L'Allemagne doit composer avec une économie morose, un moral des salariés en berne et les craintes des expatriés et futurs expats pour des raisons politiques. À l'horizon : un PIB qui dépasse à peine la barre des 0 % et un effondrement de la natalité. Le gouvernement compte pourtant sur sa réforme de l'immigration pour inverser la tendance et attirer les expatriés.
Le blues des salariés en Allemagne
Les salariés allemands sont-ils démotivés ? C'est la conclusion d'une étude publiée le 24 mars 2024 par la société de conseil en management Gallup. Chaque année, Gallup se penche sur le moral des salariés en Allemagne. En 2022, à peine 13 % des salariés se disent très investis dans leur entreprise. En 2023, le chiffre n'augmente que d'un point. À peine 14 % des 7,3 millions de travailleurs sont très investis dans leur entreprise. 45 % recherchent un autre emploi, déterminés à saisir une nouvelle opportunité professionnelle. Ils étaient 42 % en 2022. Ils sont d'ailleurs 71 % à considérer que le temps est venu de tourner les talons et de travailler ailleurs.
Les salariés d'aujourd'hui ont moins confiance dans les capacités de leur entreprise : à peine 40 % estiment que leur entreprise a les moyens financiers de perdurer. Ils étaient 55 % en 2020. La confiance s'érode aussi côté relations avec la hiérarchie. En 2024, 65 % des travailleurs souhaitent continuer de travailler avec leur employeur actuel dans les 3 ans. Ils ne sont que 40 % en 2023.
Une croissance en berne, un mauvais signal pour la mobilité internationale
Le moral en berne des salariés suit la croissance économique. Le gouvernement prévoit à peine 0,2 % de croissance pour cette année. L'Allemagne en a fini avec la récession, mais reste fragile. L'économie stagne dans les secteurs clés : l'industrie et la construction manquent de nouvelles commandes. Les géants allemands de l'industrie taillent dans leurs effectifs. En début d'année, Miele annonce supprimer ou délocaliser jusqu'à 2 700 postes dans le monde. Bosch a annoncé la suppression de 3 500 postes dans le monde d'ici 2027. En décembre, le groupe Stuttgart comptait supprimer jusqu'à 1 500 emplois. Un coup dur pour l'industrie allemande. Un mauvais signal pour les expatriés et futurs expats, impactés par les ralentissements économiques des multinationales allemandes.
Le recul de l'inflation (2,4 % en 2024, contre 5,9 % en 2023) et la hausse des revenus (+6,1 % en 2023) n'ont pas profité à la consommation, toujours faible. Pour les habitants, l'heure n'est pas aux dépenses, mais à l'épargne. Champions historiques de l'épargne, les habitants battent de nouveaux records. D'après un rapport publié par les cinq grands instituts allemands de recherche économique, le taux d'épargne des ménages allemands est de 11,4 % en 2024. C'est plus que les taux relevés avant la pandémie. Les analystes soulignent surtout que les feux verts qui auraient dû dégripper la consommation des ménages ne fonctionnent pas. En cause : un moral toujours au plus bas et un manque de confiance dans l'avenir.
Comment casser le cercle vicieux ? Car la perte de moral observée au travail et dans le quotidien freine la productivité des entreprises et plombe une économie allemande déjà en difficulté. L'étude note que le désinvestissement des salariés et la perte de productivité ont coûté entre 132,6 et 167,2 milliards d'euros.
L'Allemagne cherche à attirer et retenir les travailleurs étrangers
La nouvelle loi sur l'immigration en Allemagne facilite les démarches des talents étrangers non européens. Secouée par les pénuries de main-d'œuvre et la baisse démographique, l'Allemagne a entrepris une réforme profonde de son système migratoire. Permis à points, « carte des opportunités » facilitant la recherche d'emploi… Tout est fait pour attirer, et surtout retenir les travailleurs non européens. Avec quels effets ? Les premiers aménagements apparaissent en 2023 (réforme de la loi sur l'immigration des travailleurs qualifiés, qui aménageait déjà des conditions plus favorables pour les travailleurs qualifiés non européens). La réforme de 2023 est totalement déployée depuis le 1er juin 2024. Avec quels effets ?
