Voici une description de ce stéréotype, présenté avec humour par un guide de tourisme français :
'La façon de vivre russe est très simple. Le Russe se réveille à 8 heures du matin, prend une douche froide, mange ce qu'il reste de pain de seigle avec du hareng et un peu de caviar (de la soirée tardive de la veille, passée à boire), se vêt de son manteau et de son chapeau de fourrure (se munit éventuellement d'une arme, s'il vit près de la Tchétchénie), et marche à travers le froid glacial et la neige jusqu'à son usine, où il est payé 200 dollars par mois.
Il travaille 10 heures par jour, et sa femme, une ancienne professeur d'Université, est au chômage, passant tout son temps libre à peindre des poupées russes pour les vendre 50 dollars pièce aux étrangers, et prépare des conserves pour avoir quelque chose à manger l'année suivante. Occasionnellement, il y a un moment joyeux dans leur vie, lorsqu'ils ont la chance de jouer de la balalaïka, et de voir leur très cher président Poutine leur adresser la parole sur leur télévision noir et blanc. Ils ont un sentiment nostalgique vis-à-vis de l'URSS, mais sont déterminés à poursuivre le chemin vers le capitalisme. Ils s'attendent à une nouvelle explosion d'immeuble le mois prochain, et croient que les Tchétchènes sont responsables de tous leurs problèmes. Leur enfant, qui écoute « Tatou », est leur seul espoir dans ce monde très sombre. Et, bien sûr, il y la vodka.
Cela semble un pays intéressant, n'est-ce pas? Si vous croyez sincèrement à certaines des choses énoncées ci-dessus, il vous faut d'urgence vous procurer un visa et acheter un billet pour la Russie, pour être sûr que vous avez une perception adéquate de la réalité. Ou, au moins, que vous puissiez voir ce pays unique avant qu'il cesse d'exister.'
Avant tout, on distingue l'inévitable « image d'Epinal », avec poupées russes et bulbes d'or. Caracolent souvent aussi en tête de liste la neige, la mafia, le communisme et le KGB.
« La Russie, c'est le Kremlin, les airs de balalaïka et les matriochkas. Dans les rues des villes enneigées, les passants en chapkas marchent, bras dessus bras dessous, avec des ours. La vodka du samovar les réchauffe. Il y a aussi le ballet russe, les fusées russes, les tanks russes et les kalachnikovs'.
Blague à part, ce stéréotype ne date pas d'hier, et n'est pas directement lié à l'héritage soviétique. Il a caractérisé les relations franco-russes durant des siècles. Les rares voyageurs français échouant sur cette « finis terrae » décrivaient la Moscovie comme un pays complètement sauvage, barbare, bizarre et, surtout, très froid. De Ségur, par exemple, diplomate français auprès de la cour russe au XVIIIème siècle, écrivait ainsi : « Les images des sauvages sur les bas-reliefs de la colonne Trajan s'animent et bougent sous vos yeux... »
Il est curieux de noter que la deuxième moitié du XVIIIème siècle correspond à un pic de francophonie en Russie : la mode, l'éducation, la littérature, la décoration, les vêtements, les coiffures ' tout était copié sur des modèles français. Dans les rues de Saint-Pétersbourg, remplies de « sauvages de la colonne Trajan », on entendait plus parler français que russe...
Madame de Staël, qui a visité la Russie à la veille des guerres napoléoniennes, décrit pour sa part le peuple russe comme un mélange de patience et d'ardeur, de gaieté et de mélancolie, de douceur et d'agressivité.
