Conseils pédagogiques et expériences d'enseignement

Retournée à Mayotte il y a 2 ans. Ce qui m'a terriblement manqué à mon arrivée c'était les conseils pédagogiques, le manque de ressources et le partage d'expériences pédagogiques. Pour les futurs collègues qui commenceront en septembre qui seront bien désemparés, je propose d'écrire ici quelques conseils pédagogiques et de partager nos expériences d'enseignement à Mayotte.

Je commence. Je suis en poste en histoire-géographie à Kaweni  2.

Une petite liste de choses qui m'ont marquées.

- la non maîtrise du français pour beaucoup très handicapant. Beaucoup d'élèves déchiffrent, ont une lecture fluide mais ne comprennent pas ce qu'ils lisent. Le passage à l'écrit est toujours handicapant pour nos élèves. Mes élèves de 3e me disaient ne pas comprendre les consignes du DnB (et donc de mes évaluations) et les études de texte.  Puis il y a les extrêmes, des élèves ne sachant toujours pas lire au collège même en 3e. Pour certains, il ne sert à rien de les évaluer à l'écrit ou si on le fait on les accompagne pour chaque question en donnant des explications. Mais même avec les explications certains n'y arrivent pas.
Face à ce problème, il faut redoubler d'efforts pour ne pas mettre les élèves en difficultés et réussir à les faire travailler en partant de leur niveau. C'est possible. Le travail à l'ecrit doit toujours etre guidé, prémaché, accompagné, structuré en plusieurs étapes...Cette année j'ai eu deux classes (5e et 4e) à profil FLS. En histoire on travaillait avec le manuel d'histoire d'école primaire de Mayotte dont la force est la place importante accordée  au visuel. A partir d'une description d'image nous étions en mesure de poser rapidement les bases de la leçon et les choses qu'on allait apprendre. Puis on passait au texte.

- l'image (vidéo, photographie, peinture, etc) marche  très bien pour nos élèves. Un bon moyen de transmission. Les élèves les plus faibles savent décrire une image, dire ce qu'ils voient et à partir de là on peut construire des choses et les emmener à se poser des questions.

- la patience: prendre le temps, construire les choses étape par étape,  accepter de se répéter autant de fois qu'il faut. En étant patient et en structurant son cours au rythme des élèves on arrive à transmettre des notions complexes comme La Mondialisation, guerre totale, soft power, hard power, développement durable, etc...Je me souviens d'un cours de 6e où pendant 1 heure j'ai expliqué de différentes manières ce qu'était le Débat  à l'Ecclesia. Expliquer d'abord ce qu'est un débat en prenant référence sur le contexte local (émission Kalaoidala, les places publiques ou l'arbre à palabres dans les villages). Par une carte mentale, expliquer "la démocratie athenienne. Puis finir avec une explication des élèves en shimaore.

- les repères (absence totale de repères géographiques ou historiques) parfois il faut reprendre les bases. Continents/Océans, etc...différences pays/villes. La frise chronologique ne marche pas trop. Les élèves ne visualisent pas...je vais essayer une autre méthode en prenant des repères dans la classe.

- l'exigence des classes faibles. On est d'accord que c'est plus facile de prendre le manuel et de faire cours. Sauf qu'on peut pas faire cela avec les classes faibles (le manuel on l'utilise quasiment jamais). Du coup faut être inventif et essayer de trouver une structure d'enseignement qui leur corresponde.  De plus avec ce genre de classes, ton cours est pourri, trop difficile ou chiant...tu le sais tout de suite car ils te pourrissent ton cours.  Pour éviter cela faire un cours à la hauteur de leur niveau et qui va les intéresser

- les élèves attachants et souriants. Moqueurs, mais toujours polis. Qui sont sans filtre qui se présentent à toi comme ils sont. Émerveillés quand tu leur fait découvrir d'autres territoires du monde. J'avais des élèves qui avaient une fascination pour la neige... du coup Étude de cas sur le Groenland  nique! ! ;)

- contrairement à ce qu'on dit on peut les intéresser sur des choses qui ne concernent  pas Mayotte.

- à K2 on a aussi des classes à très fortes compétences.  Niveau bien supérieur à la Métropole. Un autre challenge  de pédagogie différenciée.

Franchement en dehors des problèmes d'insécurité c'est un plaisir d'enseigner ici.

Ça il faut vraiment le dire, enseigner ici est réellement un plaisir malgré les difficultés énoncées au dessus.

