Pourquoi as-tu choisi de t'installer à Saigon?
Je pratique mon métier d'avocat spécialiste des problèmes de famille et de droit des enfants, expatriés français depuis 1993. Je vis au Vietnam depuis la même année mais je voyage beaucoup en Asie du Sud-Est, étant amené à former certains cadres juridiques de grands groupes industriels et d'affaires, et étant également formateur d'équipes interculturelles. Je me suis toujours intéressé à l'histoire du Vietnam qui me passionne. Lorsque j'ai fait mes études d'avocat, je devais faire des stages et j'ai choisi d'en faire certains dans des cabinets d'avocats français et australiens installés à Saigon. Ces stages remontent aux années 1995 et suivantes. Saigon est la ville où les expatriés français sont les plus nombreux.
Saigon est la capitale économique du Vietnam et une mégalopole qui se développe en permanence. Il y a une énergie phénoménale dans cette ville où beaucoup d'étrangers habitent. Son cosmopolitisme est réel. Saigon avec son quartier chinois, Cholon, ne va cesser de se développer. J'ai assisté à l'évolution urbaine et à l'évolution sociologique du Vietnam depuis 20 ans. Mais les années futures vont voir éclore un autre Singapour avec un centre-ville complètement reconstruit et des quartiers périphériques qui vont exploser. La densité démographique reste très importante. Le Vietnam est un pays très jeune avec une jeunesse qui veut réussir.
Comment s'est passée ton installation?
Mon installation a été progressive et continue toujours au bout de 20 ans ! Beaucoup d'allers et retours entre les pays asiatiques, la France et le Vietnam ont jalonné mon parcours. Beaucoup d'expatriés ont cette obligation de mobilité avec comme pôle d'attache Saigon. S'installer au Vietnam et plus précisément à Saigon ne pose pas de problème particulier. L'idéal est d'avoir une activité professionnelle mais de nombreux Français viennent sans rien à Saigon pour évaluer les potentiels et réussissent à créer de petites sociétés. Saigon reste une ville ouverte, avec une énergie exceptionnelle, des habitants jeunes au potentiel exceptionnel. Il est facile de recruter une équipe jeune et dynamique.
Pour pouvoir travailler au Vietnam, quels sont les documents dont tu as eu besoin?
Tout dépend de l'activité professionnelle, de la mobilité. Il n'y a pas de difficultés à obtenir les documents adaptés pour séjourner au Vietnam. La difficulté, c'est de pérenniser son activité professionnelle, et de ne pas être facilement "imitable" par les Vietnamiens, qui peuvent copier facilement ce que vous faîtes, à un prix moindre. C'est ce qui arrive malheureusement à de nombreux Français.
As-tu eu des difficultés d'adaptation (barrière de la langue, coutumes)?
Même en ayant une épouse vietnamienne, même en ayant lu absolument tout ce qui est paru sur le Vietnam et tout ce qui paraît, même en parlant anglais, même en ayant appris la langue vietnamienne, l'adaptation est constante et permanente. C'est un contexte culturel très riche, parfois indécodable pour l'étranger, et il faut l'accepter. L'expérience permet d'éviter les erreurs, de cultiver une certaine prudence, et il faut s'entourer de personnes fiables. Il ne faut pas oublier le rapport à l'argent qui peut quelque peu "troubler" mais il ne faut jamais oublier que le Vietnam a connu une économie de guerre et de pénurie pendant des décennies. Tous les parents veulent que leurs enfants réussissent et le coût des études fait que l'argent est obsessionnel. L'impact sur les rapports humains peut être important. On laisse son épouse vietnamienne gérer beaucoup de choses, croyez-moi...
Qu'est-ce qui t'a le plus surpris à Saigon?
Bien sûr, la circulation. Je ne suis pas certain que le métro réduira ce chaos. Mais aussi cette métamorphose de la vie, des mentalités, et des quartiers périphériques, comme Go Vap et Tu Duc. Des quartiers excentrés autrefois réservés à des classes sociales peu favorisées attirent une certaine bourgeoisie. Les étrangers sont plus enclins à s'installer dans les quartiers 1, 3 et surtout 7. Mais tout change progressivement. Saigon ne va cesser de s'étendre. Si l'aéroport Tan Son Nhat est délocalisé à Ben Hoa, tout le nord de Saigon se transformera. Le réseau routier devra être rénové et adapté. Le Vietnam est un pays où les infrastructures sont en chantier. Le lycée international Marguerite Duras est un lycée qui draine beaucoup d'élèves. La France doit continuer son effort de présence et doit absolument être plus motivée.
Les Saigonnais sont-ils accueillants? Quels sont tes conseils pour rencontrer du monde à Saigon?
