D'où viens-tu, Julie, et que fais-tu actuellement ?
Originaire du Québec, j'ai travaillé à Montréal en coordination événementiel pendant une dizaine d'années, en plus de travailler régulièrement comme assistante-directrice artistique sur des productions cinématographiques et télévisuelles. J'ai aussi travaillé sur des évènements culturels en France avant de m'expatrier en Macédoine. J'occupe, depuis septembre 2014, le poste de directrice de l'Alliance Française de Tetovo, en plus de m'impliquer volontairement dans plusieurs autres projets avec les associations locales.
Pourquoi as-tu choisi de t'expatrier en Macédoine ?
Initialement pour le dépaysement, et par curiosité. Je souhaitais prendre quelques mois de congé pour vivre une expérience professionnelle enrichissante à l'étranger, tout en restant connectée avec le milieu culturel. De fil en aiguille, on m'a proposé une association culturelle locale, LOJA, en Macédoine. J'ai accepté le défi !
Comment s'est passée ton installation ?
Je me suis installée en plusieurs temps en Macédoine. J'y ai mis les pieds pour la première fois en septembre 2012 pour une expérience de volontariat de 3 mois. Pendant ces trois mois, j'ai vécu en colocation et j'ai rencontré des gens accueillants qui ont beaucoup facilité mon adaptation. La barrière linguistique était le plus grand défi car Tetovo est une ville multiculturelle où cohabitent plusieurs groupes ethniques et linguistiques.
Qu'est-ce qui t'a attirée vers Tetovo ? Depuis combien de temps t'y es-tu installée ?
Pendant mes 3 mois de volontariat, j'ai eu un coup de cœur pour le pays, pour la région, mais aussi pour un Macédonien très charmant avec qui je suis toujours en couple aujourd'hui. Après plusieurs démarches, visites et autres péripéties, j'ai pu m'installer officiellement à Tetovo en février 2014. Cela fera donc bientôt un an et demi.
Quelles étaient les procédures à suivre pour qu'une Canadienne s'expatrie en Macédoine ?
Les Macédoniens pensent souvent que les procédures doivent être plus faciles pour moi parce que je suis Canadienne, mais ce ne fût pas le cas. En fait, puisque je suis venue de mon plein gré, sans être chapeautée par un organisme ou ministère quelconque, j'ai dû entreprendre toutes les démarches légales pour pouvoir m'installer en Macédoine. J'ai donc, d'abord, obtenu un visa comme volontaire et continué mon service de volontariat pendant quelques mois. Puis, le poste de direction de l'Alliance Française locale s'est ouvert. Après avoir obtenu le poste, j'ai dû reprendre toutes les démarches pour un visa de travail cette fois, ce qui me permet aujourd'hui de travailler et de renouveler mon permis de résidence temporaire.
As-tu éprouvé des difficultés à franchir ces étapes ?
Définitivement. Ça a demandé beaucoup de patience, beaucoup de déplacements. La barrière linguistique me forçait à être accompagnée à chaque rendez-vous. Les procédures d'immigration ont aussi beaucoup évoluées et ont été souvent modifiées ces dernières années en Macédoine. Ce qui a alourdi énormément le processus puisque les procédures ou documents requis changeaient parfois selon l'interlocuteur. La clé de la réussite est certainement la patience. Cela prend du temps, mais c'est faisable.
Qu'est-ce qui t'as le plus surpris à ton arrivée à Tetovo ?
Plusieurs choses. La diversité, la beauté des montagnes... Culturellement, le plus grand choc pour moi fût certainement la notion du temps. Le concept de l'attente. Un rendez-vous dans 15 minutes pour une Nord-américaine et pour un Macédonien, ce n'est pas la même chose. On peut attendre pendant des minutes, voire des heures, pour aller boire le café prévu à une certaine heure. Impossible de planifier un horaire de travail comme j'en avais l'habitude auparavant. Ici, il faut prendre le temps pour les gens, pour la pause café ou pour les imprévus. C'est très frustrant au début, mais ça transforme la façon de percevoir les choses.
Quelles sont les particularités du marché de l'emploi local ?
En général, le marché de l'emploi en Macédoine est en crise, avec un taux de chômage de près de 30%. Les emplois sont, pour la plupart, assez précaires. Le marché de l'emploi en culture est très peu développé et les bons emplois dans ce secteur se font rares. Les ONG/associations locales sont les plus actives à ce niveau. Je suis donc privilégiée de pouvoir travailler, principalement dans le secteur culturel.
J'ai, de plus, la chance de travailler dans ma langue maternelle, le français, et d'enseigner le français comme langue étrangère. Il y a plusieurs facultés, lycées et écoles où le français est enseigné, en plus des cours offerts par notre centre. La compétition est forte avec les autres langues étrangères et mon travail est définitivement un combat au quotidien.
As-tu eu des difficultés à rechercher un logement ? Quels sont les types de logements qui y sont disponibles ?
