Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours
Je suis une Française installée en Allemagne, dans la région de Francfort-sur-le-Main, depuis presque 40 ans. Je m'y suis installée après avoir obtenu un DESS de traductrice à l'École supérieure d'interprètes et de traducteurs (ESIT) de la Sorbonne Nouvelle, à Paris. À l'époque, je pensais que ce ne serait qu'une première étape professionnelle avant de partir ailleurs, mais finalement, j'y ai fait ma vie.
J'ai travaillé pendant quelques années dans le commerce franco-allemand avant de me mettre à mon compte en tant que traductrice indépendante assermentée auprès des tribunaux, une activité que j'exerce encore aujourd'hui. Je suis également chargée de cours de français dans une école professionnelle spécialisée en hôtellerie et restauration.
Comment et pourquoi vous êtes-vous impliquée dans l'association FLAM Monde ?
C'est un long parcours de plus de vingt ans ! Comme beaucoup de parents français vivant à l'étranger dans une famille binationale, dont les enfants fréquentent les établissements scolaires du pays d'accueil, je me suis vite aperçue que, malgré mes efforts pour maintenir le français au quotidien à la maison, les enfants étaient tellement exposés à l'allemand que c'est devenu leur langue de communication favorite et principale, au détriment du français. Ils comprenaient parfaitement le français, mais en négligeaient la pratique. En cherchant des solutions de soutien, j'ai découvert et adopté l'activité FLAM de Francfort (l'Animation enfantine). Mes enfants sont aujourd'hui adultes, mais moi, je suis encore impliquée. J'ai, en effet, pris la responsabilité de cette association en 2007 !
Jusqu'en 2020, les différentes associations FLAM à travers le monde se connaissaient et échangeaient peu. En 2020, en pleine pandémie de COVID-19, une responsable d'une association FLAM aux États-Unis a pris l'initiative de contacter quelques responsables à travers le monde, dont moi. Nous avons commencé à échanger via Zoom et avons peu à peu élargi le cercle pour discuter avec de nombreuses associations dans le monde, ainsi qu'avec des représentants politiques des Français de l'étranger. De fil en aiguille, l'idée de créer une association pour fédérer les associations FLAM au niveau mondial, les aider, les soutenir, mieux les faire connaître et défendre leurs intérêts est née. La fédération FLAM Monde a officiellement vu le jour fin octobre 2021, et j'ai fait partie du premier Conseil d'administration et du premier Bureau. Au cours de l'année 2022, le secrétaire d'État chargé des Français de l'étranger, rattaché au MEAE, a décidé de soutenir la Fédération avec une subvention de démarrage qui nous a permis de devenir véritablement opérationnels fin 2022/début 2023. J'ai repris la présidence fin janvier 2023. Nous sommes un conseil d'administration bénévole de six personnes, et nous faisons appel, grâce à la subvention, à des prestataires de services pour des missions de communication, pédagogie, développement et accompagnement des FLAM, ainsi que pour la gestion et l'administration financière.
Vous avez vous-même des enfants bi-culturels, quels ont été les plus gros défis de l'apprentissage du français alors que vous vivez en Allemagne ?
Comme je vous le disais plus tôt, l'allemand, langue à laquelle mes enfants étaient le plus exposés, est vite devenue leur langue privilégiée.
Il y a un mythe à déconstruire : celui de l'enfant "éponge" qui absorbe avec aisance les langues qui lui sont parlées au quotidien, faisant du bilinguisme un apprentissage facile et naturel pour les enfants grandissant dans une famille binationale. En théorie, cela peut sembler facile. L'enfant comprend très rapidement les deux langues, mais cela ne signifie pas qu'il les parlera au même niveau. En effet, on constate que, plus l'enfant avance dans sa socialisation, plus il utilisera la langue à laquelle il est le plus exposé, améliorant ainsi rapidement ses compétences de communication dans cette langue, au détriment de l'autre. Avec un effet boule de neige !
On observe d'ailleurs des différences flagrantes entre les familles. Les enfants d'une famille ayant adopté le français comme langue familiale, parce que le parent local maîtrise suffisamment le français pour cela, sont généralement plus à l'aise que les enfants vivant dans une famille où la langue du pays est aussi la langue de communication familiale. C'est vraiment une question d'exposition à la langue, d'identification, et bien sûr, de pratique.
Dans la pratique, comment le parent peut-il aider son enfant ?