Les Saigonnais sont très ouverts et accueillants. Très curieux. Très entreprenants. La mentalité saigonnaise est particulière. Saigon a toujours été une ville de plaisirs, de business et où il fait bon vivre car le climat est agréable, à condition de supporter la chaleur. La langue française a perdu énormément d'attrait, et très peu d'étudiants, excepté dans les classes sociales très privilégiées, apprennent le français. La France ne délivre pas assez de visas d'étudiants. Et donc le Français n'est pas jugé utile. Pourtant, beaucoup de Vietnamiens veulent étudier en France, la médecine, le commerce, le droit, mais nous mettons des barrages administratifs qui entraînent une désaffection pour notre pays et pour notre langue. Il est donc de plus en plus difficile pour nos entreprises françaises de trouver du personnel parlant français au Vietnam. Parler anglais est donc nécessaire pour les Français si ces derniers veulent communiquer avec les Vietnamiens.
Pour rencontrer du monde, Tout dépend du monde "du jour" et de "la nuit". On s'aperçoit vite que la ville est effervescente en permanence et que les Saigonnais sont très ouverts mais souvent très difficiles en affaires. On peut rencontrer des ressortissants de tous les pays du monde à Saigon et se faire un réseau professionnel international facilement. Saigon est réellement cosmopolite et il n'est pas vain de le répéter.
Peux-tu partager avec nous un trait caractéristique de Saigon qui te plaît particulièrement ainsi qu'un aspect négatif?
Positif : Le dynamisme et l'envie d'apprendre et de réussir des Saigonnais. Beaucoup font des études en cours du soir, et cela à des âges qui défient les habitudes françaises.
Négatif : Saigon perd ses touristes, pollution oblige et circulation incroyable. Il faudrait beaucoup d'espaces verts. Mais le prix du mètre carré est ahurissant dans certains quartiers et la hauteur des gratte-ciels va augmenter. Le coût de la vie augmente et cela crée des tensions sociales. On voit aussi les inégalités criantes. Une bourgeoisie pas forcément cultivée s'est enrichie rapidement alors que certaines strates sociales sont en difficulté réelle.
Une idée reçue sur le Vietnam qui s'est avérée totalement fausse:
Beaucoup pensent que le Vietnam est un pays où la jungle est partout et où on parle encore français. Beaucoup pensent que les Vietnamiens haïssent les Américains.
Qu'est-ce qui te manque le plus par rapport à la France, ton pays d'origine?
Je n'ai aucune frustration car je voyage beaucoup. Je reviens très souvent en France et je peux aller dans les librairies parisiennes et les marchés aux livres. Beaucoup d'expatriés peuvent avoir un certain blues et une certaine nostalgie. Travailler au Vietnam reste complexe. Et parfois, la tentation de revenir en France peut assaillir les expatriés, notamment ceux laissant des enfants en France. J'aide les expatriés à gérer leurs conflits et leur patrimoine en France, sans qu'ils aient à revenir.
Que fais-tu pendant ton temps libre? Quelles sont les activités les plus populaires à Saigon?
Je n'ai pas beaucoup de temps libre mais je prends le temps de faire du sport en week-end à Nha Trang ou pendant les vacances. Mon autre métier est celui d'écrivain. Je suis auteur de romans policiers qui se passent à Saigon. Je travaille en ce moment sur un livre dont le sujet est l'année 1968 au Vietnam. Je suis également chroniqueur littéraire. J'ai gagné le prix du chroniqueur lors d'un concours organisé par le site myboox en 2010. Je forme aussi les avocats laotiens et cambodgiens dans le cadre des missions d'Avocats Sans Frontières. Je travaille au Vietnam mais j'assume également des missions de conseil aux expatriés dans les pays voisins. Je ne manque jamais de lire les livres paraissant sur le Vietnam et je ne manquerai pas, si vous le souhaitez, de vous les signaler.
Quels conseils peux-tu donner à ceux qui veulent s'installer à Saigon?
Paradoxalement, je ne peux donner de conseils car je pense que le Vietnam, en général, et Saigon en particulier, sont des zones du monde pouvant soit fasciner, soit déstabiliser. Lire beaucoup sur l'histoire du Vietnam serait un bon commencement. Ensuite, ne pas avoir de préjugés, venir, s'imprégner, tenter et bien s'organiser. Les Vietnamiens ont un potentiel exceptionnel, savent observer et apprendre. L'expatrié, créateur d'entreprise, devra choisir un créneau porteur mais devra nécessairement s'adapter en permanence. Au Vietnam, tout peut être éphémère et toute création d'entreprise peut s'avérer un gouffre financier. Il est complexe de se repérer dans la législation vietnamienne d'autant plus que les pratiques de dessous de table sont légion. Le Vietnam est une économie en émergence où il reste énormément de choses à faire. Tout reste possible et il faut avoir un certain esprit d'aventure. Allez, un conseil quand même : tentez!