A Tetovo, la plupart des expatriés qui s'installent temporairement arrivent à se trouver des logements meublés, seuls ou en colocation. Ces appartements sont, en général, assez bien équipés et répondent, du moins, à tous les besoins. Pour ma part, lors de ma première visite, c'est l'organisme local avec lequel je collaborais qui a organisé mon hébergement, en collocation justement. Certains volontaires choisissent aussi d'habiter dans des familles.
Lors de mon installation à plus long-terme, la famille de mon conjoint m'a accueillie chaleureusement, malgré nos barrières culturelles. Ce qui m'a permis d'assister à plusieurs petites célébrations traditionnelles, d'apprendre la langue (du moins une des langues locales) beaucoup plus rapidement. Mais ça m'a aussi demandé beaucoup d'adaptation. Habituée à mon indépendance, je partage maintenant certains espaces en commun et j'essaie tout de même de rester fidèle à moi-même dans cette aventure.
Que penses-tu du mode de vie des Macédoniens ?
La vie en Macédoine est plutôt européenne, avec une touche orientale. En fait, dû aux différentes occupations et à la situation géopolitique particulière du pays, le mode de vie des locaux est clairement influencé par différentes cultures. Dans certains quartiers, avec les anciens bazars en particulier, je me sens presque comme au Maroc lorsque c'est l'heure du thé. Dans d'autres quartiers, avec les centres commerciaux, c'est l'Europe moderne. Le café turc à la maison, les espresso italiens dans les cafés...
Les traditions sont encore fortes et très présentes. A Tetovo, des centaines de mariages sont célébrés chaque été. Dans les rues, dès le matin et jusqu'au soir, les différents rythmes musicaux festifs se font entendre. Comme la ville est très multiculturelle, les expatriés sont choyés et ont la chance d'être invités à différentes célébrations, de Bajram (fête musulmane) à la Pâques Orthodoxe.
Au quotidien, les gens vont travailler ou s'affairent aux tâches ménagères et au jardin. Ils passent beaucoup de temps dans les cafés entre amis et avec leur famille. Ils habitent d'ailleurs en famille, pour la plupart.
Une idée reçue qui s'est avérée fausse ?
Je ne sais pas. Si j'avais quelques idées reçues, je crois qu'elles se sont avérées pour la plupart. Mais pour être honnête, je connaissais très peu ce coin du monde avant d'y mettre les pieds. Je me suis bien sur beaucoup renseignée avant mon départ, mais j'étais surtout curieuse de voir de mes propres yeux ce qu'il en était.
As-tu eu des difficultés d'adaptation à ton nouvel environnement ?
L'adaptation la plus difficile pour moi est au niveau des horaires, des rendez-vous et de la gestion du temps. J'ai énormément développé ma patience ! L'adaptation linguistique, difficile au début, me rendait très dépendante de mes proches et de mes collègues. Mais l'apprentissage des langues est le meilleur outil pour la prise d'indépendance d'un expatrié à mon avis. Il y a aussi beaucoup de détails qui me gênaient au début et qui aujourd'hui me paraissent moins importante : la présence majoritairement masculine dans les rues ou certains cafés, l'appel à la prière à 5h du matin, les bouchons de circulation (maintenant je me déplace même à vélo !). Il faut surtout savoir rester soi-même et trouver son équilibre, tout en sachant s'adapter.
A quoi ressemble ton quotidien à Tetovo ?
Quand c'est possible, les journées débutent généralement dans un café avec les collègues ou amis. Mais depuis mon nouvel emploi, c'est plus difficile. Je passe ensuite beaucoup de temps au travail. Je visite parfois les écoles ou les partenaires et j'effectue, de temps à autre, des visites dans la capitale. Le soir, si je n'ai pas classe, c'est repas entre amis (dans les kafanas, petits cafés/restaurants locaux) ou avec la famille. Le week-end, le repas en famille débute vers 16h. Et pour les week-ends et les vacances, comme les journées sont généralement ensoleillées, on passe la plupart du temps à l'extérieur, si possible à la montagne pour de longues randonnées.
Que fais-tu pendant ton temps libre ? Quels sont les loisirs accessibles aux expatriés ?
Bien que Tetovo n'ait pas une vie culturelle très développée, il y a toujours un petit concert, une petite exposition ou activité. Il faut simplement ouvrir l'œil (et parfois accepter que tout se passe dans une langue que l'on maîtrise à peine, voir pas du tout !). La ville est située aux pieds des Montagnes de Shar. Dès que la neige disparait, la plupart des expatriés amateurs de nature, comme moi, se joignent aux groupes de randonneurs en montagne. Depuis près de trois ans que je découvre ces magnifiques montagnes, je ne m'en lasse pas. Fleuris au printemps, colorés en automne, les paysages sont extrêmement variés.
