Les Philippines sont incapables techniquement et financièrement de faire des sondages pour évaluer la proportion des variants. Par contre, la France est très en retard dans ce domaine , on doit séquencer 10 fois moins que le Royaume-Uni
Partout où il est passé, ce B.1.617.2 n'a cessé de progresser. En Inde, d'abord. Longtemps invisible, il a lentement cru en mars avant d'exploser en avril, prenant largement le pas tout à la fois sur ses deux cousins mais aussi sur le variant britannique B.1.1.7, pourtant réputé particulièrement agressif. Nul doute désormais qu'il porte une responsabilité dans la catastrophe sanitaire locale, ses 28 millions de cas et ses quelque 332 000 décès.
C'est lui aussi qui a relancé l'épidémie au Bangladesh, au Népal ou au Sri Lanka voisins, et plus largement en Asie, notamment en Malaisie, aux Philippines, en Thaïlande, au Japon. Lui encore qui a débarqué en Grande-Bretagne, jusqu'à prendre le pas sur le variant national, pourtant réputé imbattable.
Avec ses grandes capacités de séquençage et ses équipes chevronnées d'épidémiologistes, le Royaume-Uni est ainsi devenu le laboratoire d'étude du variant. Les autorités sanitaires y ont vu passer sa part grimper début avril pour s'élever à plus de 50 % un mois et demi plus tard, avec des flambées à Londres ou au nord-ouest de l'Angleterre. Désormais, avec 11 000 représentants recensés, il représente près de 60 % des cas, qui semblent concentrés sur des tranches d'âge plus jeunes. Les Britanniques, qui, après un hiver meurtrier et une campagne de vaccination massive, espéraient en avoir fini avec le virus, déchantent. Entre les 23 et 28 mai, le nombre de cas total a augmenté chaque jour pour atteindre 4 000 le 29 mai.
Et les propriétés du nouveau variant pourraient bien y être pour quelque chose. Selon le dernier point technique de Public Health England, le 27 mai, sa progression dépasse celle de tous les autres mutants repérés jusque-là. Le nombre de ses contaminations secondaires semble aussi plus important que pour son prédécesseur B.1.1.7 : une personne atteinte infecte en moyenne 13,5 % de ses contacts contre 8 % pour la lignée précédente.
Une vaste collaboration anglaise, appliquant la méthode déjà suivie pour estimer la transmissibilité du variant B.1.1.7, a exposé en conférence, fin mai, ses résultats sur le nouveau mutant, en cours de finalisation, selon Tom Wenseleers, coauteur de ce travail à l'université de Louvain (Belgique). En utilisant les données régionales anglaises mais aussi de pays comme l'Inde, Singapour ou le Japon, ces chercheurs estiment la croissance de B.1.617.2 de 10 % à 14 % par jour, et sa capacité à diffuser serait de 80 % à 115 % supérieure à celle de la souche endémique.
Un virus plus contagieux, peut-être même beaucoup plus
Une autre équipe britannique de modélisation, qui conseille le gouvernement de Boris Johnson, a estimé « réaliste » un chiffre de 50 %. Néanmoins, Tom Wenseleers explique que cette supériorité ne porte pas forcément uniquement sur la contagiosité : « Cet avantage pourrait venir également de capacités d'échappement aux anticorps et au vaccin. » Le variant progresserait donc également en recontaminant des personnes qui ont déjà été infectées par le passé ou vaccinées.
Dans un preprint mis en ligne le 24 mai, une équipe britannique a justement comparé l'efficacité des vaccins Pfizer-BioNTech et AstraZeneca sur des populations exposées au nouveau variant. Selon elle, il n'y aurait « que de modestes différences » par rapport au mutant britannique. Plus précisément, l'efficacité passe de 93,4 %, pour la lignée B.1.1.7, à 87,9 % pour B.1.617.2 avec deux doses de Pfizer. Et de 66,1 % à 59,8 % pour deux doses d'AstraZeneca.
L'équipe française conduite par Olivier Schwartz, directeur de l'unité virus et immunité de l'Institut Pasteur, semble moins catégorique. En travaillant sur un virus prélevé sur un voyageur de retour d'Inde, elle a montré, pour la première fois, que le variant pouvait se jouer de plusieurs anticorps monoclonaux, utilisés ou développés comme traitements antiviraux. Surtout, il échappe partiellement aux anticorps naturels post-infection ou à ceux produits par les vaccins. « L'échappement apparaît supérieur à celui du mutant anglais mais inférieur à celui observé avec le sud-africain », insiste Olivier Schwartz. Selon l'article, publié en preprint, deux doses de Pfizer-bioNTech conserveraient une bonne capacité de neutralisation. Mais une dose d'AstraZeneca serait pratiquement sans effet.
Un virus plus contagieux, peut-être même beaucoup plus ; un virus plus échappatoire, mais peut-être pas trop : voilà, en résumé, la créature que les autorités françaises essaient, elles aussi, de pister. Le nombre de cas reste nettement moins important ; dans son dernier point épidémiologique hebdomadaire du 27 mai, l'agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SPF) fait état de « 46 épisodes » représentant « une centaine de cas », répartis dans douze régions françaises. « Mais ce chiffre est sous-évalué, car on ne peut pas exclure que des épisodes n'aient pas été détectés et dans chaque épisode, tous les cas ne sont pas confirmés par séquençage », indique Sibylle Bernard-Stoecklin, épidémiologiste chargée du suivi des variants à l'agence.
Vacciner vous et continuer à vous protéger
Un virus qui brille encore par son mystère. Les modélisateurs restent l'arme au pied. « Le fait de ne pas connaître ce qui relèverait de la transmissibilité ou de l'échappement immunitaire rend pour l'instant les prévisions très difficiles », résume Samuel Alizon, biologiste de l'évolution au CNRS à Montpellier. Quant aux virologues, ils paraissent désarçonnés devant les chiffres avancés par les Britanniques. « Quand je regarde les mutations, je ne comprends pas une contagiosité aussi importante », admet Bruno Lina.
« Est-ce qu'il se multiplie plus vite ? Est-ce qu'il entre plus vite dans les cellules ? Est-ce que les personnes contaminées sécrètent plus de virus ? Est-ce qu'elles sont plus vite contagieuses, ou plus longtemps asymptomatiques ? On n'en sait rien », renchérit Olivier Schwartz. Face à ce flou, chercheurs et agences sanitaires font les deux mêmes recommandations : se vacciner et continuer à se protéger. Cette fois, pas de surprise.