À la rentrée 2023, les secteurs à forte croissance (santé, construction, énergie, l'enseignement…) font toujours face à d'importantes pénuries de main-d'œuvre. En cause : le vieillissement de la population (beaucoup de départs en retraite ne sont pas remplacés) et le manque de travailleurs. En 2023, les emplois non pourvus ont fait perdre 90 milliards d'euros à l'économie allemande, soit 2 % du PIB. La nouvelle loi est justement pensée pour rendre l'Allemagne plus attractive auprès des étrangers non européens. Les diplômes étrangers sont mieux reconnus, les démarches d'immigration sont facilitées, la naturalisation est accélérée. En 2022, le pays naturalise près de 170 000 étrangers. C'est +28 % en un an. Un record.
Pourquoi l'Allemagne peine à attirer les étrangers
Mais les talents étrangers n'affluent pas pour autant en Allemagne. Pire : certains quittent le pays. Les experts avancent plusieurs raisons, dont une qui concerne toute l'Europe : la montée de l'extrême droite. La percée de l'AfD. Les employeurs allemands partagent cette inquiétude et craignent d'avoir encore plus de mal à recruter des étrangers. Or, 40 % des emplois (1,7 million) sont actuellement vacants. L'Allemagne aurait besoin de 400 000 travailleurs étrangers chaque année. Les entreprises estiment que le discours radical de l'AfD, de plus en plus audible, décourage les expatriés et futurs expatriés. Ils préfèrent immigrer dans des pays plus ouverts.
Outre la percée de l'extrême droite, la morosité économique de l'Allemagne joue en sa défaveur. En 2023, l'Allemagne recule de la 12e à la 15e place des pays les plus attractifs de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Autres raisons qui expliquent les difficultés de l'Allemagne à retenir les talents étrangers : le climat et une langue allemande jugée difficile d'accès. La nouvelle loi sur l'immigration abaisse justement ses exigences en matière de langue pour attirer les candidats extra-européens.
Quelles solutions pour attirer et retenir les travailleurs étrangers ?
Toutes les grandes puissances recherchent des talents étrangers dans les mêmes domaines. Les entreprises allemandes rappellent que le contexte international les met en compétition avec les autres entreprises du monde. Pour les entreprises allemandes, recruter des travailleurs étrangers reste une nécessité : l'économie, internationale par essence, ne peut se passer de talents étrangers.
Renforcer la formation des managers
Si les entreprises comptent sur la réforme de l'immigration pour recruter, elles cherchent aussi à améliorer leur propre fonctionnement. Car le rapport Gallup montre que le désengagement des salariés vient en partie d'une perte de confiance dans le management. La quasi-majorité des managers allemands (97 %) estiment être compétents. Mais 69 % des salariés allemands déclarent travailler avec un mauvais manager. D'après le rapport, ces dissonances viennent souvent d'un manque de formation des managers. Or, bien comprendre son équipe est une des clés pour un meilleur investissement. C'est encore plus vrai lorsque l'équipe est internationale. Renforcer la formation des managers et impliquer davantage les salariés dans l'organisation du travail permettrait d'augmenter leur motivation.
Tester la semaine de 4 jours
Autre piste envisagée : la semaine à 4 jours. 71 % des travailleurs allemands y seraient favorables. La semaine de 4 jours s'inscrit dans une réorganisation de l'organisation du travail. La crise sanitaire et le développement du télétravail sont passés par là. À l'international, de plus en plus de grands groupes organisent le télétravail. Ceux qui ont voulu revenir à du 100 % présentiel se sont heurtés aux résistances des talents étrangers. Les employeurs allemands se disent prêts à tenter l'expérience. Ils souhaitent également renforcer la formation et l'intégration de leurs travailleurs (prise en compte du bien-être et de la santé mentale).
Promouvoir la culture allemande à l'étranger
Le gouvernement mise aussi sur la formation et n'hésite pas à lancer de vastes opérations de recrutement à l'étranger. En juillet, le ministre du Travail Hubertus Heil s'est rendu en Inde pour une opération séduction auprès des ingénieurs locaux. Le gouvernement enregistre déjà des succès : l'intérêt pour la langue allemande augmente, notamment en Asie du Sud-Est. D'après le ministère allemand des Affaires étrangères, 14 000 personnes apprennent l'allemand au Vietnam, 15 000 en Malaisie et plus de 17 000 en Thaïlande. Des chiffres encourageants, qui poussent le gouvernement à promouvoir davantage sa culture. En août, il met en place un programme pilote avec Singapour pour apprendre l'allemand aux élèves du secondaire. Singapour souhaite déjà proposer le programme aux formations plus avancées.
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