En Allemagne, Zalando épinglé par son système de notation digne «des méthodes de la Stasi»
La société allemande a mis en place pour 5 000 de ses employés un logiciel d'évaluation des salariés par leurs propres collègues. Dans une étude fouillée, plusieurs d'entre eux dénoncent une ambiance délétère et une pression accrue au travail. Le site d'e-commerce dément.
En Allemagne, Zalando épinglé par son système de notation digne «des méthodes de la Stasi»
«C’est une surveillance à 360 degrés. Je n’ai pas le droit de passer une mauvaise journée». «Souriez à tout le monde, tout le temps. Sinon, cela peut vous coûter cher». Sous couvert d’anonymat, ces employés du site berlinois de commerce électronique Zalando racontent comment ils vivent le fait d’être «ranké» en permanence par le logiciel Zonar. Ce système d’évaluation des salariés par leurs propres collègues a été mis en place par l’entreprise sur 5 000 de ses 14 000 employés.
Deux chercheurs de l’université Humboldt, à Berlin, Philipp Staab et Sascha-Christopher Geschke, ont étudié le fonctionnement de Zonar pendant deux ans. Leurs conclusions, publiées dans un rapport de la fondation Hans Böckler – proches des syndicats –, sont dignes d’un épisode de Black Mirror. «Il s’agit essentiellement d’évaluer, de contrôler et de sanctionner en permanence les employés à l’aide des technologies numériques modernes», estiment-ils. L’entreprise crée «de la surveillance, de la pression et du stress». Ils ajoutent, évoquant un concept cher à Michel Foucault dans Surveiller et punir : «Zonar représente un système très complet, quasi panoptique, de contrôle des performances.»
«Culture vivante du feedback»
Dans une logique que le chef du groupe parlementaire Die Linke au Bundestag, l’assemblée parlementaire allemande, Dietmar Bartsch, qualifie «d’orwellienne», les salariés sont invités à se noter entre eux : leurs forces, leurs faiblesses, leur comportement social sont évalués de manière «horizontale». Ensuite, un algorithme génère des scores individuels sur la base des informations recueillies, ce qui permet de les diviser en trois groupes : faibles, bons et très performants (en anglais dans le texte : Low, Good et Top-Performer). L’entreprise utilise ces données pour évaluer la carrière des salariés, leur accorder ou leur refuser des augmentations par exemple.
Si ces pratiques évoquent chez certains employés berlinois des souvenirs pénibles liés aux méthodes de la Staatssicherheit (ou Stasi), le point de vue de Zalando est tout autre. L’entreprise qualifie Zonar de «système de gestion des talents», par le biais d’une «culture vivante du feedback». La société allemande fondée en 2008 ajoute qu’elle rétribue équitablement ses employés et qu’elle ne contrevient pas aux diverses législations sur la protection des données.
Interrogé par le Süddeutsche Zeitung, un employé se dit plutôt satisfait de ce système, tout en ajoutant cette remarque : «Cela fait qu’on protège ses propres intérêts, son propre domaine, plutôt que de travailler tous ensemble.» Les auteurs de l’étude affirment en outre que Zalando fait en sorte que le groupe de «Top-Performers» soit systématiquement réduit au minimum. Dans l’étude, l’un d’eux raconte cette anecdote glaçante, une histoire de chantage : l’an dernier il était Top-Performer, il a reçu des primes. Sauf qu’on lui a demandé de baisser la note d’un de ses collègues afin qu’on puisse le classer parmi les «Low». Ou bien, lui a-t-on signifié, «tu n’es plus un Top-Performer». Zalando dément.
«Diviser pour mieux régner»
Ce n’est pas la première fois que les conditions de travail de l’entreprise allemande sont dénoncées par voie de presse. En 2014, une journaliste de la chaîne RTL s’était infiltrée dans l’usine d’Erfurt, en Thuringe, et son reportage dénonçait des conditions de travail infernales, des cadences impossibles, et des employés sous pression.
Depuis la révélation de l’étude, les réactions se sont succédé. Dans un forum de lecteurs de la Süddeutsche Zeitung, beaucoup affirment que ce type de logiciel n’est pas l’apanage de Zalando, et citent d’autres entreprises allemandes qui y auraient recours. Côté politique, l’indignation domine. L’un des candidats à la présidence du SPD, Norbert Walter-Borjans, voit là une «tendance» destinée à «s’accentuer» : «Diviser pour mieux régner peut générer des profits pour certains. De plus en plus d’employés le paient cher, avec une pression croissante à la performance et une déshumanisation du monde du travail. Les politiques doivent réagir.» https://www.liberation.fr/planete/2019/ … si_1764577 . jean luc