Tapis rouge et bonnes attentions : les travailleurs étrangers sont non seulement bienvenus, mais attendus avec impatience au Royaume-Uni. Le pouvoir britannique relaie les demandes pressantes des employeurs pour faire face à la pénurie de main-d'œuvre. Une position étonnante pour un pays qui, dans le même temps, semble vouloir refermer ses portes sur les étudiants internationaux. Alors que le Premier ministre britannique Rishi Sunak a rencontré vendredi dernier le président français Emmanuel Macron, que penser de la stratégie britannique ?
L'immigration : solution contre la pénurie de main-d'œuvre au Royaume-Uni
Qui aurait pu croire en 2016 que le Royaume-Uni serait aujourd'hui l'un des champions de l'immigration économique ? Malgré le Brexit, les travailleurs étrangers sont plus que jamais les bienvenus. Car pour rappel, l'une des grandes promesses du camp « pro-Brexit » était justement de réformer la politique d'immigration du pays pour limiter l'entrée des travailleurs étrangers (notamment européens). Le système de visa à points devait décourager les entreprises de recruter des étrangers, pour les faire se tourner davantage vers la main-d'œuvre locale. Les récentes études confirment cependant que le Brexit a contribué aux graves pénuries de main-d'œuvre qui sévissent depuis 2 ans.
Les entreprises ont été les premières à réclamer plus de souplesse pour embaucher des travailleurs. Il y a actuellement plus d'un million de postes vacants. Une situation qui ne pourra, selon elles, s'améliorer qu'avec l'immigration. Les Britanniques aussi l'ont bien compris. Selon un récent sondage paru dans The Guardian, à peine 29 % d'entre eux continuent de penser que la priorité nationale l'emporte en matière d'emploi. Ils étaient 65 % à le penser en 2009.
Ce retournement de situation s'observe au plus au sommet de l'État. Le gouvernement Sunak vient de dévoiler son nouveau plan pour assouplir les règles concernant le recrutement de travailleurs étrangers. Selon le journal Financial Times, l'un des premiers secteurs concernés serait la construction, qui souffre d'un cruel manque de main-d'œuvre depuis le Brexit. Les entreprises du BTP manquent de maçons, de plâtriers, de charpentiers, de couvreurs… Des pénuries qui nuisent à leur développement économique. Le gouvernement envisagerait donc d'assouplir les règles de visas pour permettre employeurs du BTP d'embaucher plus facilement des travailleurs étrangers. La liste des métiers sous tension serait également allongée, pour intégrer davantage de professions, les employeurs pourraient là encore embaucher plus facilement des travailleurs depuis l'étranger.
Étudiants étrangers au Royaume-Uni : portes ouvertes ou fermées ?
À quoi joue le gouvernement britannique ? Le ton monte entre le pouvoir et l'opposition. Difficile d'avoir une lecture claire de la stratégie Sunak, alors que l'exécutif souffle le chaud et le froid sur l'immigration.
Car dans le même temps, le même gouvernement serre la vis côté étudiants étrangers. Fin janvier, un rapport du journal The Times révèle que le gouvernement envisagerait de diminuer la durée du séjour des étudiants internationaux à l'issue de leurs études. Si ce plan était adopté, ces étudiants ne pourraient plus rester que 6 mois, contre 2 ans aujourd'hui. Mais dans le même temps, le gouvernement envisagerait aussi d'augmenter la durée légale de travail (de 20h à 30h par semaine) des étudiants britanniques et internationaux, pour faire face aux pénuries de main-d'œuvre… La limite de 20h par semaine avait pourtant été fixée pour protéger les étudiants, et notamment, les étudiants étrangers, de potentiels abus de la part d'employeurs peu scrupuleux. Il faut croire que l'économique a pris le dessus.
