Le Japon simplifie sa politique migratoire pour attirer les talents étrangers

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Écrit par Asaël Häzaq le 07 mars, 2023
Avis aux talents internationaux. Le Japon cherche des travailleurs. La situation est particulièrement critique pour le pays qui subit, et le vieillissement de sa population, et des tensions toujours plus fortes dans nombre de ses secteurs économiques. Soutenir la croissance par l'immigration devient une urgence de chaque instant. Pour attirer et surtout faire rester les travailleurs étrangers, le Japon mise sur une nouvelle politique dont le mot d'ordre pourrait être : « simplification ».

Simplifier l'entrée des talents étrangers sur le territoire

Deux nouvelles voies pour faciliter la venue de talents étrangers ? C'est la nouvelle stratégie du Japon pour gagner en attractivité. Le ministère de la Justice a récemment présenté le Japan System for Special Highly Skilled Professionals (J-Skip) et le Japan System for Future Creation Individual Visa (J-Find), deux visas taillés pour les professionnels qualifiés et les hauts diplômés. Ces deux nouveaux systèmes entreront en vigueur en avril, à point nommé, donc, pour le début de la nouvelle saison des recrutements (au Japon, la rentrée scolaire et professionnelle est en avril).

J-Find visa

Le J-Find est un visa destiné aux demandeurs d'emploi diplômés des meilleures universités du monde. Le Japon se base ici sur le top 100 du QS Top Universities List, du Times Higher Education World University Rankings et du Shanghai Jiao Tong University's Academic Ranking of World Universities. Pour comprendre le discours du gouvernement, il s'agit d'attirer « les jeunes à haut potentiel ». Ces étudiants pourront rester deux années supplémentaires au Japon pour trouver un emploi. Ils devront avoir au moins 2 000 000 (environ 14 722 dollars) à leur arrivée au Japon ; le pouvoir veut s'assurer qu'ils pourront subvenir à leurs besoins. Ces étudiants diplômés pourront également, sous condition, faire venir leur famille.

J-Skip visa

Le J-Skip est réservé aux chercheurs, ingénieurs et cadres supérieurs. Ces derniers pourront éviter le système actuel (à l'instar du Canada, le Japon a développé un système de visa à points) puisqu'ils seront automatiquement considérés comme aptes à recevoir un visa de professionnel hautement qualifié. Pour information, le système actuel reconnaît les candidats ayant obtenu 70 points comme aptes à recevoir un visa de professionnel hautement qualifié.

Pour éviter le système à points, les talents étrangers devront remplir plusieurs conditions. Les chercheurs et ingénieurs devront gagner environ 20 millions de yens par an ; 147 000 dollars), être titulaires d'un Master et avoir au moins 10 ans d'expérience. On demandera aux cadres supérieurs au moins 5 ans d'expérience, et un revenu annuel de 40 millions de yens (près de 230 000 dollars).

Outre le fait d'éviter le système à points, le visa J-Skip offre d'importants avantages. Au bout d'un an seulement, les talents étrangers intégreront le « niveau 2 des professionnels » : ce statut leur permet de rester sans limites de temps sur le territoire, et sans restrictions professionnelles. Leurs conjoints pourront travailler à temps complet.

Rendre le Japon plus compétitif sur la scène internationale

Le Japon désespère d'attirer des étrangers qualifiés. En février 2022, l'Agence internationale de coopération internationale du Japon sonne une nouvelle alerte. L'État doit faire appel à l'immigration, et vite. Selon l'Agence, il manquera 6,74 millions de travailleurs étrangers dès 2040 (contre 1,7 million aujourd'hui), et déjà près de 800 000 en 2030, particulièrement dans le secteur des technologies de l'information. Pour Tokyo, la solution passe par ces nouvelles voies d'accès simplifié au travail. L'exécutif croit beaucoup en sa nouvelle stratégie. Hirokazu Matsuno, ancien ministre de l'Éducation, actuellement Secrétaire général du cabinet du Japon, se félicite de ces nouveaux systèmes qui établiront « un traitement préférentiel pour les personnes ayant des capacités de haut niveau. »

On a souvent reproché la lourdeur du système administratif japonais, avec des documents encore trop souvent uniquement en japonais, difficilement compréhensibles par les candidats. Les méthodes d'échanges sont elles aussi jugées obsolètes ou compliquées : envoi postal, et même le fax, sans oublier le précieux tampon (inkan, sceau) faisant office de signature. On peut s'en faire fabriquer à moindres frais, mais encore faut-il connaître les kanjis pour pousser la bonne porte. Le J-Find et le J-Skip ont justement été pensés pour simplifier les démarches des immigrants. Si l'intention est bonne, experts et entrepreneurs japonais redoutent un nouveau coup d'épée dans l'eau.

Japon : la difficile question de l'immigration ?

