S'adapter à une nouvelle culture est-il plus complexe qu'avant ?

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Écrit par Asaël Häzaq le 25 octobre, 2024
Aux premiers temps de la pandémie, on pariait sur la fin de l'expatriation. Aujourd'hui, on assiste au contraire à un regain. « L'expatrié » aspire à s'intégrer dans son pays d'accueil, pour justement faire oublier, dans la mesure du possible, qu'il vient d'ailleurs. Comment parviennent-ils à s'adapter à la culture du pays étranger ? Éprouvent-ils plus de difficultés qu'hier ?

S'adapter à la culture du pays étranger : le défi de l'expatriation

Crown Relocations, leader mondial de la réinsertion professionnelle internationale, s'est penché sur l'adaptation culturelle des expats : plus dur ou plus facile qu'avant ? Dans une récente enquête nommée « Relocating in a Changing World: 2024 Global Expatriate Survey », ils dressent le portrait d'un monde où les expatriés auraient plus de difficulté à naviguer entre les différentes normes culturelles. L'enquête fait cependant remonter le changement bien avant la Covid. En effet, selon les conclusions de l'étude, le paysage de l'expatriation a commencé sa lente mutation il y a 20 ans.

1 000 expatriés ont été interrogés pour l'étude. Ils sont originaires de 73 pays différents, et vivent dans 7 États privilégiés par les étrangers : États-Unis, Royaume-Uni (200 expats sondés), Allemagne, Inde (150), Émirats arabes unis (EAU), Australie, Singapour (100). La majorité du panel a entre 25-34 ans (40%) et 35-44 ans (34%).

56 % d'hommes et 43 % de femmes ont été interrogés. La majorité s'est expatriée pour le travail 2 à 3 fois (31%) ou 4 à 5 fois (26%). Les primo-expatriés sont également nombreux (31%), contrairement aux serials expatriés (11%). Pour la majorité d'entre eux (92%), s'adapter à la culture du pays étranger est une épreuve plus ou moins difficile. 65 % parlent de « grand challenge » ou d'expérience « très difficile ». Ces considérations sont largement influencées par le milieu d'origine. Pour un Européen ou un Nord-Américain, il peut être plus difficile d'immigrer en Inde ou au Japon, par exemple. Appréhender une culture éloignée de la sienne demande du temps.

Des difficultés qui augmentent à mesure que l'on s'expatrie

Qu'est-ce qui pousse à s'expatrier ? En général, on recherche un meilleur salaire, une meilleure qualité de vie, la possibilité de faire carrière, de grimper dans la hiérarchie socio-professionnelle. On cherche aussi le développement personnel, le bien-être et la découverte d'une nouvelle culture. Ces dernières valeurs sont même davantage mises en avant depuis la crise sanitaire. Le traumatisme des confinements a poussé plus de travailleurs vers l'expatriation.

Les répondants à l'enquête de Crown Relacations évoquent aussi ces points : ils ont cherché à l'étranger une meilleure qualité de vie (41%), un enrichissement personnel et un tremplin pour leur carrière (38%), une nouvelle culture (31%). Les expats se disent aussi galvanisés par le changement (27%), et désireux d'expérimenter une vie dans un environnement/climat différent (21%). Ils sont bien moins nombreux à s'être expatriés pour apprendre une nouvelle langue (19%) ou pour donner une meilleure éducation à leurs enfants (17%).

En revanche, la majorité évoque des difficultés à s'adapter à la culture du pays d'accueil. Pour 65 % d'entre eux, la culture représente le défi le plus important. On aurait pu croire que les personnes s'étant expatriées plusieurs fois parviennent à mieux s'habituer aux différences culturelles. C'est tout le contraire. Paradoxalement, près de 60 % des expatriés sondés expliquent que l'adaptation aux différences culturelles a été plus contraignante. Car la fatigue, face cachée des déménagements à répétition, joue sur la faculté des expatriés à s'intégrer. La multiplication des missions à l'étranger a plutôt tendance à les déraciner. Ils se sentent parfois vraiment « en dehors » de la société. Certains voudraient l'intégrer, mais manquent de temps. D'autres se font une raison et se contentent du minimum. Ils ne sont là que pour quelques années. Pas assez pour entamer une totale refonte intérieure.

Impacts de la digitalisation et de la technologisation sur les échanges 

Les résultats de l'étude montrent que 56 % des expatriés luttent pour s'adapter à la culture du pays d'accueil. Le rapport pointe le rôle trop souvent sous-estimé de la digitalisation des échanges. À priori, le boom de l'ère digitale est propice aux interactions. Le monde ressemble de plus en plus à un vaste réseau social ; les multiples plateformes permettent un brassage culturel inédit, avec des millions de messages échangés jour et nuit.

Paradoxalement, cette hyperconnectivité est aussi source d'éloignement. La multiplication des messages sur les plateformes diminue les temps de parole face à face. Les réseaux sociaux gardent bien entendu leur utilité. Ils peuvent faciliter les interactions avec les locaux (par la fréquentation des mêmes plateformes, par exemple), mais lorsque ses échanges se limitent aux messages, l'interaction peut perdre en richesse. Certains distinguent ainsi leurs « amis d'Internet » et leurs « amis in real life ». On pourra bien sûr objecter qu'il est possible d'établir des amitiés profondes 100 % en ligne. Mais toute la richesse d'une expatriation repose aussi sur des interactions « dans la vraie vie ». Ces contacts sont essentiels pour construire son « chez soi » dans le pays d'accueil.

