Le Canada devient-il moins accueillant envers les expatriés ?

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Écrit par Asaël Häzaq le 18 juin, 2024
Le Canada a évité de justesse la récession technique. Le pays tire une partie de sa croissance économique et démographique de l'immigration. Mais l'essoufflement de l'économie, marqué par la crise du logement, provoque les interrogations d'une partie de la population. Analyse.

« Sentiment anti-immigrants » : l'étude qui soulève le débat

Que se passe-t-il au Canada ? Mercredi 12 juin, l'institut The Research Co. publie une étude qui embrase les médias canadiens. 44 % des Canadiens sondés (le sondage, mené du 1er au 3 juin, a recueilli les opinions de 1001 adultes) estiment que l'immigration a un effet négatif sur le pays. C'est 6 points de plus qu'en octobre 2023, date de la dernière étude de l'institut sur le sujet. 46 % appellent le gouvernement à baisser le nombre d'immigrants. Ces appels sont plus nombreux chez les sondés habitants de l'Ontario et du Canada Atlantique (53 % pour les deux régions). 

Faut-il y voir un basculement de l'opinion publique concernant l'immigration ? Les expatriés devraient-ils redouter d'autres mesures gouvernementales visant à baisser le nombre d'immigrants ? Le Canada a créé la surprise en dévoilant son nouveau plan d'immigration, plus restrictif. Le ministre de l'Immigration Marc Miller justifie le tour de vis, tout en se gardant de rendre les expatriés responsables de tous les maux du Canada, à commencer par la crise du logement. À l'origine de la crise, on trouve plutôt une pénurie de main-d'œuvre dans le secteur de la construction. Les départs en retraite ne sont pas remplacés et les travailleurs manquent. Les chantiers s'allongent. La crise alimente la crise. Le Canada pourrait manquer de 500 000 travailleurs dans la construction d'ici 2030.

Des chiffres à nuancer 

Employer le terme « anti-immigrants » est un mot trop fort pour de nombreux observateurs, qui rappellent l'histoire du Canada, terre d'immigration. Le sondage The Research Co. note d'ailleurs que 42 % des Canadiens voient l'immigration comme bénéfique pour le pays. Un chiffre en baisse de 2 points, mais qui reste élevé. 14 % ne se prononcent pas ; le chiffre est en baisse de 3 points. 

Les jeunes Canadiens (18-34 ans) sont les plus fervents défenseurs de l'immigration (55 %), devant les 35-54 ans (32 %) et les 55 ans et plus (37 %). Si les sondés de l'Ontario et du Canada Atlantique appellent à une baisse du nombre d'immigrants, ceux des autres provinces, comme le Québec et la Colombie-Britannique, sont moins nombreux à le penser. Une majorité des Canadiens interrogés (66 %) considère en effet que les immigrants contribuent à la prospérité du pays. 

L'immigration au secours de la démographie et de l'économie canadiennes

Les analystes économiques ont coutume de dire qu'une crise économique soulève toujours un vent d'opposition contre les populations les plus facilement atteignables. Les étrangers sont traditionnellement une cible toute choisie. Mais les résultats du sondage sont à nuancer avec la réalité vécue dans les différentes provinces canadiennes.

La Nouvelle-Écosse, province du Canada Atlantique, cherche toujours des ouvriers étrangers qualifiés. La province n'attire pas autant d'expatriés que l'Ontario ou le Québec (et encore, uniquement leurs grandes villes). Les services de l'immigration de la Nouvelle-Écosse déroulent le tapis rouge aux candidats à l'expatriation : études, travail, financement des études, etc. Tout est fait pour attirer et surtout retenir les travailleurs étrangers. La province devrait avoir besoin d'au moins 10 000 ouvriers étrangers spécialisés d'ici 2030.

Attirer les expatriés vers les provinces moins en vue 

Même défi pour la Saskatchewan. D'après Statistiques Canada, la province tire principalement sa croissance de l'immigration. Or, elle peine à retenir les talents étrangers. 42,1 % des étrangers arrivés sur le territoire en 2016 ont quitté la province dans les 5 années suivantes. Les immigrants préfèrent vivre en Ontario, en Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec. Ils préfèrent surtout résider dans leurs grandes villes : Montréal, Toronto, et Vancouver. Les autres provinces qui subissent de plein fouet la crise démographique appellent depuis plusieurs années à une réorientation de la politique canadienne, pour capter davantage d'étrangers. 

Message entendu par le pouvoir fédéral : les Programmes des candidats des provinces (PCP) sont justement conçus pour rendre plus visibles les différentes provinces canadiennes. Le gouvernement fédéral souhaite réorienter davantage d'expatriés vers les provinces et villes les moins en vue, malgré leur potentiel économique (entreprises qui recrutent, universités…). En 2023, la démographie de la Saskatchewan fait un bond à +93,5 %, grâce à l'immigration internationale. La province entend désormais créer de nouveaux programmes pour retenir les expatriés. À l'instar de l'Ontario, qui a légiféré pour interdire « l'expérience canadienne », principe qui contraignait les recherches d'emplois des expatriés, la Saskatchewan souhaite faciliter l'embauche des expatriés dans leur domaine de compétence.

Quel visage pour le Canada de demain ?

Mosaïque ou melting-pot ? Les sondés de l'étude de The Research Co., sont partagés. 44 % votent pour la mosaïque, reflet le plus honnête et fidèle, selon eux, du visage du Canada. Ils estiment que les différences culturelles sont une richesse inscrite dans l'histoire même du pays. Mais 42 % votent au contraire pour le melting-pot, « creuset social » où les immigrants devraient se fondre dans la culture canadienne. 65 % des votants estiment d'ailleurs que les immigrants ne devraient être autorisés à séjourner au Canada que s'ils acceptent les valeurs du pays.

Quelles sont les valeurs du Canada ? La terre d'immigration rappelle justement qu'elle s'est nourrie et enrichie des arrivées successives d'immigrants. D'autres chercheurs lient le débat actuel sur l'immigration à la difficulté d'une partie des Canadiens, à connaître et comprendre l'histoire du pays. Ils rappellent que les premiers habitants du Canada sont les Autochtones. Ils sont 1,8 million en 2021, et reprennent de plus en plus leurs droits, notamment concernant la question du logement. Le grand projet immobilier Senakw, à Vancouver, illustre bien ce changement. Un changement qui n'est pas toujours compris par certains Canadiens, pour qui la réconciliation avec les Premières Nations devrait se faire sous une lecture historique qui ne prendrait pas en compte le droit des Autochtones. Au contraire, les Autochtones entendent prendre une place plus importante dans le renouvellement urbain des provinces canadiennes. 

De leur côté, les candidats à l'expatriation continuent de croire au « rêve canadien ». Bien qu'étant plus restrictive, la vision de l'immigration portée par le Canada reste perçue comme « positive », en comparaison avec celle d'autres pays. Le gouvernement entend toujours renforcer le soutien et l'accompagnement aux nouveaux arrivants, pour faciliter leur installation. L'État semble plutôt concevoir une mosaïque où chaque culture serait représentée.

A propos de Asaël Häzaq

Titulaire d'un Master II en Droit - Sciences politiques ainsi que du diplôme de réussite au Japanese Language Proficiency Test (JLPT) N2, j'ai été chargée de communication. J'ai plus de 10 ans d'expérience en tant que rédactrice web.