Eugénie est née d'une maman française mais a grandi au Québec. Elle a vécu dans plusieurs pays, notamment en Australie et au Paraguay, en autres, avant de partir aux Philippines où elle rencontre son futur mari japonais. Ensemble, ils décident de quitter le pays en pleine pandémie pour s'installer au Japon où ils refont leur vie. Elle nous parle de ce changement de vie à l'autre bout du monde.
Pouvez-vous parler de votre enfance, au Canada, avec votre maman française ?
J'ai grandi au Québec, en allant à l'école dans le système québécois. Mes amis étaient et sont tous « des Québécois de souche ». J'aimais aller dormir dans la famille de mes amies et baigner dans l'univers québécois; avec les expressions et la nourriture qui lui est propre. Ma mère est d'origine française et a habité 38 ans au Québec. Ses amis sont aussi ma famille. Ils ont vu mon frère et moi grandir. Leurs enfants nous ont gardés comme des cousins ! Notre petite bulle familiale a gardé la culture française. À la maison, ma mère cuisinait des plats français et nous a élevés « à la française ». Parfois, à l'école, je disais des expressions françaises et ça en faisait rire plus qu'un !
Vous avez ensuite eu l'occasion de vivre dans de nombreux pays. Pouvez-vous nous raconter lesquels, ce qui vous a amenée à vous y rendre ?
J'ai étudié à l'université, au Québec, en enseignement en adaptation scolaire et sociale parce que, depuis l'âge de 10 ans, je voulais être « orthopédagogue ». Après mes 4 années d'étude à temps plein, j'ai pensé poursuivre vers une maîtrise, mais j'ai opté pour une orientation professionnelle de découverte de l'éducation en ouverture sur le monde. Je suis partie travailler en France, et j'ai enchaîné un certain nombre d'expériences professionnelles m'amenant ensuite en Australie, au Paraguay, aux Philippines et je suis actuellement au Japon. Étant donné que je suis d'origine française, j'ai cherché à faire rayonner l'orthopédagogie, une pratique née au Québec, qui est bien installée depuis les années 1960, dans le système scolaire français.
Qu'est-ce qui vous séduit dans ces expériences d'expatriation ?
Je pense qu'en habitant à l'étranger, dans un pays qui nous dépayse, on a l'avantage de pouvoir être plus soi-même. Je ne sais pas si c'est une impression qui fait l'unanimité, mais pour moi, j'ai l'impression de pouvoir faire être moi-même que je suis « différente » de toute façon, par la culture, l'apparence, la langue, tout. J'aime notre quotidien à l'étranger, car il est toujours rempli de défis et de découvertes. J'aime le climat des pays où j'ai habité et j'aime faire partager mon entourage de ce nouveau quotidien. Ce qui est plus compliqué est la différence socio-économique et le décalage du niveau d'éducation, à certains moments, selon l'endroit où on va. Le respect et l'ouverture d'esprit sont les clés pour accéder au potentiel de tous, sans jugement et en s'émerveillant, par un autre regard.
Puis, vous faites une rencontre qui va changer votre vie. Pouvez-vous nous en parler ?
Mikio et moi sommes de grands amateurs de danse latine. Mikio est arrivé aux Philippines bien avant moi. On s'est rencontré lors d'une soirée dansante. J'étais aux Philippines depuis 6 mois et je découvrais le cercle « salsa/bachata » de Manille où Mikio était déjà bien intégré. On a beaucoup dansé ensemble, et sommes devenus de vrais bons amis sur qui compter, durant un an. Notre lien d'amitié est devenu très fort et, par nos intérêts en commun et nos nombreuses longues discussions sans fin, nous avons surmonté les défis de la différence d'âge, de cultures et de langue. Mikio est Japonais, parle très bien anglais (mais pas français) et avait, à ce moment-là, 45 ans. J'en avais 26. Difficile de croire que ce type de relation peut nous arriver, surtout en devant belle-mère d'une pré-ado étant si jeune ! La forme et l'amour y sont toujours. Nous voici à notre 6ème année de bonheur partagé, avec deux petites filles.
Et donc le Japon. Depuis combien de temps y vivez-vous ? Comment s'est passée l'installation pour vous et vos enfants ?
Nous sommes arrivés au Japon le 3 janvier 2021. Alors que le gouvernement aux Philippines, demandait à tous les jeunes de moins de 18 ans de rester à la maison en permanence, nous avons pris la décision de quitter le pays pour retrouver un équilibre de vie. L'installation s'est faite tranquillement. On est arrivés avec seulement des valises, en logeant temporairement dans un appartement meublé. J'ai reçu un permis de résidence pour un an et, comme toutes les écoles et les garderies restaient fermées, et qu'on travaille en ligne, on a décidé de faire venir nos meubles. En ce temps de l'essor de la visioconférence, on a donc expérimenté le déménagement en ligne! Les filles se plaisent à l'école Montessori en japonais. La première fille de Mikio est restée avec nous la première année et a pu renforcer sa langue maternelle. Elle est récemment de retour aux philippines, avec sa mère, comme l'école est en hybride.
