Si le sommet du G20 (en septembre 2023) ne s'est pas conclu sur de grandes annonces, il aura permis à l'Inde, pays organisateur, alors président du G20, de montrer au monde son prestige. Tapis rouge déroulé pour les chefs d'État étrangers, quitte à ériger au pas de course des infrastructures flambant neuves pour masquer les bidonvilles. C'est qu'il faut choyer les hôtes pour toucher davantage de chefs d'entreprises, et nouer encore plus de partenariats. De quoi attirer les talents étrangers ?
Un géant économique qui attire les investisseurs étrangers
À première vue, l'Inde a tout pour séduire les candidats à l'expatriation. Sa croissance économique soutenue depuis les années 90 (7 % cette année, selon les estimations du ministère indien des Finances) pourrait bien la hisser sur le podium des 3 puissances économiques mondiales. L'Inde a déjà dépassé le Royaume-Uni, l'ancien pays colonisateur, en devenant la 5e puissance économique mondiale. D'après le FMI, l'Inde pourrait supplanter l'Allemagne (qui a elle-même supplanté le Japon en février 2024) dans les 3 ans. Elle deviendrait alors la 3e puissance économique mondiale, derrière la Chine et les États-Unis. La croissance économique indienne ne cesse de battre des records, pour le plus grand bonheur de Narenda Modi, aux commandes du pays depuis 10 ans.
Parmi ses bottes secrètes, les partenariats internationaux. France, États-Unis (l'Inde a conclu des méga contrats avec Airbus et Boeing ; Apple délocalise une partie de sa fabrication d'iPhone en Inde…), Canada, Qatar, Émirats arabes unis (EAU), Arabie saoudite, entre autres. L'Inde, terre d'investissement, se voit aussi nouvelle plaque tournante internationale. Une aubaine pour les travailleurs étrangers. Ils restent cependant très peu nombreux : à peine 0,4 %, selon l'expert en assurances d'expatriés William Russell.
Des formalités de visa complexes
Il faut se lever tôt pour décrocher un visa de travail en Inde. D'après l'étude de William Russell publiée le 21 février 2024, l'Inde est le pays dans lequel il est le plus difficile d'immigrer, devant l'Australie et la Finlande. À contrario, les expatriés indiens forment la plus grande diaspora au monde, avec plus de 30 millions d'expats d'après les chiffres des autorités indiennes (10 millions selon l'ONU). Parmi les facteurs étudiés par le rapport William Russell figurent les frais estimés de visa, le revenu minimum à avoir et le délai moyen de traitement des demandes. L'Inde attire beaucoup moins d'expatriés que les terres d'immigration : Australie, Canada, États-Unis, France... Ces pays restent plébiscités par les étudiants et les travailleurs étrangers, malgré des procédures parfois longues et complexes. Selon l'étude, l'Australie compte 30,1 % d'expatriés. Le Canada, les États-Unis et la Finlande en comptent respectivement 21,3 %, 15,3 % et 7 %.
Obtenir un visa de travail en Inde coûtera en moyenne 543 dollars et nécessitera de gagner au moins 19 500 dollars. Les délais de traitement de la demande de visa varient entre 10 et 15 jours ouvrables. C'est bien moins que la Finlande (90 jours) et l'Australie (entre 4 et 8 mois). L'Inde est aussi plus rentable côté salaire minimum exigé : l'Australie demande en moyenne 58 600 dollars ; la Finlande exige au moins 68 170 dollars. Le visa de travail indien reste compétitif : s'il est un peu plus cher que le visa de travail finlandais (414 dollars pour le visa finlandais), il est bien moins cher que le visa de travail australien (2000 dollars en moyenne). Mais le principal frein de l'Inde, outre la complexité des procédures, est la faible proportion de résidents étrangers.
S'expatrier en Inde : mission très difficile
Selon l'étude, le nombre de résidents étrangers d'un pays apporte des informations précieuses. Est-il facile ou non de s'y intégrer ? La politique d'immigration du pays promeut-elle un meilleur accueil pour les étrangers ? Quelle est la culture du pays en matière d'immigration ? La complexité des formalités pour décrocher un visa aux États-Unis, au Canada ou en France ne décourage pas les candidats étrangers. Les politiques strictes en matière d'immigration ne freinent pas non plus les expatriés. C'est notamment vrai pour les expatriés indiens. D'après les chiffres (octobre 2023) du ministère indien des Affaires étrangères, ils sont 4 460 000 aux États-Unis, 3 425 144 aux Émirats arabes unis (EAU), 1 764 000 au Royaume-Uni, 1 689 055 au Canada, et 473 520 en France métropolitaine et d'outre-mer.
