D'où viens-tu, Aude, et que fais-tu dans la vie ?
Je m'appelle Aude, j'ai 32 ans. Originaire de Grenoble, j'ai passé ces dix dernières années à la frontière suisse à m'occuper de structures de loisirs. Nous y avons également fondé notre famille. Je me suis installée au Sénégal depuis 5 mois. Je ne travaille pas et je m'occupe de mes enfants. Mon mari lui est chef de cuisine pour le groupe Accor.
Comment s'est passée ton installation au Sénégal ?
Tout s'est bien passé. Mon mari est arrivé deux mois avant nous. Il a eu le temps de préparer le terrain. Ainsi, nous sommes arrivés dans un appartement déjà meublé. Bien que notre container n'était pas encore arrivé, nous avions déjà tout le nécessaire pour vivre correctement. S'il est grand et bien placé, il n'est pas très moderne mais cela nous va bien. Nous avions l'habitude d'avoir une maison, de la nature, une belle vue, un bout de jardin. Certes, le contraste est flagrant mais on se sent finalement bien.
Qu'est-ce qui vous a attirés vers Dakar, ton époux et toi ?
Honnêtement, seule l'opportunité de travail nous a conduit vers le Sénégal. Nous n'avions encore jamais mis les pieds en Afrique et l'image qu'on s'en fait en Europe me faisait un peu peur. Nous avions postulé en Asie, aux Caraïbes et à la Réunion. Mon mari a décroché ce poste à Dakar grâce à une connaissance. Le monde de l'hôtellerie est petit, et nous avons su faire jouer le réseautage. Dakar est une ville particulièrement « urbaine » avec beaucoup de pollution, de circulation, et j'aurais sans doute préféré m'installer dans une commune à taille plus humaine. Mais finalement, ça nous va bien.
Depuis combien de temps vous y êtes-vous installés ?
Cela fait 5 mois pour moi et les enfants et 6 mois pour mon mari. Nous avons deux petites filles de 4 et 9 ans.
Quelles étaient les procédures à suivre pour se rendre au Sénégal ?
Je n'en ai qu'une connaissance vague. Le groupe de mon mari s'est occupé de tout. Je sais qu'il faut s'enregistrer au consulat et obtenir une carte de résident. La procédure semble assez accessible mais je ne saurai pas en dire plus. Il faut juste bien penser à avoir un extrait de casier judiciaire et un acte de naissance de moins de 3 mois.
Qu'est-ce qui t'as surpris le plus à ton arrivée à Dakar ?
Le choc culturel est intense, il a duré une semaine. Une semaine à se demander ce qu'on fait là, à être peiné, surpris, joyeux, le grand huit de l'émotion. Tout est si différent ! D'autant que nous venions de la Suisse, là où tout est si propre, si vert, si policé ! La circulation, l'état des routes, des voitures, les vendeurs, les odeurs, la chaleur, tout se vit ici à 200%, il n'y a aucune place pour la demi mesure.
Ce qui m'a le plus dérangé sont les enfants des rues, les « Talibés » qui sont envoyés par cohortes par les marabouts pour faire la manche. Voir un petit bout de 4 ans te tirer la manche, le nez crotté, les pieds nus, l'œil larmoyant, pour te demander 100F... Voilà qui m'a fendu le cœur dès les premières minutes. Alors on a des cas de conscience : donner c'est promouvoir ce système inhumain. Ne pas donner c'est exposer l'enfant à des brimades à son retour... Que faire ?
Comment cela s'est passé pour vos filles ? Ont-elles eu des difficultés d'adaptation ?
Nous les avons bien préparées au départ. Il faut dire qu'entre les prémisses et le départ effectif, il s'est bien passé six mois. Mais pour elles, c'était flou, abscons, tout ce qu'elles avaient connu c'était la campagne genevoise ! Alors forcément, parler de l'Afrique pour elles c'était comme si on parlait de Mars... Si les premières semaines ont été émaillées de « mes copines me manquent » et « je préférais avoir une maison », elles ont quand même nettement fait la part des chose : piscine, plage tous les après-midis de libre...
Finalement elles se rendent compte par elles-mêmes que la vie ici est autrement plus respectueuse de leur rythme et de leur loisirs. Pour la plus jeune, j'ai du jongler avec quelques remarques impertinentes qui lui échappaient comme « Toi tu as les dents sales ! » (grand moment de solitude...) ou « Pourquoi il n'a qu'une jambe le monsieur ? ».
Le visage de la pauvreté a été quelque chose de surprenant, d'autant qu'elles voient tous les jours des enfants des rues, ce qui les heurtent un peu... Mais je pense que ça leur permet de relativiser leurs petits soucis de petites filles occidentales. Non, ce n'est pas un drame de ne pas avoir la dernière console à la mode, et oui, on a de la chance de pouvoir manger tous les jours.
Comment se passe leur scolarisation ?
Je ne connais que le primaire et la maternelle pour l'instant. Je sais que le secondaire n'a pas tout à fait le même système. Ce que je peux dire, c'est que nous sommes enthousiastes avec le système mis en place ici. Imaginez, 8h-13h et tout l'après-midi pour se reposer, se défouler, voir autre chose que 4 murs ! Mon aînée a fait de grands progrès, et même si je trouve que l'enseignement est de qualité, je pense que c'est surtout du à ce rythme qui laisse la part belle au développement personnel.
Elles sont inscrites dans une école bilingue qui fait maternelle et primaire, agréée par l'éducation nationale (donc cursus français). Elles ont deux maîtresses par classe et une aide-enseignante. Une maîtresse est française et l'autre anglaise. Elles ont 8 heures de cours en anglais par semaine, même ma fille qui a 4 ans. Et cela comprend des cours génériques comme maths en anglais, histoire en anglais etc...
