La dépendance du Conseil de coopération du Golfe
Le Conseil de coopération du Golfe ou Conseil de coopération des États arabes du Golfe est une organisation régionale regroupant six monarchies arabes et musulmanes du golfe Persique : l'Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar. Ces pays ont connu un développement économique rapide depuis les années 70 et ils se sont tournés vers la main-d'œuvre étrangère pour soutenir le secteur privé qui était en pleine expansion. Outre le secteur pétrolier, les ressortissants étrangers travaillent également dans les centres financiers, dans la construction, l'éducation et la santé.
Au fil du temps, la main-d'œuvre étrangère dominait largement celle des travailleurs locaux. Selon le rapport de Standard & Poor's Financial Services 2021, 80 % de la main-d'œuvre des pays du Conseil de coopération du Golfe est composée de non-citoyens. Rien que pour le secteur privé, le pourcentage est de 90 %. Les pays les plus dépendants sont les Émirats arabes unis, notamment à Abou Dabi, et le Qatar où 90 % des travailleurs sont des étrangers qui ne possèdent pas la nationalité.
Il faut savoir que les expatriés se rendent dans les pays du Conseil de coopération du Golfe pour travailler pendant un nombre d'années limité. Ils ne sont pas à la recherche d'un permis de résident, qui est d'ailleurs difficile d'obtenir, et préfèrent transférer les fonds à leurs familles. D'ailleurs, un fort pourcentage des revenus des pays du Golfe, 12% du GDP dans le cas d'Oman, s'écoule sous forme de transferts de fonds (selon S&P Global).
En revanche, la plupart des citoyens arabes travaillent dans le secteur public. Selon S&P Global et Forbes, ces derniers bénéficient de salaires plus élevés, d'avantages sociaux, d'une meilleure sécurité d'emploi et plus de respect au niveau des droits humains. Ces pays sont, du reste, connus pour divers cas de violations des droits des travailleurs étrangers, par exemple, le confinement forcé et la saisie des passeports des femmes de ménage étrangères en Arabie saoudite. Les travailleurs locaux sont, la plupart du temps, protégés de ce genre d'abus.
Malgré ces conditions, les ressortissants étrangers bénéficient de nombreux avantages en vivant dans les pays du Conseil de coopération du Golfe. Par exemple, leurs revenus sont exempts d'impôts et les transferts de fonds dans leur pays sont plus avantageux en convertissant les devises étrangères (la roupie pakistanaise et la livre égyptienne). Les avantages l'emportaient sur les inconvénients jusqu'à la pandémie. Mais la situation a changé depuis 2020 ; le secteur pétrolier est au ralenti, la Covid-19 et la guerre en Ukraine ont entraîné une inflation sans précédent et le coût de la vie est monté en flèche. Ajouté à cela, les pays du Conseil de coopération du Golfe misent désormais sur la main-d'œuvre locale.
Manque de subventions pour les expatriés pendant la crise
Les pays du Golfe font face à une hausse constante du coût de la vie. Une situation globale suivant la Covid-19 et la guerre en Ukraine. Par exemple, Dubaï a été affectée par le repli dans les secteurs de l'aviation, touristique et les industries du commerce de détail pendant la pandémie (S&P Global). La baisse du prix du pétrole à 50 dollars américains le baril – il coûtait plus de 100 dollars américains en 2014 – a également affecté le revenu des pays du monde entier.
Cependant, les citoyens ne ressentent moins les effets de la hausse du coût de la vie puisqu'ils bénéficient des subventions et allocations de l'État. Selon le Jerusalem Post, les habitants du Bahreïn reçoivent une allocation pour acheter de la viande après que les subsides sur ce produit ont été enlevés. Les expatriés doivent, eux, payer l'intégralité des prix post-inflation. Au Koweït également, les habitants peuvent se rendre dans les coopératives pour se procurer les denrées alimentaires de base à un prix réduit. Toutefois, les expatriés ne sont pas éligibles pour ce rabais.
Les services publics et le carburant sont aussi plus chers pour les ressortissants étrangers. Au Bahreïn, le prix de l'essence a récemment augmenté par 200%, mais les expatriés ne bénéficient d'aucun subside et doivent donc payer la totalité du prix. Autre exemple : les expatriés payent 29 fils par unité pour l'électricité contre 3 fils pour les citoyens, soit 9.6 fois plus cher. Considérant que les salaires sont plus bas dans le secteur privé, l'on peut imaginer la pression financière que peuvent ressentir les ressortissants étrangers.
Outre les dépenses quotidiennes, les non-citoyens qui se trouvent dans les pays du Golfe sont sujets à des impôts additionnels et d'autres contraintes. Par exemple, ils doivent s'acquitter d'une taxe d'expatrié non seulement pour eux mais aussi pour chaque membre de leur famille. En Arabie saoudite, ces frais ont augmenté de 800 Riyals saoudiens (environ 213 USD) en 2020, doublant les frais. Ajouté à cela, un expatrié doit compter, tous les six mois, de 2400 Riyals (environ 640 USD) pour son épouse et chaque enfant sous sa responsabilité. Selon Gulf Business, le salaire moyen d'un expatrié asiatique travaillant en Arabie saoudite est de 11 066 USD par an. Les frais qu'ils doivent s'acquitter représentent donc un pourcentage non négligeable sur leurs revenus.
