En vingt cinq ans passées en Amérique latine dont la moitié en Guyane (au contact de toutes les communautés, sans exception), je n'ai jamais ressenti de difficulté dadaptation, parce que j'ai été bien "briefé" au départ.
Ne pas arriver en terrain conquis, ne pas s'imaginer que les gens vous attendent et se placent en position de dépendance.
Savoir que les innombrables communautés (créole, amérindiennes métro, brésilienne, haïtienne, asiatiques, bushnengués etc. vivent côte à côte en bonne harmonie à quelques exceptions près, mais se mélangent peu. Il est aisé d'avoir des rapports superficiels avec tous, plus difficile d'aller plus en avant.
On est l'arrivant. C'est à nous de faire les premiers pas. Quand je suis arrivé en 1983, après un mois, j'ai convié mes collègues à un apéritif dinatoire en me donnant du mal (je n'ai pas dépensé beaucoup d'argent mais j'ai passé du temps pour tout préparer: toasts, salade de fruit, canapés, etc.) et la relative froideur des premiers jours, après cela, a fait place à l'affabilité: j'ai eu des retours rapides quand des autres arrivants qui n'ont pas eu une démarche similaire se plaignaient de rester isolés.
On ne reçoit pas "à la fortune du pot", du genre "je mets une assiette de plus et on partage": on se donne du mal, de même que quand vous serez reçu(e) on se décarcassera pour que ce soit bien (ne tapez pas l'incruste à l'heure du déjeuner si vous n'avez pas été invité formellement: vous mettez les gens mal à l'aise, ils veulent se surpasser pour les invités, donc avoir eu du temps pour ça).
Les Créoles qui vivent encore un peu dans la tradition, reçus, sont souvent (ça surprend) exigeants: "t'as pas plus de ceci, de cela?" - "Tu peux couper le clim'?"... c'est une forme de politesse: "je sais que tu veux me faire plaisir et je t'en donne l'occasion"
Marcher sur des ufs quand on évoque certains sujets: rapports Guyane métropole, esclavage, etc. Et ce que vous pouvez dire en tête à tête à un copain créole, vous ne pouvez pas le dire à un groupe constitué face à vous. Effet d'entraînement. Écoutez, faites vous adopter avant de donner votre point de vue forcément nuancé, sauf quand vous aurez bien jaugé votre vis à vis.
Une fois par an environ, il y a une période de tension sociale avec grèves, barrages, etc. Rester sur son quant à soi (les esprits s'échauffent) et attendre que ça passe... Rassurez vous, ça cause fort mais il n'y a aucune violence.
Conseil personnel: évitez de vous en mêler, dans un sens ou dans l'autre. Même les gens dont vous épousez la cause n'en seront pas forcément ravis.
Face aux Amérindiens (enfin, la plupart), garder en tête que quand ils vous parlent, ils disent très rarement ce qu'ils pensent mais ce qu'ils croient que vous avez envie d'entendre. Ils ne disent jamais "non" ils ne refusent jamais (ce n'est pas dans leur culture: c'est à vous de formuler votre demande pour percevoir la réponse)
Subir ce qui gave. 30mn minimum à la poste, papiers qui n'arrivent pas, etc. Ecrire à une administration, c'est pisser dans un violon en espérant que ça donnera de la musique. Il faut se déranger, bien heureux quand votre interlocuteur est là! Se dire que ce sont les murs et que si on n'est pas rigoureux avec vous... 99 fois sur 100 on ne vous demande pas de l'être^^
Pour ma part quand je suis parti, pas bien du tout, ce sont les employées du rectorat qui ont constitué elles même mon dossier de retraite (j'en étais psychiquement incapable) et qui m'ont appelé juste pour que je le signe et ça, en métropole ça ne se fait nulle part. Parce que j'avais la réputation d'un type d'humeur égale qui ne faisait pas de scandale quand il y avait un petit lézard... Du coup je me suis fendu de quelques boîtes de chocolat...
Vous avez une gestionnaire de compte bancaire en Guyane? Envoyez lui une carte postale quand vous allez quelque part, avec trois mots dessus. Si vous avez un (petit) dépassement de découvert, elle arrangera le coup... Exemples donnés pour vous expliquer la nature des rapports.
Tenue correcte! Il fait beau, il fait chaud, mais on n'est pas à la plage (sauf sur la plage); On ne le dit que rarement en face mais le négligé de certains expat's les dessert considérablement. J'étais en jean, et en t shirt, mais ils étaient propres, bien coupés, repassés, et je ne me baladais pas en tongs "dans le civil"
Fuir comme la peste les grognons, les jamais contents, les plein de spleen: d'une part c'est contagieux, d'autre part ils sont recensés comme tels et si vous êtes catégorisé(e) copains de ces gens là, l'amalgame peut être fait. On prend la Guyane telle qu'elle est (avec pas mal de très bons côtés) et pas telle qu'on voudrait qu'elle soit (ou on s'en va: on ne la changera pas)
Faites gaffe, tout se sait, tout se dit dans ce département encore un gros village ou les cousinages donc les commérages sont innombrables. L'adultère est possible (très fréquent même), l'adultère en incognito... c'est plus difficile. Ne pas dire du mal de quelqu'un, ça lui revient immanquablement aux oreilles (ou alors c'est un moyen de lui faire savoir ce que vous pense sans le dire en face)
Un point plus délicat. La promotion canapé et la drague lourde qui confine au harcèlement sévissent encore (en recul toutefois). 99 fois sur 100 on y échappe en ne laissant aucun signe d'ambiguïté dès le départ. Fort heureusement, les femmes de ce pays s'en laissent de moins en moins compter.
Règle invariable... Les plus enthousiastes au départ sont les plus vite désabusés. Garder la tête froide. Je suis venu pour deux ans, je suis resté un quart de siècle, heureux, quand ceux qui arrivaient pour "faire leur vie" fuyaient rapidement.