Ascension sociale en France : le parcours des descendants d'immigrés

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Écrit par Asaël Häzaq le 21 août, 2024
« L'ascenseur social est en panne ou cassé ». C'est la formule généralement employée pour qualifier le marché du travail en France (l'école est aussi concernée). Peu de méritocratie, peu d'égalité des chances pour les descendants d'immigrés. Beaucoup d'élitisme et de reproduction sociale. Le dernier rapport de l'INSEE vient nuancer les propos. L'ascenseur social fonctionne. Mais fonctionne-t-il « bien » ? Analyse.

Étre immigré en France : rappel des définitions

« Immigré », « immigration ». En France, le mot provoque des débats toujours brûlants. Confère la dernière réforme de l'immigration, votée dans la douleur en janvier 2024. Si le torchon brûle, c'est d'abord parce qu'il y a incompréhension (voulue ou non) sur les termes. D'après le Haut Conseil à l'Intégration, un immigré « est une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. » Un immigré peut devenir Français. « Immigré » et « étranger » ne sont pas synonymes ; les deux notions « ne se recoupent que partiellement : un immigré n'est pas nécessairement étranger et, réciproquement, certains étrangers sont nés en France (essentiellement des mineurs). »

L'État français précise que la notion d'« immigré » n'a aucune valeur juridique, contrairement à la catégorie « étranger » qui est un statut juridique. La notion d'« immigré » a été construite avant tout « à des fins d'études ». Opposer « immigré » et « Français » n'a donc pas de sens, car un immigré peut être Français. Si l'on peut émettre des différenciations, on les appliquera entre les étrangers et les Français ou entre les immigrés et les personnes sans ascendance migratoire.

Le dernier recensement de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) effectué en 2021 compte 7 millions d'immigrés en France (10,3 % de la population). 2,5 millions d'immigrés sont devenus Français. Contrairement aux idées reçues, le niveau d'immigration en France est faible, comparativement à la taille de son économie. Il est plus faible que les niveaux italiens et allemands (respectivement 8,7 % et 12,7 %).

Une forte mobilité ascendante chez les descendants d'immigrés

L'INSEE a récemment publié un rapport (le 23 juillet) sur l'ascension sociale des descendants d'immigrés. Menée sur la période 2019-2020, l'étude montre une forte mobilité sociale ascendante chez les descendants de la première génération d'immigrés. Leur position est presque similaire à celle des personnes sans ascendance migratoire directe. D'après l'étude, 14 % des 35-59 ans ayant leurs deux parents immigrés occupent une position de cadre. Le chiffre se rapproche de celui des personnes sans ascendance migratoire (19,7 %). Les deux groupes obtiennent des résultats encore plus proches concernant les professions intermédiaires (respectivement 25,9 et 25,2 %).

En comparaison, la situation des parents immigrés était généralement plus précaire : les pères cadres étaient 2 à 5 fois moins nombreux (l'écart se creuse lorsque les deux parents sont immigrés). Les pères non qualifiés étaient 2 à 3 fois plus nombreux. La proportion des mères sans activité professionnelle était plus importante. 47 % des descendants d'immigrés ont une mère qui n'a jamais travaillé. Le chiffre tombe à 34 % pour les individus sans ascendance migratoire. Mais qu'ils aient eu leurs deux parents en activité ou non, les descendants d'immigrés se sont davantage élevés socialement que les personnes sans ascendance migratoire. 37 % des hommes descendants d'immigrés appartiennent à un groupe social salarié supérieur à celui de leur père. 49 % des femmes descendantes d'immigrés relèvent d'un groupe social salarié supérieur à celui de leur mère. Les chiffres tombent respectivement à 27 % et 39 % pour les personnes sans ascendance migratoire. La mobilité descendante existe également, dans de faibles proportions, et concerne davantage les personnes sans ascendance migratoire.

Quels secteurs d'activités emploient le plus d'immigrés en France ?

En pleine bataille pour défendre sa réforme controversée sur l'immigration, le Président Macron se dit « lucide ». Interrogé en décembre 2022 dans le journal français Le Parisien, il affirmait : « […] Est-ce qu'on pense sincèrement que la restauration, les travaux agricoles et beaucoup d'autres secteurs tournent sans immigration ? (…) La réponse est non ! »  Un peu plus tôt, en septembre 2021, une étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES, dépendante du ministère du Travail) révélait des surreprésentations de travailleurs immigrés dans certains secteurs professionnels. Il faut néanmoins noter que les conclusions s'appuient sur les chiffres de 2017, date du dernier recensement exploitable à l'époque.