Les expatriés se retrouvent aussi dans l'obligation de se souscrire à une assurance santé et leurs enfants doivent fréquenter les établissements scolaires privés. Sauf s'ils travaillent pour le gouvernement, ce qui est très rare. Les écoles internationales privées coûtent entre 15 000 et 90 000 Riyals (entre 3 990 et 24 000 USD). Une somme qui représente une fortune quand l'on connaît le salaire des expatriés.
Les expatriés de la classe moyenne font les frais des hausses
Les ressortissants étrangers considérés comme faisant partie de la classe moyenne sont ceux qui travaillent dans les secteurs de la construction, le nettoyage ou encore le travail à domicile. Généralement, ils n'ont pas de frais de loyer ni de factures à payer. Par exemple, aux Émirats arabes unis, un employé de maison n'a pas de soucis à se faire au niveau du loyer, car généralement, il est logé par son employeur pendant la durée de son contrat. Bien que ces expatriés touchent un salaire moindre comparé à d'autres, ils arrivent, selon le Jerusalem Post, à faire des économies qu'ils peuvent transférer à leurs proches.
Toutefois, les ressortissants étrangers de la classe moyenne doivent faire face au coût de la vie par leurs propres moyens. Ce sont particulièrement les enseignants, les ingénieurs, le personnel administratif, les infirmières ou encore les graphistes. De nombreux étrangers venant du sud de l'Asie, du sud-est ou encore d'Afrique du Nord ne peuvent pas profiter d'une conversion forte de leur monnaie quand il rentre chez eux, contrairement aux autres.
Ces expatriés de classe moyenne se retrouvent en mode de survie et ne peuvent faire des économies, ce qui est pourtant leur but premier en allant travailler dans ces pays. Nombre d'entre eux ont d'ailleurs préféré que leur épouse et leurs enfants rentrent dans leur pays d'origine. Aussi, ils sont de plus en plus nombreux à choisir la colocation pour réduire les coûts. Ces employés touchent en moyenne entre 1300 et 4000 USD par mois. Par exemple, selon The Media Line, un ingénieur jordanien travaillant en Arabie saoudite gagne environ 3,725 USD par mois. Un salaire qui ne lui permet plus de vivre avec son épouse et ses enfants en Arabie saoudite. Un enseignant égyptien au Koweït explique qu'il est désormais contraint de vivre en colocation bien qu'il touche un salaire de 3 250 USD par mois.
La nationalisation des emplois aggrave la situation
C'est sans surprise que les pays du Golfe perdent 4% de la population des expatriés chaque année depuis 2020. Par exemple, celle d'Oman a diminué par 12% (262 000 départs d'expatriés) en 2020, selon le Centre national des statistiques, alors qu'un million de ressortissants étrangers ont quitté l'Arabie saoudite en 2017. C'est ce qu'indique le journal Zawya.
À vrai dire, c'est l'objectif des gouvernements des pays du Conseil de coopération du Golfe. Pour la première fois depuis les années 70, ces pays tentent par tous les moyens de réduire le nombre d'expatriés dans leur pays afin de booster le taux d'emploi au niveau des citoyens. Oman a ainsi appelé sa stratégie « Omanization ». Le gouvernement a établi une liste de postes qui ne sont désormais réservés qu'aux travailleurs locaux. En 2020, le Premier ministre du Koweït a indiqué le souhait du gouvernement de réduire le nombre d'expatriés par 20%. Conséquence : 2,5 millions de ressortissants étrangers doivent quitter le pays.
Il est donc tout à fait normal que le taux d'emploi local ait augmenté. L'économiste saoudien Abdullah al-Otaibi explique que le chômage a diminué, passant de 15% à 11%, pendant cette période. Ainsi, des employés ont quitté la fonction publique pour remplacer les expatriés dans le privé. Comme le revenu sur le pétrole a coulé, la fonction publique éprouvait des difficultés à honorer les salaires et les différents avantages des employés. Ainsi, le déploiement des travailleurs vers le secteur privé a permis d'atténuer la pression fiscale à laquelle l'État faisait face, bien qu'elle fût à la charge des expatriés.
Ahmed Alwani, un analyste économique du Koweït, confirme dans le Media Line que davantage de travailleurs locaux se tournent vers le secteur privé. Une situation qui permet au pays de perdre moins de revenus à travers les transferts de fonds. Il soutient que l'intelligence artificielle et l'automatisation remplacer les expatriés dans divers postes. Malgré les avantages multiples pour les pays du Golfe, le rapport de S&P Global's met toutefois en garde contre les risques que représente la nationalisation de l'emploi. L'exode rapide des expatriés peut entraîner une stagnation des marchés ainsi qu'une pénurie de compétences dans un avenir proche.