Pour les moins timides, il est aussi possible de se joindre aux classes de zumba, de yoga ou aux groupes de photographie locaux, selon les goûts de chacun. On finit toujours par trouver quelqu'un qui parle anglais et qui est prêt à nous aider. Certaines de mes amies se sont jointes à un groupe de danse traditionnelle, par exemple.
Qu'est-ce qui te plaît le plus à Tetovo ?
Le temps que l'on prend pour les amis et la famille. Être aux pieds des montagnes. La cuisine locale. Habiter une ville qui est située à moins de 3 heures de routes de 5 différents pays, ce qui rend la découverte de la région très facile et abordable. La variété et la mixité des cultures aussi (même si parfois ça rend les choses un peu compliquées).
Tes spécialités culinaires préférées ?
Les fruits et légumes frais locaux sont savoureux. A chaque saison ses fruits et ses légumes, ce qui les rend encore plus appréciables. Kiwis, poivrons, pommes, pêches, tomates, noix etc. En automne, chaque famille s'installe pendant plusieurs jours pour la préparation du ajvar, une purée traditionnelle de poivrons. On prépare souvent plus de 100 kilos de poivrons ! Je raffole de la shopska, une salade à base de tomates et de concombres recouverte de fromage local. Je dois dire que les grillades (skara) sont à ma grande surprise toujours bien préparées. La spécialité locale de Tetovo est le Tavce Gravce, un plat à base de haricots blancs. C'est délicieux, mais parfois un peu dur sur l'estomac ! J'ai personnellement un faible pour les sarmas et la moussaka préparée dans ma famille. En ce qui concerne les boissons locales : les vins, la rakija (terme pour les alcools forts produits à partir de raisins ou de prunes principalement), ou les desserts comme les baklavas, tulumbas et autres !
Une expérience particulière que tu voudrais partager ?
Au Québec, et dans plusieurs autres pays, le terme « macédoine » désigne une salade mixte. J'en ai reçu des boîtes en cadeaux (en blague) lors de mon départ, et plusieurs personnes font souvent allusion à la référence culinaire. Avec les temps, j'ai compris que cette référence n'était pas si bête, puisque le pays, pour sa petite superficie, est en effet extrêmement riche et mixte, sous tous ses aspects (paysages, cultures, langues etc).
Quel est ton avis sur le coût de la vie à Tetovo et en Macédoine en général ?
Le coût de la vie pour les expatriés n'est pas très élevé à Tetovo. Je pense même que c'est l'un des plus bas en Macédoine. Par exemple, faire les courses et cuisiner à la maison, ou manger au restaurant représentent à peu près des coûts équivalents. Le coût d'une bière locale est d'environ 1 euro, et le café moins d'un euro. Pour les biens courants, il n'y a pas de juste milieu. Soit on paie très peu et souvent pour une moindre qualité, ou on paie très cher, selon les standards européens (vêtements de marques, voitures, chaussures, etc).
Le problème, c'est surtout pour les locaux. A Tetovo, par exemple, le salaire moyen est d'un peu moins de 300 euros par mois alors que la location d'un petit appartement revient à minimum 150 euros par mois, sans les charges. Ce qui fait que la plupart des jeunes couples et nouveaux parents habitent avec leur famille.
Qu'est-ce qui te manque le plus par rapport au Canada ?
Une certaine autonomie certainement, ainsi que l'accès à une vie culturelle plus riche. Mais surtout, mes amis et les membres de ma famille. Le trajet entre la Macédoine et Montréal est long et couteux, les visites sont donc rares. Heureusement, je reçois de plus en plus de visiteurs.
Des conseils aux personnes qui souhaiteraient s'expatrier en Macédoine ?
Être curieux et ne pas avoir peur de la différence. Sortir des villes et visiter la campagne et les montagnes qui offrent une atmosphère totalement différente des villes comme Skopje, Tetovo ou Bitola, par exemple.
Être conscient des minorités qui habitent le territoire, ne pas avoir peur d'aller vers eux pour découvrir leur culture et leur histoire. Ils font partie, à part entière, de la société macédonienne, mais on les oublie parfois selon les régions où l'on habite.
Sur une note plus officielle, plusieurs organisations et locaux pensent toujours qu'il est possible de séjourner plus de 3 mois en Macédoine sans document officiel, mais ce n'est plus le cas. Les étrangers sont de plus en plus contrôlés. Quelques un d'entre eux, sans permis de séjour, se sont vus refuser l'accès pour rentrer dans le pays suite à des excursions dans les pays avoisinants. Il vaut donc mieux insister auprès de son groupe d'accueil pour être en règle.
Tes projets d'avenir ?
Faire découvrir la Macédoine, ses saveurs, ses couleurs, ses cultures et traditions, et surtout ses montagnes. Nous aimerions accueillir éventuellement touristes et visiteurs, dans le cadre de randonnées organisées ou de circuits historiques et gastronomiques. Ce serait une belle façon pour mon conjoint et moi de partager notre passion et de faire découvrir ce petit pays ,encore méconnu, mais avec un riche potentiel !
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