Nomades numériques : comment la mobilité affecte amis et relations

Vie pratique
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Écrit par Asaël Häzaq le 11 octobre, 2024
Un mois ici, l'autre là-bas, dans 6 mois au bout du monde, avec une halte dans le pays d'origine pour Noël (peut-être). Difficile de suivre vos déplacements. À défaut de vous coller une balise de géolocalisation, vos amis comptent sur les e-mails et les appels pour garder le contact. Mais vos voyages constants changent la nature même de vos amitiés. Le changement n'est pas automatique ; il se forme avec le temps et les expatriations. Décryptage.

L'éternel absent, c'est vous  

Vous êtes partout, vous n'êtes nulle part. Cette phrase, vous ne cessez de l'entendre (ou de la lire). Les amitiés ne tiennent pas toujours la distance, et vos proches vous font remarquer qu'ils en savent plus sur vous en surfant sur vos réseaux sociaux qu'en discutant avec vous. Ils vous font aussi remarquer votre promptitude à mettre à jour tous vos réseaux (au moins un post par jour, ils ont compté), mais être plus lent à répondre à leurs e-mails (au moins une semaine, ils ont aussi compté). Pris la main dans le sac, vous passez, au mieux, pour un voyageur un peu étourdi, au pire, pour un expatrié snob. 

Attention : c'est la meilleure manière de perdre vos amis restés dans votre pays d'origine. Si le nomade numérique est populaire depuis la crise sanitaire, il fait aussi grincer quelques dents. On le dit consumériste, déconnecté des vraies valeurs, pollueur… des qualitatifs qui n'ont peut-être rien à voir avec vous, et avec vos amitiés. Mais vos amis, eux, pourraient y adhérer en observant votre comportement changer. Vos silences et absences sont autant de signaux d'alerte. D'autant plus que vous restez très actif sur les réseaux sociaux… et pas forcément pour le travail.

Le roi des « relations numériques », c'est aussi vous

Le nomadisme numérique a aiguisé votre sens de la socialisation. Vous êtes devenu expert en relations amicales à distance et maîtrisez votre communication numérique comme personne. Privilégiez-vous un peu trop les réseaux sociaux ? Vous acceptez de faire votre mea culpa tout en vous trouvant des raisons légitimes. Les réseaux ont l'avantage de parler à la masse. Inutile d'envoyer un mail personnalisé à chaque fois que vous changez de pays. Par contre, vous réservez ces e-mails (et même des appels !) à ceux que vous considérez comme vos véritables amis. Au fond, votre gestion de vos relations numériques est une manière de faire le tri entre les connaissances, les amis de voyage et les amis de toujours.

Les voyages vous forgent une socialisation « tout terrain » 

Le nomadisme numérique est aussi une histoire de solitude plus ou moins présente. La solitude n'est pas négative en soi ; elle est même bénéfique et apporte des moments de calme bienvenus. Mais elle peut devenir pesante, surtout lorsqu'elle n'est pas voulue. Le nomadisme numérique vous pousse justement à aller vers l'autre, à nouer de nouvelles relations avec les habitants du pays d'accueil. Mais pas question de cibler uniquement les autres nomades numériques ou les autres étrangers. Vous ne vous êtes pas expatrié pour rester « entre expats », mais pour vivre une expérience professionnelle et une expérience de vie à l'étranger. Ce sont les contacts réguliers avec des personnes d'origine et de cultures diverses qui renforcent votre capacité à socialiser facilement. 

La distance favorise les relations plus profondes 

Paradoxalement, la distance peut favoriser les confidences avec des personnes qui n'étaient que de simples connaissances. Le constat est souvent le même : au démarrage de votre vie de nomade numérique, vous vous promettez de garder le lien. Quoi de plus simple, à l'heure d'Internet ? Mais le temps passe et les contacts se font plus rares. Vous êtes le premier à vous étonner de la distance, au sens propre comme au figuré, qui vous sépare de « vos amis ». 

Dans le même temps, vous constatez que d'autres personnes, avec qui vous n'aviez pas de relations profondes, viennent vers vous. Vous ne savez plus vraiment qui a fait le premier pas, qui a envoyé le premier e-mail ou commenté le post sur le réseau social. Mais il y a eu connexion. Une connexion profonde qui vous laisse abasourdi, mais que vous appréciez. Vous ne vous parliez pas dans le pays d'origine. Vous échangez sur des sujets profonds depuis que vous êtes nomade numérique. C'est aussi, pour vous, une manière de faire le tri entre vos véritables amis et vos connaissances.

Vous faites régulièrement le tri entre vos amis d'ici et de là-bas

Les mises à jour ne concernent pas que les ordinateurs, les smartphones et les tablettes. Le disque dur de l'amitié doit régulièrement passer sur le grill. Naviguant d'un pays à l'autre, vous avez rencontré 1 000 personnes, obtenu le double de contacts et le triple d'invitations à des soirées, évènements en présentiel ou à distance. Vous ne répondrez bien sûr pas à toutes les invitations. Vous ne savez même plus de qui elles proviennent.

