Récit : 2024, ROAD TRIP EUROPÉEN POUR MES 80 ANS.

Bonjour.  Ces lignes ne sont pas un récit touristique ou gastronomique tel qu'on le conçoit communément. Ce ne seront qu'un regard serein sur les couleurs qui défilent, qu'une respiration des odeurs qui passent. Tout simplement les réflexions, les étonnements, les émotions de quelqu'un qui a beaucoup vu, entendu, lu, vécu…


- 1 -     « Road trip » ? Qu'on me pardonne cet anglicisme, mais je l'ai choisi parce qu'il fait imaginer aussitôt une longue route pour l'aventure, le changement, la découverte… et qu'en effet ce fut bien ce qu'elle fut pendant deux mois : une longue boucle de 7.244 kilomètres. Espagne, France, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, France, Espagne.


     À présent, hasard d'un rapprochement familial, je vis au sud de l'Espagne, sur la Costa del Sol, d'où cet extrême sud de l'Europe comme départ.


     Remontons dans le temps. Je rêvais d'aller au Québec afin de découvrir les immensités de l'Amérique du nord.  Il y a une dizaine d'années, quand enfin les circonstances me permirent d'y songer réellement, je pris contact avec des organisateurs. Comme je l'avais vécu tant de fois, en pleine nature, en France dont je suis originaire,  je souhaitais me déplacer seule : Aucun n'accepta la prise en charge de ce road trip solitaire.


     J'ai alors envisagé d'étudier moi-même un parcours, les étapes locales, de louer une voiture appropriée et la fourniture du nécessaire.

     Ce fut alors la découverte d'une interdiction qui sans doute avait motivé les échecs rencontrés : Aucune société de location de véhicules n'acceptait de louer à un conducteur principal âgé de plus de 65 ans !

     J'ai proposé la fourniture d'un certificat médical, de prouver le récent renouvellement (obligatoire en Espagne) de mon permis de conduire, d'accepter une augmentation du contrat d'assurance. En vain.

     Changer de destination ? Inutile ! Mêmes interdictions non seulement au Canada mais partout dans le monde. Je ne pourrais plus jamais louer de voiture ! Le choc fut terrible. C'était m'interdire désormais tout voyage lointain individuel comme j'aurais aimé l'envisager. Ma profonde déception fit place à la colère, puis à la rage. « Ah, je ne suis plus capable de conduire ? On va voir ! »

     Puisqu'aller au-delà des océans m'était refusé, je resterai sur terre. Après tout, la diversité des paysages d'Europe pouvait bien rivaliser pour me satisfaire.


     Voici la suite du projet, finalement concrétisé en 2024.

     J'ai aimé annoncer que c'était pour marquer l'année de mes 80 ans, mais en réalité, à l'origine, le départ de ce grand voyage, préparé soigneusement pendant deux ans, était programmé pour mai 2020. Mais…Oh, non ! Covid !

     Décidemment mes projets étaient bien contrariés !

     Restrictions encore en 2021. En 2022, trop déçue, je n'y croyais plus. Puis en 2023, « Allez courage ! me suis-je dit. Établis un nouveau parcours pour l'année prochaine pendant que tu es encore en forme ! »


     Ainsi fut fait. Plus facilement car j'avais les connaissances de l'étude précédente. Mais une route plus courte avec moins de pays en supprimant l'Italie, l'Autriche et la Tchéquie, soit un mois en moins sur les trois prévus plus tôt. Initialement, partant de l'extrême sud, j'avais un but marquant le sommet nord du parcours : Hambourg. Je souhaitais y visiter le « Miniatur Wunderland », extraordinaire exposition permanente de maquettes ferroviaires. Mais j'ai dû y renoncer pour ce second projet, faute de trouver un hébergement d'un prix abordable s'ajustant à mes dates de passage.

     Comme compensation j'ai alors pensé m'offrir des fleurs. Ainsi les Pays-Bas devinrent ma nouvelle destination afin d'y admirer les immenses champs de tulipes près d'Amsterdam,

Inconvénient : leur floraison est précoce et brève, au plus tard début mai. J'ai dû calculer de partir tôt en avril pour me laisser le temps de flâner en chemin avant d'y parvenir, mais j'ai aussi  croiser les doigts pour une météo favorable pendant le printemps à venir, saison qui, au fil des années, n'avait plus de réel que le nom.


     Lors de mon premier projet routier, j'avais échangé ma petite voiture qui datait, contre une plus fiable, techniquement moderne, afin d'écarter de fâcheuses pannes. Encore récente, j'étais donc tranquille à ce sujet. Suprême sécurité, j'avais remplacé la roue de secours temporaire par une cinquième roue identique aux quatre autres, et ajouté gonfleur et cric électriques pour ménager mes éventuels efforts en toutes circonstances. Un jerrican d'essence, un extincteur (obligatoire), un gyrophare, etc., les complétaient : le top !

