Hausse des prix, expatriation et retraite
La hausse des prix touche tout le monde, à des degrés différents. Les retraités à l'étranger peuvent se retrouver dans une situation délicate. Leur pension ne suffit pas toujours à couvrir toutes leurs dépenses ; l'inflation n'a fait que comprimer leur pouvoir d'achat. D'autres s'en sortent mieux, comme Thierry. Installé à Agadir, il ressent peu les effets de l'inflation dans son quotidien. « Nous sommes un couple de retraités français installés à Agadir. Si nous étions salariés, les réponses seraient sans doute différentes. L'inflation impacte assez peu notre quotidien. Nos pensions n'évoluent pas (enfin pour l'instant), mais comme nous consommons très majoritairement des produits locaux, même si les prix augmentent un peu, ça n'a pas un gros impact sur notre budget. »
Sentiment partagé par Alain : « Si nous étions salariés, la réponse pourrait être différente. L'inflation a peu d'impact sur notre vie en Espagne, même si cela fait râler de voir certaines factures monter en flèche, surtout sans aucune raison valable. Les produits locaux augmentent un peu - essentiellement à cause des grandes entreprises de carburant et d'électricité, par exemple - qui se goinfrent joyeusement, et donc impactent aussi les produits de proximité. »
Mais pour les deux retraités, pas question de remettre en question leur vie à l'étranger. « Sur un plan général (international), la situation risque de s'aggraver », analyse Thierry. Mais « la hausse du coût de la vie ne nous a pas amenés à reconsidérer notre expatriation. ». Alain confirme : « Non, bien sûr, cela ne nous fera pas reconsidérer notre expatriation. »
Poussée inflationniste et flambée des inégalités
Un coût de la vie difficilement supportable pour les uns
« L'inflation, ici, en Bulgarie vient d'atteindre un taux annualisé de 16,9 % », rapporte Gwynj. « Les hausses dans les services publics et les transports ont été nettement supérieures à ce chiffre global. Je pense que ces hausses sont assez brutales pour de nombreux Bulgares, d'autant plus que le salaire minimum légal n'est toujours que de 360 euros par mois. Et de nombreux retraités doivent survivre avec des pensions bien inférieures à ça. »
Comme le rappelle Gwynj, la Bulgarie est le pays le plus pauvre de l'Union européenne (UE), en termes de PIB par habitant. En 2021, le PIB par habitant bulgare s'élève à 17 900 SPA (standard de pouvoir d'achat). La Grève, la Slovaquie, la Croatie, et Chypre sont également des pays aux SPA les plus faibles. Mais leurs chiffres restent supérieurs à celui de la Bulgarie (respectivement 20 900, 22 000, 22 600 et 28 300 SPA).
À Chypre, justement « les prix de l'essence et des biens sont en hausse », explique Kyriakos. « Dans les supermarchés, les prix, en général ont augmenté de 20 %. Le coût de la vie est à son pire niveau. Les Chypriotes sont en difficulté en ce moment. Le salaire minimum est très bas par rapport au coût de la vie. »
Une situation encore abordable pour d'autres
Gwynj voit bien l'augmentation des inégalités entre les États, et entre les habitants d'un même État. Pour lui, pas étonnant que la hausse du coût de la vie soit « assez abordable pour les étrangers relativement aisés », et pas pour les autres. L'expatrié prend en exemple sa propre situation, qu'il sait plutôt confortable par rapport à d'autres résidents moins bien lotis. « Par exemple, ma dernière facture d'eau était de 6 euros et mes dernières factures d'électricité étaient de 30 euros (appartement) et 5 euros (maison). Internet (fibre) à la maison et à l'appartement est à moins de 10 euros pour chaque logement. Les frais d'entretien de mon appartement sont de 5 euros. La taxe foncière pour l'appartement est de 67 euros par an. Un trajet en bus à Plovdiv, deuxième ville de Bulgarie, coûte toujours 50 centimes d'euro. Je viens de réserver des billets pour voir Tosca [...], au célèbre amphithéâtre romain de Plovdiv [...], pour 10 euros. »
Électricité, gaz… la crainte d'un hiver encore plus compliqué
Kyriakos résume bien ce qu'il se passe : « Malheureusement, Chypre est un paradis uniquement pour les riches qui s'y installent. Pour les Chypriotes, c'est un enfer vivant. ». Et même lorsque les revenus permettent de supporter l'inflation, l'augmentation brutale du coût de la vie pèse sur les budgets. « Nous avons plus de chance que la plupart, reconnaît Toon, résident à Chypre, mais nous venons d'avoir une facture d'électricité et c'est presque le double de ce que nous nous attendions à payer. Le coût d'ajustement du carburant est supérieur à la consommation réelle. Les travailleurs et les familles, qu'ils soient locaux ou étrangers, sont en difficulté. »
Jean-Luc confirme. Il anticipe des jours sombres pour l'Allemagne, son pays d'accueil. « 8,5% de hausse des prix, la pauvreté qui explose, de nombreux Allemands qui doivent avoir recours aux banques alimentaires […]. On craint une pénurie de gaz pour l'hiver prochain. Ça serait la plus grave crise sociale jamais connue. » Les patrons le disent : des millions d'Allemands risquent de perdre leurs emplois, des millions d'Allemands sans chauffage. Et Jean-Luc de redouter des « manifestations très violentes ». Lui-même subit la crise actuelle. « Je suis chauffé au gaz. Je n'ai pas de solution de rechange, comme la géothermie. Trop cher. En plus, ma chaudière est sous le toit, et non à la cave. Seule solution : changer ma chaudière de 26 ans pour consommer moins. J'ai commandé un poêle à bois mais j'ignore quand il sera livré. Les appareils se font rares, et le bois aussi ». Beppi partage les mêmes inquiétudes. « […] Le coût du chauffage était déjà élevé avant la crise. Mais son prix a quadruplé. Les salaires n'ont pas bougé. La récession à venir ne laisse pas espérer que cela puisse changer. »
Les tensions géopolitiques ont-elles accéléré l'inflation ?