Inversement, la France ne compte que 6969 ressortissants en Inde inscrits sur le registre des Français de l'étranger en 2023. Les expatriés britanniques sont un peu plus de 30 000. Même estimation pour les ressortissants américains. À chaque État sa politique migratoire et sa vision des partenariats internationaux. Confrontées au vieillissement de leur population et aux pénuries de main-d'œuvre, les grandes terres d'immigration continuent de miser sur la main-d'œuvre qualifiée, tout en durcissant les conditions d'éligibilité aux visas. Elles restent néanmoins dépendantes de la main-d'œuvre étrangère. En Inde, le constat est différent. Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, Narendra Modi joue sur la carte « diaspora » pour nouer des partenariats à l'étranger. Mais percer le marché indien reste très difficile.
L'exemple de la France
Le 14 juillet 2023, il est l'invité d'honneur du président Macron ; les deux présidents célèbrent les 25 ans du « partenariat stratégique » franco-indien. L'invitation crée la controverse, Modi étant régulièrement épinglé pour son virage autoritaire, mais Macron assume. À la clé : un renforcement de la position française dans l'indopacifique et de nouveaux investissements. D'après le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, les exportations françaises en Inde ont atteint 6 milliards d'euros en 2022. C'est 2 fois plus qu'en 2012. Les investissements français en Inde ont été multipliés par 4 sur la même période. Plus de 540 entreprises et filiales françaises sont présentes en Inde, et « emploient près de 300 000 personnes ». Mais en 2021, le ministre français de l'Économie Bruno Lemaire regrette un marché indien encore relativement fermé, surtout pour « l'agroalimentaire, l'automobile et l'industrie pharmaceutique. »
C'est tout le paradoxe de la stratégie Modi. Ses « ambassadeurs de marque », nom qu'il donne aux expatriés indiens, lui servent à percer les marchés étrangers. Les expatriés indiens sont notamment présents aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et dans les pays du Golfe. Le 14 juillet 2023, la visite de Modi en France débouche sur un nouvel accord bilatéral en faveur des étudiants indiens. La France en accueillera 20 000 d'ici 2025 et 30 000 d'ici 2030. D'autres mesures favorables aux expatriés indiens figurent dans l'accord. Mais pas de réciproque. L'accord ne vise pas à augmenter le nombre d'étudiants français en Inde. La politique de Modi ne cherche pas à faire bondir le nombre d'expatriés en Inde. Car le pays a déjà ses talents, qui désespèrent de trouver un emploi.
Talents étrangers, talents locaux, perspectives de carrière
Contrairement aux États-Unis, au Canada, à Australie, à la France ou à la Finlande, l'Inde n'est pas confrontée au vieillissement de sa population. Chez les autres puissances, l'immigration est un enjeu économique et démographique. En Inde, près de la moitié de la population a moins de 25 ans. L'âge médian est d'à peine 29 ans en 2023. Le géant économique est aussi une puissance démographique, qui a dépassé la Chine, elle aussi confrontée au vieillissement de sa population.
Mais le géant économique court avec des pieds d'argile. Malgré les 7 % de croissance, le chômage est élevé (8,3 % en décembre 2023), surtout chez les jeunes. Un peu plus de 40 % des jeunes diplômés cherchent un travail. Les jeunes diplômés sont contraints d'accepter des métiers sous-payés. La croissance indienne masque une économie fonctionnant majoritairement grâce au secteur informel. Des petits boulots précaires dans le bâtiment, la restauration, les services sans réelles perspectives de carrière. D'où les projets d'expatriation de diplômés indiens courtisés par les puissances économiques en manque de talents étrangers.
On comprend mieux pourquoi l'exécutif indien ne se lance pas dans une politique marquée pour accueillir davantage de travailleurs étrangers. L'Inde a déjà ses talents locaux et se montre d'autant plus sélective vis-à-vis des expatriés. Les professionnels étrangers expérimentés et hautement qualifiés auront le plus de chance de retenir l'attention des recruteurs. Ils trouveront davantage de postes au sein des entreprises internationales implantées en Inde. Les principaux secteurs qui recrutent se trouvent dans l'automobile, l'énergie, la santé, l'aéronautique, ou encore, les télécommunications. Révolution de l'intelligence artificielle (IA) oblige, les nouveaux métiers liés à l'IA, et plus largement, aux nouvelles technologies, sont susceptibles de rechercher des profils étrangers très qualifiés.