Monnaie locale ou étrangère ? Pour les expatriés, un revenu reçu dans une monnaie plus faible ou plus forte que la monnaie locale a une incidence bien réelle sur le pouvoir d'achat. À terme, c'est même le projet d'expatriation qui peut être remis en cause. Cas pratiques et conseils pour prévenir les risques et limiter les pertes.
L'impact des fluctuations de devises sur le budget des expatriés
Les fluctuations des devises peuvent jouer dans tous les aspects de la vie de l'étranger qui, bien souvent, reçoit son salaire en monnaie locale. Une baisse ou une hausse des devises peut donc jouer sur le salaire, l'épargne, le coût de la scolarité, les différentes assurances souscrites, le loyer, les charges (eau, chauffage, électricité, Internet…).
Le risque est encore plus grand pour l'étranger confronté à la dépréciation de la devise locale. S'il est payé en monnaie locale, il lui sera difficile d'épargner. L'argent qu'il économisait pour son retour au pays ou pour une autre expatriation perdra en valeur. Le même problème se pose pour les retraités confrontés à la dépréciation de leur devise. Si tous les revenus ont été rapatriés dans la devise locale, ils risquent de subir une baisse plus ou moins importante desdits revenus. Même en raisonnant en 100 % monnaie locale, une dépréciation est un coût dur pour l'économie et pour le pouvoir d'achat des habitants.
En revanche, les étrangers payés dans une autre devise ne risquent pas de perdre leurs économies en cas de dépréciation de la monnaie locale. C'est plutôt le contraire : la monnaie locale plus faible augmente mécaniquement leur pouvoir d'achat.
Quand la hausse du cours de la devise plombe les finances des expatriés : l'exemple de la Thaïlande
Sur le papier, l'opération est simple et fonctionne bien. Pour augmenter son pouvoir d'achat sans forcément avoir de plus hauts revenus, il faut s'expatrier dans un pays où le coût de la vie est moins important que celui de son pays d'origine. Ce pari gagnant, de nombreux expats l'ont fait, notamment les retraités. Nombre d'entre eux optent pour des pays moins riches, dans lesquels leur pension de retraite leur permettra de vivre aisément. C'est l'une des raisons qui explique le succès de la Thaïlande, l'une des destinations favorites des expatriés suisses, français, belges… Dans leur pays, leur petite retraite leur permettait à peine de joindre les deux bouts. En Thaïlande, ils affirment vivre comme des « demi-riches ». Mais l'affirmation devient moins vraie à mesure que le cours du baht grimpe, et que leur pouvoir d'achat diminue.
Industriels thaïlandais et expatriés scrutent avec inquiétude les cours du baht (THB). La hausse de la devise est un coup dur pour les entreprises dont le chiffre d'affaires se fait principalement à l'étranger. Exporter devient plus cher ; la concurrence avec les autres industries s'accentue. Le tourisme est également impacté, puisque les étrangers ont moins de bahts en poche. D'après les chiffres, la monnaie locale a atteint son plus haut niveau le 30 septembre, avec 1 dollar américain pour 32,23 bahts (1 euro pour 36,03 bahts). La lente hausse continue. Au 7 octobre, on compte 1 dollar américain pour 33,44 bahts, et 1 euro pour 36,72 bahts.
Baisse du pouvoir d'achat des expatriés ?
La Fédération des industries thaïlandaises (FTI) appelle à une intervention de l'État. Car la situation dure depuis plus d'un an et ne semble pas s'arranger. Mais pour l'instant, la Banque de Thaïlande résiste aux pressions : pas question pour elle de baisser la devise. Le taux reste fixé à 2,5 % ; si elle reconnaît un impact sur les industries et le tourisme, la Banque assure de « gérer » la situation. Mais ses déclarations peinent à convaincre les industriels et les étrangers résidants sur le territoire, notamment les retraités.
Les expatriés sont déjà soumis à la réforme fiscale, qui les oblige à déclarer tous leurs revenus de source thaïlandaise et leurs revenus rapatriés en Thaïlande depuis le 1er janvier 2024. Les pensions de retraite font partie de ces revenus. L'envolée du cours du baht affecte directement les finances des expats. Leur pension est dévaluée : ils ont moins d'argent qu'auparavant. Moins d'argent, mais plus de dépenses. Les prix de l'immobilier sont en hausse. Le gouvernement a bien failli monter les prix de l'électricité. L'annonce avait été faite le 12 juillet. Mais face aux protestations des entreprises et des particuliers, l'État a renoncé à son projet. Mais pour combien de temps ?