Bonjour,

Merci beaucoup pour ce post qui est très intéressant. Je suis aussi enseignante en hist géo EMC, et je suis mutée à Kani-Kéli pour la prochaine rentrée scolaire. Je dois avoir des 4ème et des 3ème.
J'avoue qu'en demandant ma mutation pour Mayotte, je savais que j'allais devoir faire face à de nouveaux défis ! Des collègues revenus en métropole après 4 années sur l'île m'ont bien expliqué la situation qui est bien celle que tu as décrite.
Par contre les résultats du dnb ne sont pas catastrophiques, au moins pour Kani-kéli où ils sont supérieurs à 80% ce qui est surprenant au regard des difficultés des élèves, je suppose donc que la notation est adaptée. Qu'est-ce que tu en penses ?
Des difficultés importantes de la part des élèves certes, mais on a aussi des élèves en métropole qui ne maîtrisent pas la lecture comme les dyslexiques pour qui des aménagements étaient nécessaires, d'autres qui n'ont pas acquis les repères géographiques (comme les océans, les continents) ou chronologiques même en 3ème, mais  peut-être n'est-ce pas comparable... Je ne me rends pas bien compte de ce que signifie : enseigner à des enfants qui ne maîtrisent pas bien la langue française à l'oral, je pense que cela va être ma principale difficulté.
L'avantage de la réforme est qu'on doit enseigner encore davantage par les compétences et donc avec de la pédagogie différenciée, je n'ai pas dit que cela allait être simple même si je le faisais déjà un peu, mais pas suffisamment.

Questions pratiques : - qu'est-ce qui t'a le plus surpris quand tu es arrivé dans ton collège et quand tu as été face à tes êlèves ?
                                   - est-ce que les élèves ont leur matériel comme les cahiers, la colle, les crayons de coul. et tout et tout ?
                                   - qu'est-ce qui te semble important à rapporter de métropole ? Certains manuels ? Petit matériel pour travailler ? Est-ce qu'il y a des choses qui t'on manqué en arrivant ?

Encore merci pour ce petit rappel sur la situation de Mayotte.
Au plaisir de lire tes commentaires pour nous faire partager ton expérience.
Bon week-end

Salut !
Voilà un bon post ... ! Alors que nous sommes certainement un grand nombre d'enseignants à fréquenter ce forum (et que la rentrée approche.....), il y a finalement peu d'interrogations de la part des nouveaux arrivants,  sur la pédagogie et les expériences d'enseignement. J'ai déjà pu glaner grâce aux futur(e)s collègues quelques infos mais si quelqu'un peut me faire part de son vécu pédagogique cela pourra m'orienter un peu plus alors que je commence à préparer les cours ... J'enseigne en lycée et en Eco Gestion en 1ére et T. Merca.
Merci à tous.

@MariAlix

Le collège de Kani-Kéli est collège agréable (le sud de Mayotte c'est super), tu vas côtoyer des élèves venant de villages où les traditions restent intactes et où l'occidentalisation n'a pas encore fait beaucoup de ravages. De plus, il me semble que la direction est très sympathique.

Concernant le DNB il ne faut pas trop en tenir compte. A K2, 85 % et cela ne reflète pas le niveau réel de nos élèves. En 3e, se pose la question de l'orientation (les notes comptent), si on veut que nos gamins aient une chance pour l'orientation on ne peut pas leur mettre des cartons. De plus, on adapte vachement nos enseignements. Et lors de la notation du DNB, on cherche à donner le maximum de points possibles. Donc les taux de réussite au DNB ne sont pas significatifs.

Pour l'oral ça va.... c'est le passage à l'écrit qui pose réellement problème.
Pour l'oral on peut transmettre en simplifiant... A l'écrit, cela demande des compétences en FLE que nous n'avons pas tous.

Le travail par compétences exigé par la réforme est peut-être une bonne chose. Mais se posera la question de la transmission et l'apprentissage de ces compétences à des élèves qui n'ont pas le niveau de base. De toute façon, quel que soit le type d'élèves il vaut mieux travailler par compétences.

" qu'est-ce qui t'a le plus surpris quand tu es arrivé dans ton collège et quand tu as été face à tes êlèves ? "

- ce qui m'a surpris c'est la non maîtrise de la langue. Voir des élèves en 5e ne pas savoir déchiffrer. Je me demandais comment j'allais faire court?

"est-ce que les élèves ont leur matériel comme les cahiers, la colle, les crayons de coul. et tout et tout ?"
- oui. Moi je mets des croix. Donc ils ont tout le temps leur matériel. Le livre et le cahier. A partir de janvier, il y a de moins en moins de colle (du coup on perd un temps fou car ils vont demander la colle aux camarades qui en ont), les crayons de couleur, ça va... Quand je leur dit d'en apporter, ils les ont toujours. Sur le matériel, pas de soucis.

" qu'est-ce qui te semble important à rapporter de métropole ? Certains manuels ? Petit matériel pour travailler ? Est-ce qu'il y a des choses qui t'on manqué en arrivant ? "

- Je peux pas trop répondre. C'est en te confrontant aux profils de tes classes que tu sauras. Peut- être des manuels de primaire. En arrivant, deux choses qui m'ont marquées : le niveau et la non maîtrise de la langue et les insultes des élèves qui fusent... (mais c'est peut-être qu'à Mamoudzou où c'est comme ça).

Bonjour Anaom,

Merci beaucoup pour toutes ces réponses. Elles sont motivantes et m'aident à me projeter, je serai peut-être moins déroutée, peut-être ! De toute façon je pense qu'il me faudra un certain temps d'adaptation mais je ne suis pas du genre à baisser les bras.

Je prépare mes valises pour mardi, grand départ et la rentrée arrivera vite.

Bonnes vacances