Créer de nouveaux visas ne suffit pas. On l'a vu en avril 2019, lors de la création de deux types de nouveaux visas, toujours en vigueur aujourd'hui. À l'époque, le Japon entend recruter au moins 340 000 travailleurs étrangers d'ici 2024. On sait aujourd'hui que les chiffres ne risquent pas d'être atteints. La Covid peut expliquer une partie des résultats, mais une partie seulement. Car dès leur mise en application, ces nouveaux visas suscitent la polémique.

En 2018, alors que le Japon planche sur sa nouvelle politique d'immigration, il dit prôner l'ouverture et promet des avancées spectaculaires. Le Japon n'est historiquement pas une terre d'immigration, mais veut changer son image sur la scène internationale, seul moyen de se rendre attractif. Le premier nouveau visa lancé en avril 2019 (limité à 5 ans) s'adresse aux étrangers moyennement qualifiés, capables de s'exprimer en japonais. Il n'offre pas la résidence permanente et ne permet pas de faire venir sa famille. Le second s'adresse aux étrangers hautement qualifiés, et leur offre bien plus d'avantages que le premier visa (durée de séjour, résidence permanente, parrainage familial). Les associations de défense des étrangers dénoncent un système injuste et non protecteur pour les détenteurs du premier visa. Elles font également remonter le problème de nombreux étrangers sous visa de stagiaires, mais qui seraient exploités par leurs employeurs.

Pour le gouvernement de l'époque, dirigé par Shinzo Abe, l'équation est complexe. Comment faire s'accorder les idées conservatrices du Parti Libéral-Démocrate (PLD), à la tête du pays depuis sa création ou presque (le parti est créé en 1955), et les besoins alarmants de main-d'œuvre ? Les voix les plus à droite du parti laissent planer l'idée d'encourager la robotique plutôt que l'immigration. Et la presse internationale de reprendre l'idée en l'appliquant à tout le Japon.

Recrutement des talents étrangers : le Japon cherche la bonne équation

La réalité du Japon est à mille lieues du folklore robotique. Derrière l'ouverture à l'immigration se cache une question identitaire longtemps redéfinie par le pouvoir. Les dirigeants successifs ont façonné un Japon « ethniquement homogène » en écartant volontairement des populations (Ainu, ha-fu (half/métis…). Une vision erronée, de plus en plus décriée par les Japonais.

Chercheurs et entrepreneurs japonais appellent le gouvernement à revoir sa copie, au risque, une nouvelle fois encore, de voir les talents étrangers lui préférer le Canada, le Royaume-Uni ou les États-Unis. Pour quelles raisons un étranger qualifié irait-il au Japon s'il peut se rendre dans un pays où il rencontrera moins de difficultés pour s'installer, pour communiquer ? Les chercheurs ont le verbe dur contre un pays incapable, selon eux, d'accueillir les vagues de travailleurs étrangers qu'il a pourtant lui-même appelés à plusieurs moments de l'histoire.

Car le Japon, bien qu'en manque de main-d'œuvre, peine encore à offrir un accueil convenable à tous les immigrants. Les visas de 2019 le montrent. Les nouveaux J-Find et J-Skip devront faire leurs preuves. Côté population, on reconnaît volontiers avoir besoin des étrangers. Un sondage de 2018 montrait déjà que 59 % des Japonais considéraient les étrangers comme un atout pour le pays. Reste à leur offrir des conditions d'accueil et de vie qui les incitent à rester.

C'est le défi qu'entend relever Fumio Kishida, Premier ministre issu du PLD. Pour attirer plus de talents étrangers, les chercheurs préconisent de se tourner davantage vers les profils qualifiés (notamment en Asie), quand bien même ils ne viendraient pas d'universités mondialement connues. Les entrepreneurs proposent un système d'avantages fiscaux dédiés aux travailleurs étrangers, pour contrer la faiblesse du yen.

Recul démographique : la solution migratoire

Les chiffres, eux, rappellent l'urgence de la situation : en février, le gouvernement annonce que le Japon a perdu près de 800 000 habitants l'an dernier. En cause : la hausse de la mortalité, en partie due à la crise sanitaire, et la baisse inexorable de la natalité. Un mois plus tôt, Kishida concédait être « sur le point de ne plus être en mesure de maintenir une société fonctionnelle ». L'immigration intervient comme la solution miracle. Reste au pouvoir de miser sur la bonne stratégie pour rendre le pays véritablement attractif et attirer durablement les talents étrangers.

Liens utiles :

JapanGov : the Government of Japan

Ministry of Foreign Affairs of Japan (MOFA) : visas

MOFA : working visas

Immigration Services Agency of Japan

A propos de Asaël Häzaq

Titulaire d'un Master II en Droit - Sciences politiques ainsi que du diplôme de réussite au Japanese Language Proficiency Test (JLPT) N2, j'ai été chargée de communication. J'ai plus de 10 ans d'expérience en tant que rédactrice web.