Quoiqu'il en soit, l'image du Russe typique comprendra toujours, aux les yeux d'un Français, des éléments de sauvagerie et de grandeur. Une sorte d'Ivan le Terrible d'opéra, gros, grand, généreux, vêtu d'un énorme manteau de fourrure, et très porté sur la bouteille. Dans l'imaginaire français de la « couleur locale » russe, il ne boit de plus que cul sec, et jette ensuite le verre vide contre le mur par-dessus son épaule. Même si cela peut paraître incroyable, j'ai vraiment vu de nombreux Français qui, en venant pour la première fois dans un restaurant russe à Moscou, attendaient en retenant leur souffle quand « cela allait commencer ». Habituellement, ils repartaient plutôt déçus'¦
Bref, même si l'on oublie les douces « russeries », et qu'on ne s'attend plus à croiser des ours dans les vastes plaines éternellement enneigées de la ville de Moscou, l'essentiel se résume malgré tout aux notions de « bizarre », « incompréhensible », « imprévisible », « déroutant». Au-delà du côté « décoratif », la première impression qui se dégage est celle de l'imprévisibilité, et d'une complexité paradoxale. Les journalistes étrangers ont d'ailleurs déjà ingénieusement baptisé la Russie de pays au « passé imprévisible ». De façon caractéristique, les Russes ont une tendance (qui touche au masochisme) à toujours anéantir leurs idoles, pour en ériger de nouvelles.
Il y a aussi un rapport incompréhensible à l'argent, et au monde matériel. La fabuleuse richesse des « nouveaux Russes » côtoient le dénuement total de millions de retraités. Un flot de Mercedes 600 traverse un pays où il n'y a aucune autoroute. L'intelligentsia russe se déclare insensible à l'argent, tandis que le « business à la russe » a la réputation d'être très dur - pour employer un euphémisme.
Le contact avec les gens dans la rue ne fait qu'accroître la confusion : les Russes ne sourient pas, ils ne sont ni prévenants, ni courtois, et ne manifestent aucune envie de communiquer. Mais en nouant des liens amicaux sur place, tout Français est frappé par la générosité et l'hospitalité de leurs hôtes, qui dépassent largement les standards occidentaux.
Les Russes ont vécu sous un régime communiste, soumis à un sévère contrôle idéologique ; ils font pourtant preuve d'une « incroyable désinvolture » au quotidien, qui les éloigne de la vie à l'occidentale ; en revanche, cette qualité les aide à régler des problèmes qui paraissent insolubles à qui ne pense pas ainsi. Pouvoir regarder les choses sous un autre angle, et régler les problèmes par une pirouette, voilà qui est typiquement russe !
On y ajoute Tolstoï et Dostoïevski, un petit coup d'« âme slave », et le tour est joué. En guise d'illustration, je citerai « La ballade russe en triolets », de Paul Eluard, qui connaissait plutôt bien le problème puisqu'il était marié à une Russe, la belle Gala :
« Le Russe est un neurasthénique
Sans cesse examinant, creusant
Un problème psychologique.
Le Russe est un neurasthénique
S'adjugeant un pouvoir magique...
Souvent il est énigmatique,
Bizarre, anathémisant.
Il a l'allure satanique... »
Il faut dire qu'Eluard avait certaines raisons de parler comme cela, puisque Gala a fini par l'abandonner, pour épouser Salvador Dalí, sans compter toutes sortes de problèmes qu'elle lui avait créés. Le point de vue d'Eluard est bien entendu extrême, mais il a tout de même beaucoup de choses en commun avec le stéréotype que l'écrasante majorité des Français entretient vis-à-vis des Russes. On entend souvent un échange de remarques très caractéristiques dans une file d'attente pour le contrôle des passeports à l'aéroport international de Moscou, après l'atterrissage d'un avion venu de Paris. Cet échange a systématiquement lieu entre des Français faisant la queue (scandalisés, bien sûr, de devoir faire la queue, même si c'est encore pire à Charles-de-Gaulle) et ne se connaissant pas. Il y en a toujours un qui s'adresse aux autres en disant : « Ils ne s'en sortiront jamais... ». Cette caractéristique globale des Russes (« ils », ce sont évidemment les Russes) englobe tout : la queue en question, la confusion qui règne à l'aéroport, les problèmes économiques bien connus, un hiver long et froid, l'alcoolisme, la bureaucratie, la mafia, la corruption et des bouchons interminables dans les rues de Moscou, sous la neige...
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