     Je m'étais procuré les vignettes de circulation pour les pays traversés, tout en étudiant leurs réglementations. Mon parcours était bien étudié. Chacune de mes étapes, réservées, devaient m'offrir un confort sans luxe mais essentiel, sans oublier un parking assuré pour garer ma voiture sans m'exaspérer, ni surtout craindre pour la partie du contenu qui forcément resterait à l'intérieur.


     Partir à l'aventure ne signifie pas se livrer au hasard. Les explorateurs, les vrais aventuriers savent combien il est indispensable de préparer son matériel, quel qu'il soit, selon les conditions supposées, pour affronter l'inconnu qui les attend.

     Je conduis depuis bien des années, ayant de long en large parcouru la France. Je suis en bonne santé qu'un examen médical a confirmée, cette escapade est raisonnable. La solitude ? Elle est pour moi une amie de longue date qui m'a appris à assumer et résoudre les difficultés. Là encore, pas de problème.


     Parlant parfois de ce projet, j'ai souri autant aux expressions inquiètes des personnes pessimistes qu'aux froncements de sourcils des critiqueurs ou qu'aux encouragements des enthousiastes. Oui, j'étais – je suis – une femme indépendante, et même originale plus qu'on ne peut l'imaginer… Depuis toujours, et pour toujours.


     Á propos d'originalité…

     Autrefois j'étais une grande marcheuse, une randonneuse estivale par monts et par vaux qui ne comptait pas les kilomètres. Mais avançant en âge, mes belles promenades sont devenues éprouvantes, difficilement supportées par mes articulations. Peu à peu, sans vraiment y réfléchir, j'ai délaissé les balades habituelles pour plutôt m'installer confortablement dans des endroits agréables et ombragés, me protégeant ici du brûlant soleil andalou pour lire, ou dessiner, ou parfois simplement rêvasser… Jusqu'au jour où je me suis révoltée contre cet engourdissement ».

    S'il était vrai que mon installation en Espagne m'avait obligée pendant des mois à beaucoup d'efforts physiques pour accomplir de gros travaux, je m'étais assez reposée, non ? Je n'admettais pas, ou plus, de me laisser aller. J'aimais encore parcourir longuement les bords de mer et autres lieux plaisants de la nature, que j'avais à ma portée. Mais comment faire si marcher était désormais éprouvant ? Si quelques centaines de mètres et retour ne me suffisaient pas ?


     L'idée d'une assistante, qui n'était pas alors encore bien connue, me traversa l'esprit : Pourquoi pas une patinette ! J'en avais remarquée auprès de bicyclettes auxquelles j'avais d'abord pensées mais que j'avais écartées pour une raison pratique.

    En effet, j'habite dans un petit village de montagne, isolé et escarpé, aux alentours ravagés par la dantesque création millénaire de ces lieux dans l'alignement de la Sierra Nevada. Une voiture est indispensable pour descendre jusqu'aux villes côtières afin de s'approvisionner et vaquer aux diverses activités nécessaires. Or un vélo n'entrerait pas dans ma petite auto. Petite, parce que l'étroitesse de ma ruelle ne permet pas davantage. Moins encombrante, une patinette se plierait facilement, et en cas de chute… je tomberais de moins haut !

     Quoi ? Ridicule, à soixante-dix printemps passés ? Pas du tout en habillant une silhouette encore acceptable tout en noir, comme le sont souvent les patineurs sur roulettes, et les cheveux bruns sous un casque et des lunettes n'attirant pas l'attention !     

     Ainsi déterminée, équipée de toutes les protections possibles, je me suis lancée sur un engin sans moteur pour un apprentissage. Les premières fois, pour des petits trajets, je fus plutôt tremblante. Puis je m'enhardis si bien que l'année suivante j'acquis un modèle à moteur. Ah, quelle liberté ! Quel plaisir ces découvertes de pistes tranquilles, de parcs d'agrément dont je n'avais pas soupçonné l'existence en circulant en voiture !


     Conduire une auto m'est facile et j'ai acquis un équilibre satisfaisant sur deux roues. Ainsi doublement motorisée, au cours de mon grand voyage, pendant les petits séjours prévus pour visiter certains lieux plus longuement, je me débarrasserai des difficultés de stationnement en milieu urbain, la majeure de mes préoccupations. Soit en restant garée sur mon lieu de logement, soit en repérant les vastes parkings excentrés comme base, je circulerai ensuite sur mon petit engin ! Un modèle à batterie amovible, facile ainsi à charger discrètement en chambre, et dont j'ai un double de rechange dans mon sac à dos !

    Ainsi, au printemps 2024, oubliant les forêts canadiennes, le « parler » franco-québécois, mes déceptions, sans rien espérer ni craindre en particulier, mon cœur est léger pour accomplir un long périple routier en solitaire, à 80 ans...


A suivre...

Bravo, mille fois bravo pour votre courage et pour votre écriture fluide, limpide et surtout correcte.

@Elan34


1f60a.svg Merci !

Beau récit, félicitations à vous