Le premier conseil que je donne aux parents, souvent déconcertés voire désespérés, qui me contactent, c'est la PATIENCE ! Il y a tout un travail à faire, qui consiste à comprendre la situation de l'enfant et à s'y adapter, sans pour autant fixer comme objectif d'avoir des enfants parfaitement à l'aise en français. Une bonne communication est, sur le long terme, l'élément essentiel d'une relation parents-enfants réussie, et il faut accepter qu'à certains moments, la "langue de communication" soit plus favorable à la langue du pays qu'à notre propre langue maternelle. Il est important de saisir les moments opportuns pour réintroduire le français.
En ce sens, les activités FLAM offrent non seulement aux enfants la possibilité de pratiquer le français en dehors du cercle familial et d'améliorer leurs connaissances et compétences, mais elles constituent également un formidable soutien pour les familles. Un peu comme un partenariat dans l'éducation bilingue des enfants.
C'est d'ailleurs en Allemagne qu'a débuté FLAM, comment est née FLAM et quelles ont été les premières étapes de sa création ?
La première initiative de ce genre dont nous avons une trace remonte effectivement à 1984 à Francfort-sur-le-Main, où des parents français, constatant que leurs enfants ne leur parlaient presque plus qu'en allemand, ont eu l'idée de créer des activités hebdomadaires exclusivement en langue française. C'est ainsi qu'est née l'Animation enfantine, qui existe depuis 40 ans sans interruption et qui a fait des émules, d'abord en Allemagne, puis dans d'autres pays d'Europe.
Reconnaissant les efforts et le succès de ces initiatives, une sénatrice représentant les Français de l'étranger, Monique Cerisier-Ben Guiga, a eu à la fin des années 90 l'idée d'un soutien institutionnel pour ces associations. Elle a réussi à convaincre le Ministère des Affaires étrangères de l'époque, et c'est ainsi qu'est né le dispositif de subventionnement ainsi que l'acronyme FLAM (Français LAngue Maternelle). À partir de 2001, les associations qui proposent des activités à des enfants français ou francophones à l'étranger, qui ne sont pas scolarisés en langue française, peuvent demander une subvention de démarrage (pendant 5 ans maximum, avec une dégressivité annuelle), une subvention de projet pour le co-financement de projets exceptionnels, ou encore une subvention de regroupement pour réunir plusieurs associations FLAM d'une même région.
Pouvez-vous nous parler des projets actuels de FLAM Monde ?
Comme je l'ai précisé plus haut, contrairement au dispositif FLAM, la Fédération FLAM Monde est très récente, puisqu'elle est née fin 2021, sans moyens financiers, autour de quelques bénévoles. Elle n'est donc réellement opérationnelle (avec des chargées de mission rémunérées) que depuis décembre 2022 ! Il a fallu tout construire, et l'année 2023 fut une véritable "année chantier" où nous avons dû tout lancer en même temps : le site Internet, la communication, notamment sur les réseaux sociaux, les partenariats, des offres pédagogiques pour les associations, le développement et l'accompagnement des associations du monde entier, etc. Un travail colossal !
2024 est la première année de consolidation, marquée par un projet d'envergure qui aboutira mi-octobre à une rencontre mondiale des associations FLAM à Paris, dans la foulée du Sommet de la Francophonie. Nous attendons plus d'une centaine de responsables associatifs.
Comment concrètement FLAM Monde contribue-t-elle à la promotion du français langue maternelle à l'étranger ?
Ce sont d'abord toutes les associations FLAM Monde, réparties aux quatre coins du monde, qui contribuent à la promotion du Français Langue Maternelle grâce à leurs activités d'enseignement et de pratique de la langue. Ces activités intègrent également de nombreuses dimensions culturelles, permettant ainsi aux enfants de mieux s'identifier à leur deuxième culture. Il est également important de souligner que, bien que le dispositif de subventionnement FLAM soit français, les associations FLAM accueillent des enfants de tous les pays francophones, et que les enseignants ou intervenants sont souvent originaires d'autres pays que la France, tout en ayant le français comme langue maternelle. Cette diversité est l'une des grandes richesses des associations FLAM.
FLAM Monde, en tant que fédération, y contribue par tout le soutien qu'elle peut apporter aux associations. Il est également important de noter que la plupart de ces associations sont gérées bénévolement, ce qui représente une charge énorme pour les responsables associatifs !
Quelles sont les initiatives que vous êtes particulièrement fière d'avoir mises en place ?