Vous avez rencontré certains « amis » dans le pays étranger. Le contact s'est si bien passé qu'on vous prenait pour les membres d'une même famille. Mais dès le lendemain, c'est comme si vous ne vous connaissiez plus. À contrario, vous avez pensé casser des amitiés nouées à l'étranger, car vous aviez changé de pays d'expatriation. Mais vous constatez que la relation ne s'arrête pas aux frontières. Bien sûr, il se peut aussi que la relation s'arrête vraiment à la fin d'une expatriation. Tout comme il se peut qu'une personne rencontrée dans le pays d'accueil devienne vraiment une bonne amie.

Toutes ces probabilités obligent à une mise à jour régulière du réseau d'amis. Certains nomades numériques craignent de passer pour des prétentieux. Ils préfèrent saturer leur fichier « contacts » et envoyer de temps à autre des « saluts » laconiques, plutôt que de passer pour celui qui brise la relation. Ne vous embarrassez pas avec ces considérations : si vos seules conversations se résument à « Au fait, salut », envoyés tous les 3 ans, c'est qu'il n'y a plus de relation. Épargnez la planète de messages superflus, et osez la rupture amicale. 

Vous apprenez à distinguer « amis de voyage » et « amis » 

Qu'est-ce que l'amitié ? Peut-on appeler « ami » quelqu'un à qui l'on ne parle que quelquefois dans l'année ? Les amis restés au pays restent-ils des amis ? Les amitiés nouées dans les pays d'accueil sont-elles réelles ?

Des nomades numériques expliquent s'être très bien entendus avec des locaux et d'autres étrangers, le temps de leur expatriation. Ils n'ont jamais cherché à formaliser ces relations, et sentaient qu'elles se termineraient lorsqu'ils changeraient de pays. Leurs amis du pays d'accueil le savaient aussi et ne semblaient pas s'en embarrasser. La relation a effectivement pris fin au départ des nomades numériques, sans douleur ni regret. Il n'y a surtout eu aucune promesse de rester en contact. Finalement, les contacts ont été rétablis de manière sporadique. Quelques photos, quelques nouvelles. Pour les nomades numériques concernés, il s'agit bien d'une amitié. Une amitié de voyage dépourvue d'injonctions, bien plus simple à gérer que les « cordes au cou » que certains aiment se mettre.

Que vous vous appeliez « amis de voyage », « amis », « amis du pays d'origine » ou « proches », l'important est d'être sur la même longueur d'onde, tout en sachant que vos voyages affectent effectivement votre vision de l'amitié et vos relations. Cette prise en compte est indispensable pour prendre du recul et faire les bons choix. L'expatriation vous change. Vos connaissances changent également. Une amitié de voyage (ou non) qui se termine n'est pas forcément la conséquence d'une brouille. Parfois, il s'agit simplement de la fin d'une histoire.

Le nomadisme numérique vous fait sortir de votre zone de confiance

Le nomadisme numérique redessine votre perception des relations sociales : connaissances, amis, amis de voyage, gens d'ici, de là-bas… Il vous invite à plus de souplesse, de tolérance et d'introspection. Car ce que vous faites, les autres le font aussi. Le tri dans les amis, la réorganisation de « l'espace » qui leur est consacré, etc. 

Le nomadisme numérique est aussi un challenge culturel constant. En effet, la manière de nouer des amitiés est très culturelle. Or, tout comme vous avez la culture de votre pays d'origine, ceux que vous rencontrez ont la culture de leur pays. Votre estime de soi peut être mise à rude épreuve. Par exemple, vous interprétez telle réaction comme un signe de rejet, alors qu'il s'agit d'une pratique courante dans la culture de l'autre. Ces mauvaises interprétations peuvent aussi affecter les relations avec les amis de votre pays d'origine (qui partagent votre culture, donc). Une non-réponse à un e-mail devient un signe de bouderie ou de rejet, alors que votre ami est peut-être occupé, tout simplement. Mais à distance, il est plus difficile de se rendre compte du quotidien de ces amis. Hélas, le cerveau humain aime imaginer le pire…

Pour penser positif, soyez proactif. Être nomade numérique oblige à sortir de sa zone de confort. Fréquentez les lieux de socialisation (espaces coworking, cafés, etc.). Pratiquez des activités en groupe. C'est une manière de vivre en immersion dans le pays tout en nouant des relations nouvelles. Mais ne vous mettez aucune pression. Laissez-vous plutôt porter au gré de vos voyages. Le lâcher-prise est de rigueur pour bien vivre votre nomadisme numérique et vos relations amicales.