Des métiers en tension qui dépendent des travailleurs immigrés

Selon les chiffres de la DARES, un emploi sur 10 est occupé par un travailleur immigré. 38,8 % des employés de maison sont immigrés. Ce secteur des services à la personne est celui qui compte le plus de travailleurs immigrés, devant le secteur du gardiennage et de la sécurité (28,4 %), des ouvriers non qualifiés du gros œuvre (27 %) et des ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment (24,8 %). 22 % des cuisiniers, 19,3 % des ouvriers qualifiés de travaux publics/d'agents d'hôtellerie-restauration, et 16,9 % de chefs d'entreprise et cadres d'hôtels, de cafés ou de restaurants sont issus de l'immigration.

Les chiffres sont encore plus importants en Île-de-France, où les travailleurs immigrés représentent 22,1 % de la population active. La région compte 12 secteurs occupés à plus de 39 % par les travailleurs immigrés : parmi eux, les aides à domicile (61,4 %), les ouvriers non qualifiés ou qualifiés du gros œuvre (60,7 %), les cuisiniers (50 %) et les assistantes maternelles (43,6 %). Au niveau local comme national, les secteurs d'activité employant le plus d'immigrés partagent un point commun : une forte exposition à la pénurie de main-d'oeuvre.

Contrairement aux propos tenus lors des débats sur la réforme de l'immigration, l'économie française ne peut se passer de la main-d'œuvre immigrée. C'est notamment le cas dans les secteurs essentiels, frappés par les pénuries. Loin de peser sur la fiscalité, l'immigration a un impact positif sur la croissance française. Mais les travailleurs immigrés comblent également les vides laissés par les non-immigrés (moins présents dans les métiers en tension, plus contraignants).

L'ascenseur social fonctionne-t-il vraiment ?

On rappelle que les chiffres de 2021 (qui reprennent ceux de 2017) sont à nuancer, notamment au regard de la dernière étude de l'INSEE sur la mobilité ascendante des descendants d'immigrés. On note cependant qu'en 2024, ces secteurs d'activité restent parmi les plus gros employeurs en France. L'INSEE rappelle cependant qu'ils cumulent plusieurs points négatifs. Les conditions de travail sont souvent contraignantes (tâches répétitives, travail physique, horaires décalés, faible rémunération et niveau de qualification, peu de perspectives de carrière…).

La dernière étude de l'INSEE montre justement que les descendants de la première génération d'immigrés ont une mobilité sociale ascendante quasi similaire aux travailleurs sans ascendance migratoire directe. L'une des clés de cette réussite réside dans l'augmentation du niveau de qualification. En 2023, un rapport de l'INSEE montre que la part des diplômés de l'enseignement supérieur long (Bac+3 ou plus) est quasi la même pour les immigrés et les non-immigrés (respectivement 24 % et 25 %). 47 % des 30-39 ans descendants d'immigrés sont diplômés de l'enseignement supérieur. Les enfants d'immigrés ont généralement un diplôme plus élevé que leurs parents.

Mais si le niveau de diplôme progresse, les enfants d'immigrés font toujours face à des inégalités sociales qui freinent leur ascension. L'Observatoire des inégalités estime qu'à « âge, niveau de diplôme, catégorie socioprofessionnelle, sexe et lieu d'habitation comparables […] le risque d'être au chômage [augmente] de 23 % pour les descendants d'immigrés venus d'Europe ; il est multiplié par près de deux pour ceux qui ont au moins un parent né en Afrique. »

Le défi de l'ascension sociale

Conscient de ces inégalités, le gouvernement français a renforcé sa lutte contre les discriminations. Des disparités demeurent néanmoins, comme l'attestent les nombreuses expériences de testing (tests servant à mesurer les discriminations). De son côté, l'INSEE observe que l'obtention d'un diplôme reste le moteur de l'ascension sociale. La mobilité ascendante des descendants d'immigrés participe non seulement à la croissance française, mais aussi à son rayonnement à l'international.