Digitalisation des échanges d'une part, technologisation des services d'autre part. 70 % des expats sondés estiment avoir peiné à s'adapter à la technologie du pays. Exemple avec les paiements. S'expatrier dans un pays où l'argent liquide règne en maître lorsqu'on vient d'un pays qui prône la carte bancaire et les applications peut surprendre. Il faut un temps d'adaptation pour apprécier les points positifs et négatifs de chaque technologie (car le tout digital a aussi ses effets pervers). Les expatriés relèvent également les points positifs des avancées technologiques. 68 % d'entre eux se réjouissent des facilitations des procédures d'immigration (e-visa, par exemple).

Les défis culturels des expatriés

Les sondés relèvent 4 domaines culturellement difficiles à appréhender. Sans surprise, l'apprentissage de la langue reste le premier défi (39 % des réponses). De nombreux expatriés continuent d'éprouver des difficultés, même après plusieurs années dans le pays étranger. Si l'on conseille toujours d'apprendre la langue avant l'expatriation, on remarque que le milieu de vie et le mode de vie influent grandement sur cet apprentissage. Naviguer dans un environnement professionnel, amical, où la langue d'accueil et peu ou pas du tout pratiquée n'encourage pas à faire des efforts. Ne restent que de rares interactions avec les locaux (dans les administrations, les commerces…) qui ne permettent pas vraiment de progresser.

S'adapter à la culture et au temps : différentes perceptions selon le pays d'accueil

De nombreux étrangers s'estiment loin de l'image caricaturale de l'expatrié refusant d'apprendre la langue du pays d'accueil. Au contraire, ils apprennent, mais sont frustrés de constater leurs lacunes. Le rythme de vie ne permet pas toujours d'intégrer des cours de langue. C'est d'ailleurs le 2e domaine le plus contraignant pour les sondés : 37 % d'entre eux estiment que le rythme de vie du pays d'accueil est un challenge à lui seul.

L'organisation et les horaires de travail changent, de même que la manière de vivre dans l'entreprise et dans le pays. A Singapour, par exemple, les journées de travail sont longues. En Inde, les horaires sont extensibles et peuvent changer selon les besoins de l'entreprise et les disponibilités des salariés. Car la notion même du « temps » est culturelle. Contrairement à l'Occident, qui considère le temps de manière linéaire, l'Inde voit plutôt un cycle. Aucun début, aucune fin, mais une répétition infinie. C'est donc le temps présent qui compte. C'est la raison qui explique que les salariés peuvent être sollicités même tard le soir. Ils doivent rester joignables le dimanche. S'ils sont là, pourquoi ne pas travailler « maintenant » ?

Les deux autres domaines les plus contraignants pour les expatriés sondés sont l'adaptation à la nourriture locale (33%) et l'acclimatation aux normes sociales (29%). Pour pallier ces difficultés, de nombreux expats choisissent des destinations culturellement proches d'eux. Attention néanmoins à ne pas sous-estimer les particularités de chaque pays. Même en cas de langue commune, la culture reste propre à chaque pays. C'est la conclusion que tirent des travailleurs ayant tenté l'aventure en Espagne et en Italie, motivés par leur proximité culturelle. Ils se sont néanmoins vite rendu compte que les deux pays méditerranéens ont bien deux cultures différentes.

Et la famille ?

Pas toujours simple de s'expatrier en famille. L'étude le confirme, avec 48 % des interrogés pour qui l'annonce du projet a été complexe. Ils ont dû argumenter pour convaincre leur famille, et ont vite réalisé que leur idée n'était pas si réjouissante pour les autres.

L'image de l'expatrié privilégié bénéficiant d'un package expatriation ultra favorable (formation pour le/la partenaire, prise en charge de la scolarité des enfants, etc.) est dépassée depuis longtemps. Seules les plus hautes professions peuvent encore espérer avoir des bonus. Pour les autres, il faut se reconstruire à l'étranger sans aide ou presque. Celui qui suit obtient un visa de personne à charge, mais doit retrouver un emploi. Il abandonne peut-être une carrière florissante dans son pays, pour tout recommencer ailleurs.

Les enfants peuvent subir un choc similaire, surtout lorsqu'ils deviennent assez grands pour se souvenir de leur vie chez eux, avec leurs amis et leurs activités. Trouver une école n'est pas chose aisée. C'était même une difficulté supplémentaire pour 46 % des sondés. Ils sont néanmoins 86 % à relever le « grand enthousiasme » de leurs enfants concernant le projet d'expatriation.

Conclusion

La lente évolution du visage de l'expatriation est en grande partie due aux mutations socio-culturelles au sein des pays. Il y a 20 ans, le modèle dominant était celui de l'accomplissement de soi par le travail. L'image de l'expatrié était celle du cadre supérieur riche parti faire carrière à l'étranger. Aujourd'hui, nombre d'expatriés rechignent à se coller une étiquette. Ils préfèrent se voir en simples habitants pour améliorer leur qualité de vie à l'étranger. Ces nouveaux expatriés sont davantage soucieux de leur impact sur l'environnement, et veulent contribuer positivement à leur ville de résidence. S'ils sont conscients des défis de l'expatriation, ils sont prêts à les relever.

A propos de Asaël Häzaq

Titulaire d'un Master II en Droit - Sciences politiques ainsi que du diplôme de réussite au Japanese Language Proficiency Test (JLPT) N2, j'ai été chargée de communication. J'ai plus de 10 ans d'expérience en tant que rédactrice web.