La crise actuelle remet-elle en question votre projet d'expatriation sur le long terme ?
Pas spécialement. Mon Visa de Travail au Japon venait à peine de commencer et j'ai eu de la chance de ne pas être employé dans une industrie dépendant directement du tourisme extérieur, sans doute l'industrie la plus touchée.
Mais il est très probable que mon salaire soit fortement diminué sous peu pour quelques mois, tout comme l'est déjà celui des dirigeants de la société qui m'emploie, car l'économie est ralentie dans bien d'autres secteurs également.
Si vous vivez déjà au Japon, envisagez-vous de rentrer dans votre pays d'origine ?
À lire Twitter, certains étrangers au Japon semblent être perçus avec davantage de méfiance (surtout loin des centres urbains), et le repli identitaire au moindre pépin étant une constante humaine cela ne me surprend pas trop.
De mon côté même si j'ai vu des gens partir à angle droit en me voyant au début de la pandémie, maintenant que le tourisme est à zéro, à voir la diminution desdits évitements ils doivent comprendre que je suis résident et que le risque émanant de ma personne est faible, donc ce n'est pas ça qui va remettre en cause ma présence ici.
La "gestion" de la crise en France, aussi bien politique que civile, ne me donne pas spécialement envie de revenir non plus.
Mon aversion pour le personnel politique actuellement en place en France étant une des raisons pour lesquelles je suis initialement parti (à l'époque pour un an seulement, le Visa de travail n'était pas prévu), son potentiel remplacement aux prochaines élections présidentielles pourrait m'inciter à revenir si il se faisait.
Comment vivez-vous cette période incertaine, surtout si vous êtes loin de vos proches ?
Je m'adapte personnellement assez bien, étant en télétravail depuis plus d'un mois déjà (travail le permettant, et employeur prévoyant et bien informé).
Rester dans une petite chambre pendant des semaines et ne sortir que pour des courses ne me gène pas plus que ça.
Ce qui m'énerve est davantage l'amateurisme de nombreux dirigeants dans la gestion de cette affaire, qu'ils soient en France, aux US, au Brésil, ... ou même au Japon dans une certaine mesure (mais j'en profite pour exprimer mon gros respect envers la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, qui bataille contre le gouvernement Abe pour faire bouger les choses, et qui fait même des points info en anglais).
Pour ce qui est de la famille, à part quelques prises de contact de temps en temps : "pas de nouvelles, bonnes nouvelles".
Avez-vous dû mettre fin à votre expatriation au Japon de manière inopinée ?
Non.
Je vais répondre un peu à-côté mais, si je commence à peine un Visa de Travail, il a fait suite à un Visa Etudiant pour une année de cours s'étant terminée en Mars et j'y ai connu un autre Français qui a lui été bien emmerdé pour rentrer en France entre les différents vols qu'il a successivement pris qui ont été successivement annulés (et pas encore remboursés je crois), beaucoup de trains qui ont aussi été annulés ou étaient pleins en France (il est de province) et le fait que sa famille a finalement dû enfreindre le confinement pour aller le chercher en voiture, la police interrogée sur le sujet leur conseillant de lui faire faire 400km en taxi ils ont fini par calculer que l'amende potentielle était un meilleur choix.
Paradoxalement, cette crise vous a-t-elle permis de vous rapprocher de certaines personnes ?
N'ayant jamais été réellement "proche de quelqu'un", c'est pas maintenant que je vais changer.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Faire ce que je peux avec ce que j'ai, sans faire de plans trop lointains, et en restant prêt à m'adapter.
Vivre au Japon c'est aussi vivre en sachant très bien qu'un cataclysme peut arriver à tout moment (énorme tremblement de terre, éruption du Mont Fuji, ...) et accepter que ce qui est "normal" un jour peut ne plus l'être le lendemain.
Partant de là, diminuer ses revenus et ses activités extérieures ne constitue qu'une gène mineure.
Et d'autres bouleversements bien plus profonds, graves et durables nous attendent au cours des prochaines décennies sur les volets sociaux, économiques, énergétiques et environnementaux : si on n'est pas capables de gérer celui-là, malgré les pertes économiques et humaines indéniables, autant dire qu'on n'a aucune chance pour les suivants.
Si j'ai l'occasion d'aider à préparer pour ce qui nous arrive à la tronche (mais qu'on évite de regarder trop longtemps par peur d'attraper de vilaines dissonances cognitives), que ce soit au Japon ou en France, je le ferai, et j'espère qu'on pourra se dire avec du recul que ce bon vieux SARS-CoV-2 aura été un choc salutaire (mais je ne me fais pas trop d'illusions).