant un job non-qualifié mériterait un article sur le classisme et la persistance du mépris de classe à Madagascar, mais passons pour l'instant sur cette infantilisation généralisée des femmes et des plus précaires.]
Médiatisation des violences sexistes et sexuelles
La vague de médiatisation des violences sexistes et sexuelles à la fin de l'année 2020 à Madagascar a été accompagnée par une vague d'indignation des associations dites féministes qui ont été jusqu'à interpeller Mialy Rajoelina, épouse du président malgache, l'exhortant à prendre position et à agir pour toutes ces victimes. Début novembre 2020, elle a répondu à ces appels via une déclaration rappelant l'existence depuis un an du centre d'accueil de son association Fitia. Dans cette déclaration, elle insiste sur son inquiétude concernant le sort de ces « enfants mineurs, inconscients, innocents, handicapés » (« ankizy tsy ampy taona, ankizy tsy mahatsiaro-tena, tsy manan-tsiny, ary manana fasaimbanana »).
Cette précision sur les enfants « innocents » mérite qu'on s'y attarde : doit-on comprendre que s'agissant de femmes adultes victimes de violence, elles l'auraient quant à elle cherché ? Dans un pays où les mariages précoces et les grossesses de jeunes filles de moins de quinze ans sont légion, ce n'est pas un thème anodin. Dans le cas des grossesses précoces, ces mères-enfants vont souvent être accusées d'être maditra : vu leur comportement, leurs moeurs, rien d'étonnant finalement à ce qu'elles soient enceintes si jeunes.
Par ailleurs, pourquoi faire appel à la première dame, et non pas à son président de mari ? Le fait de cantonner cette cause aux oeuvres caritatives de la première dame pose question. Pourquoi elle ? Parce qu'étant une personne de sexe féminin, une mère, elle est la mieux placée pour représenter ce combat ? Si on considère qu'il s'agit d'une cause qui mérite bien plus d'attention, ne devrait-elle pas relever directement du président, ou a minima du gouvernement ? D'autant plus dans un pays où, il y a bientôt deux ans, le ministère de l'éducation nationale participait sans aucune gêne à la culture du viol en demandant aux jeunes filles à ne pas porter de jupes pour éviter de se faire violer…
Un réveil des consciences ?
Cette avalanche de faits divers pendant le dernier trimestre 2020 et les indignations horrifiées que cela a provoqué a pu interroger : Madagascar va-t-elle enfin vivre un réveil des consciences ? Ou est-ce que, comme en 2017, dans le sillage de Me Too, après quelques posts énérvés sur le harcèlement de rue ici ou là, et des débats enflammés en commentaires, le soufflet féministe malgache va retomber à nouveau ?
L'accompagnement et la prise en charge des victimes au niveau institutionnel est inexistant. Aujourd'hui, de plus en plus d'associations oeuvrent dans l'appui aux victimes des violences sexistes et sexuelles, des groupes de soutien se créent, à l'instar de Suvivantes, groupe de parole et de soutien aux victimes de viol et d'agressions sexuelles qui réunit des écoutant.e.s, encourage la libération de la parole et permet à des dizaines d'anonymes de témoigner.
A Madagascar, comme ailleurs, dénoncer un viol reste tabou. Quand le violeur est un membre de la famille, un ami, ou une personnalité publique respectée, en parler relève de la pure science-fiction. A Madagascar, ce sont encore et toujours les victimes qui sont stigmatisées. Dans l'imaginaire collectif, les victimes sont responsables de ce qui leur arrive, elles le méritent, les personnes « bien » ne se retrouvent pas dans ce type de situation ; les violeurs ne font même partie de l'équation.
Le 4 novembre 2020, le ministère de la Justice a mis en place une « chaîne pénale anti-violences basées sur le genre » et dit avoir « adopté une politique pénale ferme afin de changer la perception de l'opinion publique quant à l'impunité des auteurs, coauteurs et complices de ces actes odieux ». Entre autres mesures adoptées, le placement en détention préventive systématique de l'accusé et le refus de toute demande de liberté provisoire, la volonté de mettre fin aux arrangements à l'amiable en recommandant aux magistrats de « donner suite aux plaintes et dénonciations dès lors qu'il existe des motifs raisonnables laissant croire que l'acte a été commis et ce, même si la victime a retiré sa plainte ».
La culture du viol est enracinée dans la société malgache moderne
Tant que l'on fait mine de s'attaquer au problème avec une approche superficielle, nous n'irons nulle part. Des indignations sur Facebook et de nouvelles lois ne suffiront malheureusement pas à lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants.
Malgré l'impression que les violences sexuelles ont été dernièrement mises sur le devant de la scène, en réalité il s'agit essentiellement de pédocriminalité et de faits de violences physiques. Mais, le silence est toujours de mise sur de nombreux sujets. Par exemple, quid du viol conjugal ? Le mutisme autour de cette notion est assourdissant, et inversement proportionnel à son existence probable dans la grande majorité des foyers malgaches.
La société malgache moderne a clairement un problème dans son rapport au sexe et fait face à un cocktail donnant une culture du viol locale fortement dosée : c'est un société qui se croit tellement puritaine que le sexe est principalement vu comme un acte de procréation ; la consommation de pornographie atteint des sommets vertigineux, alors que l'éducation sexuelle est complètement inexistante ; et si on prend le seul cas d'Antananarivo et de sa banlieue, les chambres dans les hôtels de passe sont quotidiennement occupées en continu - avec un jour de répit, le dimanche.
Mis à part le rapport problématique au sexe, l'importance donnée au respect des traditions ne joue pas en faveur des victimes. Si c'est le patriarcat que l'on identifie comme coupable, alors il faut le déraciner. Arrêtons de nous cacher derrière des traditions pseudo-ancestrales. Arrêtons de protéger les ray aman-dreny. Arrêtons avec ce droit d'aînesse qui autorise le patriarche, ou n'importe quelle figure paternelle, à se comporter sauvagement et sans avoir à se soucier d'un semblant de conséquences.
Pour quelles raisons continue-t-on de respecter un homme, qui s'est manifestement mal comporté, qui a commis un crime ? Notre notion de respect est à revoir : a priori, tout être vivant est digne de respect, par essence, quelque soit son espèce, son sexe, son âge, son emploi ou son niveau de richesse. Par contre, une personne ne devrait pas être considérée respectable simplement en raison de son âge ou de ce qu'il a entre les jambes, au détriment des actes incestueux ou abusifs qu'il a pu notoirement commettre.
Sous couvert du respect des coutumes, du sacrosaint fihavanana, les familles et la société en général, préfèrent fermer les yeux sur ces violences, ces injustices et ces souffrances. Non seulement la valeur famille passe avant celles de justice, d'équité, d'honnêteté ou de respect, mais cette valeur famille est un véritable passe-droit pour tout accepter et tout taire. Au mieux, les parents complices s'arrangent « à l'amiable », afin de ne déshonorer aucune famille, car le voninahitra est bien plus important que les traumatismes que ce mutisme cause.
Quand aurons-nous le courage de réaliser que sans une véritable introspection, sans identifier ce qui ne va pas dans nos couples, dans nos familles et dans nos communautés, ces épisodes malheureux persisteront ? Les victimes continueront à être stigmatisées, la honte du qu'en-dira-t-on perdurera, et les violeurs perpétueront leurs méfaits sans être aucunement inquiétés"