IDIOMES TOGOLAIS
Une manière d’entrer dans la culture togolaise par la linguistique...
Voici quelques mots ou expressions utilisés au Togo (et en d’autres régions de la francophonie africaine) dans un sens différent ou avec des nuances différentes, par rapport à la francophonie européenne et en tout cas de la Belgique.
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Portable : téléphone cellulaire. En Belgique l’acronyme gsm est exclusivement utilisé pour désigner cet objet (Global System for Mobile Communications, Groupe Spécial Mobile).
Portatif : ordinateur portable (ce qu’on appelle « portable en Europe »). « Mon portatif est gâté » (voir « gâté »).
Note : si vous donnez votre numéro de portable à quelqu’un, ce qui vous sera souvent demandé, précisez bien dans quelles limites il peut être utilisé. Bien souvent, le Togolais va vous réveiller les jours suivants entre 5 et 6 heures pour vous dire qu’il demande à Dieu de vous accorder une bonne journée, pour vous dire qu’il remercie Dieu d’avoir fait de vous des amis…)
Frigidaire : frigo en Belgique. Provient de ce que, historiquement, la marque française « Frigidaire » était pratiquement la seule vendue. Aujourd’hui, les frigidaires sont souvent chinois (à acheter avec circonspection !).
Stylo (à bille) : appelé couramment « bic » en Europe. Le Bic (du nom de la marque Bic) n’existe pas sur le marché africain ; pour la plupart des gens, le mot bic est inconnu. Les stylos, importés de Chine, sont de qualité médiocre.
Gâté : en panne, et tous sens similaires (mon pantalon est gâté = déchiré, taché ; cette ampoule est gâtée = « foutue » ; cette assiette est gâtée = cassée ou ébréchée) ; ma moto est gâtée, la rue est gâtée). Si on vous confie la garde d’un enfant, en le rendant aux parents, ne dites surtout que vous l’avez gâté !
Goudron : voirie hydrocarbonée. Terme employé fréquemment, puisque le goudron est … rare. Maison à louer à 100 mètres du goudron, tournez à droite quand vous verrez du goudron…
Rassasié : même sens qu’en Europe, mais moins littéraire, et très fréquent. Je suis rassasié = je n’ai plus faim, non merci. Même un enfant qui ne connaît encore rien du français utilise cette expression.
Doux, c’est doux : c’est bon, excellent (à propos de nourriture). On va vous proposer un plat très pimenté en disant : c’est fort doux. C’est le compliment que l’on fait à son hôte au cours du repas ou après celui-ci : c’est, ou c’était fort doux.
Fréquenter : aller à l’école de niveau moyen ou supérieur (technique ou universitaire). Verbe intransitif. Si vous engagez la conversation avec une jolie fille sur le marché, et qu’elle vous réponde « je fréquente », ce n’est pas qu’elle soit mal à l’aise ou vous menace parce que son fiancé vous lorgne ; c’est qu’elle est à l’université. Une femme de 20 ans qui vous dit : « j’ai deux enfants et je n’ai pas fréquenté », c’est une manière de dire qu’elle ne sait ni lire ni écrire.
Des heures et des saisons…
Les heures : Dites bien 18 heures, 20 heures etc. Même « 6 heures du soir» va être un sujet d’étonnement, d’incompréhension, pour votre interlocuteur. A partir de midi , on se dit « bonsoir ». « Je vous propose un rendez-vous ce soir à 14 heures ». Pour ce qui est de la référence horaire, on parle de l’heure de Paris, et non de GMT. Une ou deux heures de différence selon qu’on est en été ou en hiver.
Les saisons : Parler d’automne, de printemps etc., cela n’a aucun sens pour un Africain, sauf s’il est vraiment cultivé ou s’il a déjà vécu en Europe. Ce sont même des mots inconnus de la plupart des gens. Normal, la météo y est pratiquement la même toute l’année. Cela est fondamental dans toutes sortes de comportements. Nul ne se tracasse le veille au soir ou le matin pour les vêtements qu’on mettra pour aller à l’école ou au travail. Et le moyen de transport public favori des Togolais est le taxi-moto, ce qui ne se conçoit dans un pays où les pluies sont très rares.
Le harmattan : la seule saison en Afrique de l’ouest : Cela correspond à notre hiver, mais pas du point du vue climat. Si le temps est plus frais le matin, il souffle en permanence un vent du Sahara qui peut aller jusqu’à rendre l’air quelque peu sombre. Autrement, la luminosité est très forte : il s’agit d’un long anticyclone. Cette période présente des dangers. Les hôpitaux constatent une hausse des accidents de la circulation et domestiques, des poussées d’hypertension artérielle, des troubles psychiques (agitation, dépression etc.), des bronchites, des inoculations par les voies respiratoires pouvant provoquer des méningites (bactéries véhiculées par le sable).
Le Ramadan appelé aussi carême : c’est une période de jeûne absolu pour les musulmans, une partie importante de la population, durant toute la journée (y compris privation d’eau). Autant le savoir si vous prenez un taxi-moto en fin de journée : le conducteur (s’il est musulman bon teint) a enduré toute la chaleur du jour sans manger ni boire une goutte d’eau.
La prière des musulmans : il faut savoir aussi que les musulmans sont nombreux à tenir commerce, et qu’ils suspendent leurs activités plusieurs fois un quart d’heure par jour pour la prière, et ce, toute l’année.
Le vocabulaire par le scrabble
Boyerie : petit logement rudimentaire situé à l’arrière d’une propriété cossue. Prononcer : boy-rie (de boy, en anglais). Au temps des colonies, c’était la case du boy, de l’indigène bon à tout faire, un garçon. Aujourd’hui, c’est la demeure du gardien, jardinier. Annonce fréquente : « Maison à vendre avec boyerie » (avec goudron : le long d’une rue goudronnée…)
Zemidjan : conducteur de mot-taxi
Boyerie, de même que zemidjan (et mbalax, voir infra) sont ignorés de la plupart des dictionnaires français, mais ces mots figurent dans le dictionnaire officiel du scrabble : on voit l’intérêt de placer de tels mots (y, z, j, x) dans son jeu !
Il faut savoir que les pays francophones ouest-africains sont très forts au scrabble (surtout le Bénin), fournissant chaque année des lauréats sur le podium des championnats du monde.
Il y a une explication à la fois historique et stratégique, nous explique « Jeune Afrique » (8 sept. 2015). L’origine remonte au temps des colonies. C’est une manière objective pour les Africains de montrer qu’ils connaissent des mots français que les Français ne connaissent pas !
Les champions de scrabble ont « un entraînement digne des plus grands athlètes. C’est un travail de longue haleine : il faut maîtriser le vocabulaire et savoir calculer les points », écrit Jeune Afrique, en rappelant que le dernier champion du monde est un Néo-Zélandais qui ne sait pas parler le français, qui a détrôné le béninois Julien Affaton de son titre de champion du monde en 2015.
Ce serait donc sous l’influence du lobby des scrabbleurs ouest-africains que des mots comme boyerie, zemidjan ou aussi mbalax (musique sénégalaise), sodabi (vin de palme) figurent dans le dictionnaire officiel du scrabble.
© Octave Tierce sept. 2015 (à suivre)