La femme tunisienne: Où en sommes-nous aujourdhui ?
"Les femmes tunisiennes se mobilisent depuis quelques semaines dans la rue, les universités et les associations pour assurer linscription de leurs droits dans la nouvelle Constitution. Emna Ben Miled, universitaire et auteur du livre, Les racines bibliques du voile, donne son point de vue sur la situation actuelle de la femme en Tunisie. Des propos dEnnahdha à la question du port du voile, lécrivain tente daborder ces sujets sans idées reçues.
Le départ est clair : «la femme tunisienne a une place avancée par rapport aux femmes du monde arabe, elle nacceptera pas les retours en arrière quon veut lui imposer.» Une fois cette idée annoncée on se dit que cest bon, quil ny a rien à craindre, que tout ira pour le mieux. Emna ben Miled est optimiste. Pourquoi alors ne le serions-nous pas ? Elle connaît bien la Tunisie, elle maîtrise la question de la femme, on peut donc se fier à elle et à son avis.
«Le problème cest quon doit se battre contre ce mouvement qui nous tire en arrière et que de ce fait, on dépense de lénergie autour de questions qui auraient déjà dû être réglées. Et qui stagne, recule.» Cest à ce moment là que les certitudes commencent à seffriter.«Nous avons une année de chantier devant nous, il va falloir défendre nos droits.» Et il suffit dentendre son ton décidé pour savoir quelle ira jusquau bout du combat.
Sur la question de ladoption, par exemple, Emna Ben Miled est pour la création dassociations de protection de lenfant, pour la création de collectifs et de commissions au sein de la Ligue des Droits de lhomme.
Pour ce qui est de la polygamie, clairement, elle considère cet argument du parti Ennahdha comme «de la vente de rêve religieux et de fantasme. Les Tunisiens sont très croyants et avec ça, on leur vend le fantasme du paradis musulman.» De fait, cette idée nest pas réalisable, les ressources financières des Tunisiens nayant rien à voir avec celles des Saoudiens par exemple. Lautre argument démontant la possible mise en pratique de cette idée est le Code du Statut Personnel qui a instauré la monogamie il y a plus de 50 ans. «Les Tunisiennes ont donc vécu dans un certain état desprit et ça ne changera pas.»
Et puis il y a la question du voile et de la Burqua qui obsède tout le monde. «Il y a effectivement une recrudescence du port du voile. Mais ça vient simplement du fait que pendant 23 ans il était interdit de le porter puisque Ben Ali était contre. Dun point de vue personnel cette recrudescence me chagrine car je me positionne en tant quhistorienne : ma mère fait partie de la génération des femmes qui se sont dévoilées, alors que ma fille fait partie de la génération des filles qui remettent le voile. Cest un retour en arrière.»
Des femmes tunisiennes sur l'avenue Habib Bourguiba à Tunis
Finalement pour elle, le problème est avant tout économique : «La Tunisie est un pays pauvre qui risque de se faire acheter à coup de pétrodollars par lArabie Saoudite qui veut exporter son idéologie wahhabite.» Bourguiba a été un rempart contre cette idéologie. Puis ce rempart est tombé avec Ben Ali et le wahhabisme est entré en Tunisie via les télévisions satellitaires. «Sous une dictature on ne regarde pas les télévisions nationales, on ne regarde que les télévisions étrangères.» On y retrouvait le même discours simpliste qui se répétait indéfiniment : la femme doit rester au foyer, elle doit être voilée, elle doit obéir, accepter la polygamie, accepter la violence, voiler ses petites filles
«Le problème cest que dans la réalité tunisienne, cette idéologie était impossible du fait de la loi tunisienne.» En effet le Code du statut personnel, avancée majeure dans le droit social, place la Tunisie en pays avant-garde à bien des niveaux. «Et en ce moment, un mouvement social se lève dans toute la société tunisienne pour défendre ce Code». Effectivement on se rend compte dans la rue comme en discutant avec les gens que les femmes comme les hommes de Tunisie tiennent à leurs droits et que lon est loin du péril islamiste que beaucoup veulent coller sur le dos du pays. Cette vision déformée de la réalité, Emna lexplique facilement:
«Les Français et dautres nous voient de lextérieur, sans entrer dans le pays et discuter avec les gens, sans comprendre la langue. Par ailleurs ils font une étude en surface de la réalité sans approfondir leurs recherches. Et puis on sent aussi un problème avec lIslam qui vient peut-être du fait quil y a un manque de spiritualité en Occident.»"
Les auteurs
Lilia Blaise, franco-tunisienne, est journaliste à SlateAfrique et pour le journal hebdomadaire tunisien Réalités. Elle a aussi écrit pour le site d'actualités des idées et des livres nonfiction.fr
Emna Ben Jemaa est une figure de la Toile tunisienne. Devenue journaliste grâce à son blog Emma Benji créé en 2005, elle présente sur Radio Express FM une chronique Hashtag et une émission Netshow, autour des tendances des réseaux sociaux. Elle collaborait à Tunis-Hebdo et à Réalités. Elle est aussi la correspondante en Tunisie du mensuel Afrique Magazine.