Fin annoncée pour le visa doré ?
« [Il est aujourd'hui trop facile pour certains riches] de venir [en Espagne demander un permis de résidence en achetant une maison à 500 000 euros. On dirait presque un système colonial. Nous présentons une réforme très simple, pour éliminer ces avantages accordés à certains, [avantages aux conséquences] mauvaises pour la transparence et l'encadrement des prix de l'immobilier », explique, lors d'une conférence de presse, Íñigo Errejón, leader et porte-parole de Más País, le parti à l'origine du projet de loi. Le 14 février, le parti de gauche propose une loi pour supprimer la possibilité d'acquérir la résidence en achetant un bien immobilier coûtant au moins 500 000 euros.
Pour rappel, il existe plusieurs moyens d'obtenir le Golden Visa en Espagne : acquérir un bien immobilier d'une valeur minimale de 500 000 euros, investir au moins 2 millions d'euros dans des obligations d'État espagnoles, acheter pour au moins 1 million d'euros d'actions de sociétés espagnoles, réaliser un dépôt d'au moins 1 million d'euros dans une banque espagnole, ou investir dans une création d'entreprise bénéfique pour l'économie locale, notamment en termes d'emplois.
Peut-on pour autant parler de fin du passeport doré espagnol ? Contrairement au Royaume-Uni, qui a (sous la contrainte) abandonné son programme aux premiers jours de la guerre en Ukraine, le visa doré espagnol reste encore d'actualité. Le projet de Más País ne vise pas à le démanteler entièrement, du moins, pour l'instant. La proposition de loi suit l'orientation du Parlement européen, qui, le 9 mars 2022, a annoncé que le Golden Visa serait progressivement supprimé. La proposition, soumise au vote, avait récolté 595 voix pour, 12 contre et 74 abstentions.
Golden Visa : un programme controversé
Lancé le 27 septembre 2013, le Golden Visa vise à favoriser l'attractivité économique de l'Espagne. Depuis l'éclatement de la bulle immobilière en 2008, le pays est en crise. Le chômage explose. La dette aussi. Les banques plongent. L'Espagne entre en récession. Elle l'est toujours en 2013, année de création du passeport doré. Le programme arrive avec une mission bien précise : attirer de riches étrangers prêts à investir dans le pays. Relancer l'économie grâce aux investissements étrangers.
Le programme a-t-il rempli ses objectifs ? Selon le ministère de l'Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations, le pays a approuvé 429 demandes de passeports dorés. Le chiffre oscille entre 400 et 500 validations, avant un premier pic en 2018 (716 golden visa approuvés) et 2019 (848 validations). 2021 enregistre un nouveau record, avec 864 demandes approuvées.
Mais ces chiffres suffisent-ils à valider la réussite du programme ? Non, affirment Más País et les autres contestataires. Ils rappellent que le gouvernement se montre plus prudent concernant l'impact des passeports dorés sur l'économie espagnole, notamment au niveau local. Pour Más País, le passeport doré a même eu l'effet inverse. Les prix de l'immobilier ont grimpé sous l'effet des investissements étrangers, obligeant la population espagnole à déménager vers des quartiers moins chers. Íñigo Errejón parle d'une population locale « expulsée » de ses propres quartiers, et d'un impact « très négatif » sur le marché du logement. Selon Más País, le visa doré a, depuis sa création, permis à 100 000 riches étrangers d'investir dans l'immobilier espagnol. Mais sans impacter positivement son économie.
Quel impact sur l'expatriation ?
Quel effet le projet de réforme aura-t-il sur l'expatriation ? Si la loi est approuvée, l'achat des biens immobiliers (articles 63 et 64 de la loi sur les Golden Visas) serait retiré des moyens permettant d'obtenir la résidence en Espagne.
L'Espagne est l'un des pays favoris des riches investisseurs. Entre 2020 et 2021, 492 passeports dorés ont été délivrés à des citoyens russes. L'invasion russe en Ukraine a d'ailleurs contraint le gouvernement espagnol à suspendre son programme. L'Union européenne (UE) et les opposants au programme font pression pour qu'il aille plus loin. Les expatriés suivront-ils ?
Oui, parient Más País, qui rappellent qu'il existe des investisseurs qui ont réellement contribué à l'économie locale espagnole. Ils semblent cependant trop peu pour affirmer que les Golden Visa ont dynamisé l'économie. Ce serait même le contraire, avec un effet de cascade négatif pour l'économie. La flambée des prix de l'immobilier fait augmenter les prix de toute la zone qu'ils couvrent : les aliments et services deviennent plus chers. La population incapable de supporter le surcoût doit partir dans des quartiers moins chers. Les créations d'emplois sont remises en cause, de même que l'impact positif sur l'économie locale. Les opposants alertent plutôt sur l'origine trouble des capitaux étrangers.
Pour faire participer les étrangers au développement économique, le parti de gauche propose davantage de transparence et de contrôle. Les étrangers souhaitant investir en Espagne pourraient demander un « visa de résidence aux investisseurs ». Más País propose une refonte totale du système pour garantir que l'argent investi ait de réels impacts sur l'économie locale. Une telle mesure entraînerait un contrôle plus strict des capitaux, pour le bien des finances espagnoles. La proposition de loi peut s'entendre comme une main tendue aux riches expatriés désireux de contribuer réellement à l'économie locale. Le Portugal et l'Irlande sont déjà allés plus loin, en annonçant la fin des Golden Visas.