Les crises se succèdent aux crises et grèvent les budgets d'individus déjà en difficulté. La Covid-19 a frappé les économies du monde entier. Certaines s'en remettent mieux que d'autres. Toutes doivent désormais composer avec un virus toujours présent, et des vagues épidémiques qui mettent à mal les politiques de croissance. Pour Tomin Stuttgart, la guerre en Ukraine a contribué à accélérer la poussée inflationniste. « C'est de loin le facteur le plus important et ses effets se répercutent sur l'économie mondiale, l'environnement et la cohésion sociale. […] L'inflation était faible depuis des années. C'est une tendance récente, principalement causée par la guerre de Poutine et certaines des complications logistiques dues à Covid. »
À mesure que la guerre en Ukraine dure, les populations sont tiraillées entre poursuite de la lutte, et épuisement psychologique. Certains esprits se lassent et réclament la paix. À quel prix ? L'Ukraine est le premier témoin de ces tiraillements, entre ceux qui continuent de lutter et ceux qui veulent en finir. Tous deux partagent pourtant un objectif commun : mettre fin à la guerre et retrouver une vie « ordinaire ». Mais l'inflation complique tout. Sans compter les autres zones de tension, comme dans le Pacifique sud, avec l'ombre de la Chine sur Taïwan. Sans compter toutes les autres guerres sans nom, les menaces territorialisées, qui maintiennent les populations dans une pauvreté alarmante.
Que font les gouvernements ?
Fred encense la politique de l'Indonésie, son pays d'accueil. « Ici, le gouvernement fait au mieux pour garder les prix de l'énergie stables. Grâce à cette politique, la crise du coût de la vie est beaucoup moins un problème ici. » Stumpy vit en Nouvelle-Zélande et parle d'un coût de la vie en hausse de 7,3% en glissement annuel. C'est le plus haut niveau jamais atteint depuis plus de 30 ans. Principales causes : la hausse des prix des carburants, du logement et de la nourriture. Pour juguler ces augmentations, la Nouvelle-Zélande a relevé son taux d'intérêt de référence à son niveau le plus haut. Les États-Unis, le Canada ou les pays européens ont eux aussi opté pour cette solution. Pour ces États, il faut vite calmer la poussée inflationniste. Mais d'autres pays font le choix inverse pour stimuler la croissance. C'est le cas du Japon, de la Turquie ou de la Chine.
Inflation et investissements
Comment gérer ses investissements en pleine inflation ? Cccmedia réside en Colombie et constate l'impact de la hausse générale des prix sur ses placements financiers. « Je n'ai pas ressenti l'effet de l'inflation ici à Medellín (ville de Colombie) ou à Quito (capitale de l'Équateur). Je peux voir l'effet supposé de l'inflation sur mes portefeuilles d'investissement, qui ont baissé, dans un contexte de sentiment négatif sur les marchés. Cela me faisait peur, alors j'ai mis une grande partie de mes investissements dans les métaux précieux, les flux de redevances et les mineurs, principalement via des ETF (exchange-traded fund / fonds négocié en bourse). En espérant que tout se passe bien. »
Quand la crise interroge son rapport à la vie
Et si la hausse du coût de la vie poussait à changer ses habitudes de consommation ? Fred élargit le débat. « La pression des pairs, la pensée linéaire et les campagnes publicitaires massives nous disent que nous devons tous acheter une maison chère, une nouvelle voiture tous les x ans et une énorme télévision pour être heureux et faire partie de la société normale. Mais pourquoi avons-nous besoin de tout ça ? »
Tout est permis, mais tout n'est pas utile. Les crises de ces dernières années ont remis en question le modèle social. Si le capitaliste reste le modèle de base de nombreux États, ces dérives et limites sont pointées du doigt. La crise sanitaire a accéléré la prise de conscience. Beaucoup d'expatriés et de locaux, comme Fred, n'ont pas attendu cette période inflationniste pour changer leurs habitudes de consommation. Certains se sont ouverts à l'écologie. D'autres ont voulu faire plus d'économies. D'autres encore ont voulu cesser d'alimenter les « riches » en stoppant les achats dans les grands groupes pour privilégier le local. La crise questionne le rapport à soi et aux autres. Fred s'interroge encore : « tout ce qu'on achète nous rend-t-il heureux ? Pourquoi travailler plus dur pour acheter des choses dont on n'a pas besoin […] ? Je pourrais sortir et acheter n'importe quoi, mais serait-ce vraiment utile ? […] »
Conclusion
La hausse du coût de la vie va-t-elle durer ? Les expatriés qui témoignent sont divisés sur la question. Pour certains, c'est non. Dès que la guerre en Ukraine prendra fin, l'inflation baissera. Pour d'autres, c'est oui. L'inflation a percé avant la guerre en Ukraine, et s'installe durablement dans le paysage. Quelle solution ? Faut-il immigrer dans un pays dont le coût de la vie serait encore moins cher ? Faut-il économiser, ou au contraire, consommer pour relancer les économies ? Faut-il toucher aux salaires ? Un expatrié conclut : « On ne peut qu'espérer le meilleur et se préparer psychologiquement au pire. Quoi qu'il en soit, nous gagnerons. »