Burkini à Grenoble : le service public doit-il aller jusque dans nos maillots de bain ?
Opposée à la promotion comme à l'interdiction du burkini, la féministe libérale Mathilde Berger-Perrin déplore une nouvelle polémique sur un vêtement féminin.
Riche actualité pour les nageuses ! La mairie de Grenoble a annoncé autoriser ses piscines municipales à accueillir les femmes en burkini, alors qu'en Allemagne, la piscine municipale de Göttingen autorise les femmes à nager seins nus, par souci d'égalité avec les hommes. Si la décision outre-Rhin est accueillie sans heurts, la polémique fait rage en France.
La semaine dernière, l'Alliance citoyenne listait fièrement sur son blog du Club de Mediapart pas moins de 100 associations féministes en faveur du burkini dans les piscines. Qu'y a-t-il de féministe à défendre le port de tout vêtement qui nie l'identité, et dont l'absence est passible de violence en Iran ou en Afghanistan, où la burqa vient d'être rétablie ? En janvier dernier, la journaliste iranienne Masih Alinejad appelait les féministes à se soulever contre le port du voile obligatoire lors du World Hijab Day. Dans l'espace public, les vêtements islamiques incarnent une aporie du féminisme. Il n'y a pas de curseur : on est pour ou contre. Pour moi, défendre le port du voile comme le signe d'une émancipation féminine n'a rien d'un progrès social. Mais l'interdire non plus, si cela prive des femmes d'espaces publics.
Tout comme je ne pense pas qu'une femme en bikini soit automatiquement une victime du patriarcat, je ne penserai pas que le burkini soit nécessairement le signe d'une domination masculine. Pourquoi ? Parce que je me refuse de penser à la place des autres. Définir les intentions d'autrui, c'est ouvrir la porte à une politique totalitaire. Certaines féministes ont tendance à l'oublier. En France, des années d'Etat de droit nous ont donné le pouvoir de brouiller les lignes. Le port du voile ou du burkini peut être le signe d'une soumission patriarcale comme celui d'une revendication politique, ou tristement identitaire, qui n'a rien d'imposée. On ne se figure pas toujours que ce vêtement puisse aussi être le prix d'une liberté, fixé par les hommes : pouvoir aller à la piscine, rejoindre une équipe de foot, travailler ou conduire. Certaines, résignées, y ont aussi trouvé une parade au harcèlement de rue. Pour cela, interdire est aussi dommageable qu'applaudir. Aucune de ces raisons n'est joyeuse, mais tant qu'on aura un doute sur la motivation, on ne peut pas plus interdire le burkini que des t-shirts de Che Guevara. De même qu'on ne saura pas si le port du bikini est motivé par la séduction, l'homogénéité d'un bronzage, l'esthétique du maillot, ou la photosynthèse.
Ce qui est triste dans cette histoire, c'est que le vêtement des femmes soit encore un sujet de débat, et le regard des hommes un baromètre. Quand le corps des femmes cessera-t-il d'être vu avec des yeux puritains ? En France (y compris en dehors des communautés religieuses, à en juger les polémiques sur le crop top au lycée) personne n'a la même définition de la pudeur. C'est ce qui nous sépare d'un régime autoritaire. Quand je vois une femme en burkini, je trouve ça affligeant. Mais ça ne m'empêchera pas de nager entre elle et une Allemande de Göttingen. À qui profite alors cette autorisation ? Les premiers intéressés sont ceux que la nudité braque pour des raisons bigotes. Les secondes sont ces femmes qui peuvent désormais se baigner. Mais qui les en empêchait ? C'est un autre débat.
Que des politiques fassent leur popularité sur ces débats devrait choquer. Le service public doit-il aller jusque dans nos maillots de bain ? Si les piscines de Grenoble étaient privées, cette polémique n'aurait jamais eu de retentissement national. Quand les autorités statuent, même de façon permissive, elles remettent des pièces dans la machine identitaire.
Au nom du féminisme, militons pour que chacune puisse porter ce qu'elle veut. Défendre ou interdire un vêtement féminin, c'est mimer les pratiques des cultures oppressives. Il est surtout temps que le vêtement féminin ne soit plus politique. La question ne s'est jamais posée pour les hommes, et c'est ça, la grande injustice ! Alors, bientôt tou.te.s nudistes ?