En plus de l'obligation de déclarer leurs revenus, les retraités doivent désormais souscrire à une assurance santé obligatoire. Certains expats redoutent de ne plus pouvoir supporter la hausse du coût de la vie en Thaïlande. Pour les retenir, le gouvernement avance plusieurs facilitations, mises en place progressivement depuis septembre. Ces mesures concernent principalement le visa long-séjour (visa non-immigrant O-A). Le seuil minimum de la couverture santé (actuellement de 3 millions de bahts/100 000 dollars) pourrait revenir à son niveau d'avant COVID : 40 000 bahts pour les soins ambulatoires et 400 000 bahts pour les soins hospitaliers.
Baisse du cours de la devise et boom des investissements : l'exemple du Japon
Au premier trimestre, la faiblesse du yen a fait le bonheur des touristes étrangers et des expatriés payés en monnaie étrangère. Lundi 29 avril, la devise dégringole à 160,17 yens pour à peine 1 dollar. Un bas historique depuis 1990 et l'éclatement de la bulle financière au Japon (qui avait entrainé une crise immobilière et économique). La même semaine, la devise baisse encore à 153,04 yens pour un dollar. L'ancien Premier ministre Kishida vote des augmentations de salaire pour soutenir le pouvoir d'achat des habitants, fragilisé depuis plus d'un an. Car, en parallèle, l'inflation menace l'économie et relativise les hausses de salaire votées par Kishida. Impopulaire, empêtré dans des scandales politiques, le Premier ministre annonce sa démission le 14 août. Shigeru Ishiba lui succède le mardi 1er octobre après des élections serrées. Sitôt nommé, Ishiba promet de sortir le pays de la déflation et d'augmenter le pouvoir d'achat des habitants. Il propose d'augmenter le SMIC à 1 500 yens (environ 10 dollars) d'ici 10 ans.
Monnaie locale faible : une aubaine pour les investisseurs étrangers
L'exemple du Japon montre l'impact direct entre faiblesse de la monnaie locale et attraction des étrangers. C'est vrai pour les touristes, mais aussi pour les expatriés voulant s'engager dans des investissements plus conséquents. Depuis la crise sanitaire, les gros investisseurs ont progressivement reporté leurs investissements de la Chine vers le Japon.
Malgré une économie au ralenti, un vieillissement de la population et des salaires grignotés par l'inflation, la stabilité du Japon rassure les grands investisseurs. La remontée du yen face au dollar (le 7 octobre, 1 dollar vaut 148,42 yens) rassure les entreprises japonaises, mais n'entame pas la confiance des investisseurs. Le fond saoudien pense à accroître ses investissements chez Nintendo, pilier mondial du jeu vidéo, dont il possède déjà 8,6 % de parts. L'action de l'entreprise japonaise a bondi de plus de 5 % au début de ce mois. Mais pas question, pour le nouveau gouvernement japonais, de subir de trop grandes et brutales fluctuations du yen. Le nouveau ministre des Finances japonais, Katsunobu Kato promet de surveiller ces fluctuations, pour éviter un plongeon de l'économie.
Les autres expatriés profitent aussi de leur devise plus forte pour investir, notamment dans l'immobilier. Un nombre croissant d'étrangers se dirigent vers les akiya, ces maisons abandonnées vendues à très faible prix (on trouve des maisons à moins de 5 000 dollars). Le coût des travaux peut néanmoins rapidement dépasser les 100 000 dollars, selon l'état de délabrement de la maison. Avoir une monnaie plus forte que le yen permet donc de réaliser des bénéfices. Les expatriés payés dans une devise plus forte que le yen bénéficient également d'une hausse de leur pouvoir d'achat.
Fluctuation des devises et expatriation : comment limiter les pertes ?
L'expatrié n'est pas tenu de clôturer le compte bancaire de son pays d'origine. En revanche, il doit informer son établissement bancaire qu'il a ouvert un autre compte à l'étranger. Limiter les pertes commence par éviter de rapatrier toutes ses économies dans le pays d'accueil.
En cas d'immigration dans un pays sujet à d'importantes crises financières (ou instable politiquement), il convient de redoubler de prudence, surtout si les salaires sont versés dans la monnaie locale. Il est donc indispensable de vérifier la volatilité monétaire du futur pays de résidence. Certains États, comme l'Argentine, ont connu plusieurs crises financières. Les monnaies turques et égyptiennes sont également à risque, menacées par une inflation galopante.
Attention aux crédits en cours dans le pays d'origine, surtout si la monnaie est plus forte que celle du pays d'accueil. Mieux vaut rembourser rapidement ses crédits en cours, surtout si l'on réside dans un État instable économiquement. L'instabilité peut d'ailleurs venir du pays d'origine. Attention aussi aux éventuels changements politiques. Une réforme immobilière ou fiscale, par exemple, pourrait impacter les expatriés.
Il est conseillé aux travailleurs étrangers en contrat d'expatriation de prévoir un salaire net de référence pour garantir un revenu fixe, quelle que soit la conjoncture.