Pouvez-vous nous parler de votre vie au quotidien. Ce que vous aimez dans votre nouveau pays, ce qui est plus difficile ?
Au Japon, ce que j'aime, étant une maman de jeunes enfants (1.5 et 3ans) et après avoir habité dans différents pays pauvres et corrompus, c'est la sécurité. Ici, les gens sont polis et respectueux. Il y a des parcs publics partout alors les enfants peuvent se développer et vivre une enfance épanouie. Tout fonctionne, les trains sont à l'heure et nous permettent de nous déplacer partout aussi bien pour aller à la plage qu'au ski, par exemple. Ce qui est plus compliqué, c'est le réseau social. Comme nous travaillons beaucoup tous les deux et que nous habitons dans un coin assez local, c'est difficile de sortir pour danser. Il faudrait aller en ville, à Tokyo, mais nous n'avons pas de famille ou d'amis proches pour garder les filles. Les parents de Mikio sont plus âgés et on ne les voit qu'en journée ; ils ne gardent pas les filles. Bref, on aime notre vie ici, quoi que nous restions en cocon familial assez serré. Nos rencontres se trouvent à être en lien avec les parents d'enfants de l'âge des nôtres, et nous apprécions nos moments en leur compagnie. Les enfants jouent ensemble, et c'est toujours agréable d'être en milieu plurilingue (français, japonais et anglais).
Sur le plan professionnel, vous avez développé une nouvelle activité : la télé-orthopédagogie, pouvez-vous nous en dire plus.
L'orthopédagogie est une profession qui existe depuis les années 1960 au Québec. Concrètement, l'orthopédagogue intervient en amont des difficultés scolaires (prévention et dépistage) et en aval, lorsque les difficultés sont importantes ou que les élèves présentent des troubles d'apprentissage (rééducation en lecture, en écriture et en mathématique, utilisation de stratégies et d'outils compensatoires). L'orthopédagogue évalue les progrès des élèves en continu (les acquis et les besoins qui résistent aux interventions) afin de dresser l'évolution de l'atteinte des objectifs et d'émettre des recommandations. La collaboration et la communication avec les enseignants, les parents et les autres intervenants (orthophoniste, neuropsychologue, etc.) sont essentielles.
Depuis 2019, avec mon premier congé de maternité qui arrivait, j'ai voulu éviter le sentiment d'isolement professionnel ; j'ai combiné les côtés professionnel et personnel, et j'ai démarré AIDEOR, me permettant de contribuer aux progrès des élèves, tout en gérant mon temps pour m'occuper de mon bébé. À ce moment, l'orthopédagogie en ligne n'existait pas mais les parents qui me connaissaient étaient très contents de cette initiative. Il a fallu attendre l'essor du monde de la visio-conférence, avec la pandémie, pour démystifier cette nouvelle pratique. Petit à petit, les demandes ont été plus nombreuses et ont dépassé les frontières. Mon amie de longue date, Geneviève Trempe, m'a proposé de faire tout le design graphique du site. Maintenant, on est une équipe de 5 orthopédagogues et de 4 personnes dans l'administration. Je suis très chanceuse d'être aussi bien entourée pour aider les enfants expatriés.
Des conseils pour les familles qui aimeraient s'installer en Asie et au Japon plus particulièrement ?
L'Asie, c'est très grand et diversifié. S'installer en Asie du Sud Est ou s'installer au Japon, c'est vraiment différent. Néanmoins, comme dans toutes expatriations, les conseils restent similaires : s'inscrire à l'ambassade du pays pour être informés des évènements, dans les associations ou sur les groupes Facebook/Whatsapp. Parfois, en rencontrant une famille, celle-ci nous présente à une autre et des liens vont se créer, au fil du temps. Garder ses intérêts le plus possible et se renseigner sur les possibilités ; chorale, danse, natation, randonnée, etc. L'expatriation n'est pas un simple voyage ; on combine la vie personnelle et professionnelle, sur une durée à plus ou moins long terme. Pour être heureux, il faut continuer à « vivre », pas seulement travailler ni seulement attendre que l'expérience se termine. C'est une vie au présent, dans un endroit inconnu. La beauté est là : la découverte, chaque jour. Garder les yeux et le cœur ouverts.