Ma fille de 9 ans rame un peu mais pour ceux qui débutent totalement comme elle, la maîtresse française fait de la traduction afin qu'ils ne soient pas totalement largués dans le programme. Nous sommes en décembre et je constate déjà quelques effets.
Que penses-tu du mode de vie des Sénégalais, particulièrement à Dakar ?
Je pense qu'ils ont bien du courage... La vie est difficile à Dakar pour celui qui n'a pas beaucoup de moyens. Les logements sont très chers, les loisirs hors de prix. Il n'y a guère que le marché qui est accessible. Le chômage est constant, tout le monde semble avoir des difficultés. Alors c'est le système D qui prévaut. On se débrouille pour avoir un petit quelque chose à vendre dans la rue, des cacahouètes, des cartes téléphoniques, ou encore des jeux de plage... Ils sont nombreux à vivre sur les trottoirs, à faire la manche.
Par ailleurs, pour ceux qui ont la chance d'avoir un travail, ils sont très festifs. Il faut dire que les fêtes ne manquent pas au Sénégal, et comme les Sénégalaises sont très coquettes, c'est à celle qui aura le plus beau boubou, la plus belle coiffure, les plus beaux ongles ! Leurs tailleurs sont riches !
Une idée reçue qui s'est avérée fausse ?
Que la vie y était moins chère ! Si sur certains plans c'est vrai (fruits et légumes, poissons, volaille), sur d'autres c'est faux (loyers, voitures, essence, supermarchés, loisirs). Au final la facture est identique à celle qu'on avait en France, en ayant un mode de vie « sénégalais ».
As-tu eu des difficultés d'adaptation à ton nouvel environnement ?
Pas vraiment. J'apprends encore les subtilités culturelle propres à l'Afrique et au Sénégal, mais je suis une voyageuse dans l'âme. Nous avons fait plusieurs autres pays auparavant et je pense être plus adaptable que d'autres ! Mes filles également se sont remarquablement bien adaptées, même si elles regrettent quelques détails bien français (le fromage par exemple).
A quoi ressemble ton quotidien à Dakar ?
Comme je ne travaille pas, je me la coule douce... Je m'occupe de mes enfants. Comme la scolarité au primaire c'est du lundi au vendredi, de 8h à 13h, c'est idéal. Les enfants ont vraiment une bonne coupure pour se vider la tête. On devrait en prendre de la graine. L'après-midi est réservé aux activités extra-scolaires, danse, musique, surf. Et quand on a du temps libre, on file à la plage, à la piscine ou chez des amis.
Quels sont les loisirs qui y sont disponibles ?
On trouve de tout, autant pour les adultes que pour les enfants : sports de combat, danse, salles de sport, piscine, surf, cours de langue... Par contre, beaucoup de loisirs sont aussi chers qu'en France, même si certains le sont moins. Les cours de guitare sont à 15 euros l'heure, le cours de surf à 10 euros l'heure. Pour les cours de danse, ça coute 45 euros le mois pour deux heures de danse par semaine.
Qu'est-ce qui te plait le plus à Dakar ?
La météo est douce, les gens sont gentils (même s'ils sont souvent collants). Il y a une douceur de vivre ici que je n'ai ressenti nulle par ailleurs (même aux Caraïbes). Cela tient sans doute à la religion. Allah décide de tout, alors pourquoi s'inquiéter du lendemain ? Mes filles ont vraiment du temps pour elles et me retrouver avec elles à 200% nous fait beaucoup de bien, à tous. Je n'aurai jamais pu vivre ça en France.
Il y a également une tolérance exceptionnelle. Le pays a beau être musulman à 90%, tout le monde est accepté. Le pays reste laïc, les gens sont très ouverts. Les catholiques côtoient les musulmans et tout ce beau monde se mélange avec une facilité déconcertante.
Un évènement particulier que tu voudrais partager ?
Ce pays est magnifique... Je pourrais raconter pendant des heures le sentiment indescriptible, la paix sereine qui nous envahit quand on assiste à un coucher de soleil sur les baobabs, quand on contemple le vol majestueux d'un pélican ou qu'on arrive à pêcher un espadon. Cueillir une mangue mûre à point, boire un jus de bissap à l'ombre d'un palmier, sentir les alizés sur son visage alors que pas un bruit ne vient troubler l'air. Il y a mille moments que j'aurais aimé partager avec ceux qui sont restés en France. Je n'ai qu'une hâte, qu'ils viennent nous voir et leur faire découvrir ça.
Quelles sont les différences entre la vie au Sénégal et celle en France ?
Il y en a tant ! L'Afrique est tellement différente ! Le Sénégal c'est un bouillonnement ininterrompu de sensations, d'odeurs et de couleurs. Tout est différent ici.
Des conseils aux personnes qui souhaiteraient s'expatrier au Sénégal ?
Le seul conseil pertinent que je suis en mesure de donner avec ma maigre expérience dans ce pays c'est d'avoir un bon poste, avant de débarquer ! Trouver du travail sur place relève du tour de force. Je ne dis pas que c'est impossible, mais les logements et la vie courante peut se révéler très chers quand on est au chômage.
Quels sont tes projets d'avenir ?
Dans un avenir proche (dans les 3 prochaines années), je souhaite m'engager dans une association humanitaire. Mes compétences professionnelles ne sont pas demandées ici, alors autant s'occuper utilement. Je compte aussi m'occuper de mes filles afin qu'elles aient une ouverture d'esprit, une expérience unique qui leur servira une fois adulte.
Dans un avenir plus lointain, nous partirons sans doute pour un autre pays d'Afrique, les compétences de mon mari sont très demandées... La Côte d'Ivoire peut-être ? Difficile à dire...
Si vous souhaitez participer aux interviews, contactez-nous.
Participer