Comme je l'ai déjà mentionné, notre fédération est toute jeune, et nous avons déjà donné aux associations FLAM une visibilité considérable, à tel point que beaucoup pensent que nous existons depuis très longtemps. En très peu de temps, nous avons mis en place de nombreuses initiatives et établi un dialogue avec les associations. Toute l'équipe en est très fière. Il est important de souligner que les membres de l'équipe FLAM Monde (Conseil d'administration et chargées de mission) sont également répartis à travers le monde et ont commencé à travailler ensemble uniquement de manière virtuelle, sans se connaître, ce qui a représenté un défi supplémentaire lors des premiers mois.
Nous sommes également très fiers d'être parvenus, avec l'aide du Ministère et de l'AEFE, qui soutiennent financièrement le projet, à organiser cette première rencontre mondiale des associations FLAM à Paris cette année. Ce sera un grand moment que nous attendons tous avec impatience et qui sera décisif pour l'avenir de la fédération !
Quelles ressources et formations FLAM-Monde offre-t-elle à ses adhérents ?
Les associations adhérentes ont accès à un espace protégé sur le site, où elles peuvent trouver toutes les ressources pédagogiques développées par la fédération, ainsi que les replays de nombreuses formations et webinaires d'information sur divers sujets.
Des rencontres virtuelles thématiques sont régulièrement proposées pour favoriser le partage et l'échange d'expériences entre les associations. Une chargée de mission est dédiée au développement et à l'accompagnement plus individualisé des associations, notamment pour l'aide à la création de nouvelles FLAM. Des groupes WhatsApp thématiques, mis en place par FLAM Monde, permettent également d'échanger des informations utiles, par exemple pendant les campagnes de constitution de dossiers de subventions.
Quelle est votre vision pour l'avenir de FLAM Monde ?
Nous devons affronter plusieurs défis, dont un majeur : le financement à long terme. En effet, nous bénéficions actuellement d'une subvention d'aide au démarrage dégressive, qui diminue chaque année et est limitée à cinq ans. Ce que nous avons pu mettre en place depuis un an et demi montre qu'il est impossible de continuer sans moyens financiers adéquats ; le bénévolat fourni par les membres du conseil d'administration ne suffit pas. Il va donc falloir trouver des ressources financières supplémentaires.
Ceci mis à part, notre vision est d'offrir un maximum de soutien aux associations pour leur permettre de développer leurs activités et d'encourager la création de nouvelles associations. Il reste encore de nombreux enfants français ou francophones à l'étranger qui n'ont pas accès à la pratique et à l'apprentissage de leur deuxième langue maternelle en dehors du cadre familial. Cependant, ce besoin se heurte actuellement à la réalité implacable du recours au bénévolat et à la difficulté croissante de trouver ces bénévoles.
Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans votre travail avec FLAM Monde ?
J'étais déjà passionnée par ce sujet avant la création de la fédération, grâce à mon expérience et à mon engagement au sein d'une association FLAM locale. FLAM Monde ajoute une autre dimension, celle de la planète et de nos diversités. Un des marqueurs des associations FLAM est leur grande liberté : nous avons toutes le même objectif, mais des manières très différentes d'y parvenir, et ces échanges sont passionnants. Il est également fascinant de constater à quel point nous sommes toutes influencées par la culture étrangère dans laquelle nous et nos enfants évoluons.
En tant qu'expatriée vous-même, quel conseil donneriez-vous aux familles qui s'installent à l'étranger ?
Je me considère plus comme une immigrée que comme une expatriée !
À une famille franco-française qui s'installe à l'étranger et n'a pas accès à un établissement français, je conseillerais de bien mûrir leur projet et de se renseigner au préalable sur le pays de destination, ainsi que sur les conditions de vie et de scolarité. On ne peut pas faire de généralités, car les conditions varient tellement d'un pays à l'autre, et cela dépend aussi du projet à long terme de la famille. Si un retour en France est envisagé au bout de quelques années, il est important de réfléchir à la réintégration dans le système scolaire français. Cela peut influencer les choix à faire.
Si vous souhaitez que vos enfants bénéficient de ce précieux lien avec la culture et la langue françaises, n'hésitez pas à rejoindre une association FLAM près de chez vous en consultant la carte interactive sur le site FLAM Monde. Et si aucune association n'existe dans votre région, pourquoi ne pas en créer une ?
Dans le cadre d'un partenariat avec FLAM Monde, nous vous proposons tous les mois, l'interview d'un.e responsable d'association FLAM.
Si vous souhaitez participer aux interviews, contactez-nous.
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