Que faire alors de ce projet pour réduire le nombre d'étudiants étrangers ? Porté par Suella Braverman, ministre de l'Intérieur, il s'inscrirait dans le plan du Premier ministre Sunak de réduire l'immigration globale sur le territoire. En 2022, sur les 1,1 million d'immigrants arrivés au Royaume-Uni, 476 000 étaient des étudiants. Le ministère de l'Éducation s'oppose fermement au projet de Braverman (laquelle dit agir au nom de Premier ministre…), qui rappelle que les frais de scolarités payés par les étudiants étrangers sont capitaux pour financer les universités. Même tonalité pour Universities UK, groupe représentant 140 universités britanniques. Le groupe craint de « graves conséquences », et pour la réputation du Royaume-Uni, et pour la croissance économique. Les entreprises sont du même avis. Au fond, tous s'interrogent sur la stratégie du gouvernement : oui à la force de travail des étudiants, mais non à leur séjour sur le long terme ?
Brexit chaotique ?
« Brexit chaos » « Brexit girouette ». Les opposants et la presse ne sont pas tendres avec le gouvernement Sunak. Ils jugent sa politique « déconcertante », pour ne pas dire « incompréhensible ».
Pour la députée et présidente du mouvement travailliste Stella Creasy, le gouvernement est « incapable de mettre en place un système d'immigration et d'asile qui fonctionne. » Dans un entretien accordé au Huffingtonpost, elle voit le Brexit, présenté au départ comme une opération « gagnant-gagnant », révéler ses vraies conséquences : tout le monde perd au change. Selon elle, à cause de la nouvelle politique de visas, travailleurs britanniques et étrangers « perdent des emplois et des opportunités. » Pour Creasy, il est « urgent » d'avoir une vraie réforme « de l'ensemble du système des visas ». Au lieu d'une vision à court terme, qui ne se préoccupe que des pénuries de main-d'œuvre, elle propose une vision sur le long terme, qui s'occupe, au-delà des pénuries, de construire la croissance économique et sociale du pays.
Car les dégâts sont déjà là. Les étudiants européens sont deux fois moins nombreux depuis le Brexit. Si la pandémie et l'inflation peuvent expliquer une partie des chiffres, le Brexit pèse lourd dans la configuration actuelle. Les universités britanniques comptaient 64 120 étudiants européens à la rentrée 2020-2021. Ils n'étaient plus que 31 400 à la rentrée 2021-2022. Depuis le Brexit, les Européens ont perdu leur avantage. Ils payaient auparavant les mêmes frais que les Britanniques (environ 10 000 euros par an maximum). Ils paient désormais les mêmes frais de scolarité que les étudiants internationaux (jusqu'à plus de 40 000 euros). Des frais exorbitants, qui refroidissent les aspirations des étudiants.
Apaiser les tensions, maintenir le cap : la stratégie Sunak
À demi-mot, beaucoup regrettent la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, même permis les anciens « pro-Brexit ». Sunak, lui, martèle et signe. Dans une interview accordée fin février à Sunday Time, il explique : « Je crois dans le Brexit, j'ai voté pour le Brexit, j'ai fait campagne pour le Brexit et je veux démontrer que le Brexit fonctionne pour chaque partie du Royaume-Uni. » Il maintenait déjà le même discours en novembre 2022, alors que des rumeurs le soupçonnaient de vouloir assouplir le Brexit pour se rapprocher de l'Union européenne. Mardi 7 mars, il présente un projet de loi « anti-immigration illégale » qui montre sa détermination. Et tant pis pour le droit international. Car avec ce projet, les immigrants venant illégalement sur le territoire ne pourraient pas demander le droit d'asile. La loi faciliterait leur détention, leur expulsion, et les interdirait à vie de revenir sur le territoire.
La rencontre avec Macron vendredi dernier à Paris, dans le cadre du premier sommet franco-britannique depuis 2018, donne un nouvel aperçu de la stratégie Sunak. Les deux chefs d'État veulent jouer la carte de l'apaisement, après des années de haute tension.