Le spectre de la récession
C'est le temple du luxe hongkongais. Situé en plein coeur de la mégalopole, la rue de Canton est connue pour abriter les plus grands noms : Cartier, Dior, Louis Vuitton... Habituellement bondée, la rue est désormais désespérément vide. Elle représente l'un des nouveaux visages de Hong Kong. Une économie au ralenti.
Certains expatriés envisagent Singapour comme une alternative économique à Hong Kong. « Nous partons à Singapour », déclare ainsi un entrepreneur américain à Asian Nikkei Review. Installée à Hong Kong depuis deux ans, sa startup a pourtant réalisé un bénéfice de plus de 100 millions de dollars l'an dernier. Pas assez pour inciter l'entrepreneur à rester. La montée des violences a refroidi ses investisseurs. « Je ne me soucie pas de savoir qui a tort, et qui a raison. Mais ce qu'on constate, c'est que les gens partent, » conclut le chef d'entreprise.
Il faut ajouter à cette crise celle du coronavirus, qui vide les rues de ses habitants. Philippe Branche, expert en finance à Hong Kong, rapporte au Huffington Post son nouveau quotidien dans une ville aux allures fantomatiques : « la ville se vide jour après jour de ses expatriés des grands groupes qui organisent leur rapatriement. [...] des équipes de désinfection arpentent régulièrement la ville et les boutons d'ascenseur portent désormais des filtres plastique changés à heure fixe. » Certainement, cette épidémie aura t-elle un impact sur l'économie hongkongaise.
Nicolas Boutin, chef français du restaurant gastronomique Epure, constate les dégâts. Son restaurant est quasi vide. Au micro de France TV info, il note que plus de 400 restaurants auraient déjà fermé. Plus de 1000 fermeraient en ce début d'année. Le chef affirme perdre, certains jours, jusqu'à plus de 8000 dollars (plus de 7300 euros).
Pour Andrew Au, économiste au gouvernement de Hong Kong « l'économie est officiellement en récession ». Une première depuis dix ans. Le PIB s'est ainsi contracté d'1,2% en 2019. Contre 3,5% en 2018. Le FMI tempère cependant, et parle d'une « récession limitée ». Le secteur financier continue de porter l'économie. Il accuse, certes, un recul (+6,3% en septembre 2019, contre 21,4% en 2017 - chiffres le Figaro), mais reste solide. Pour les expatriés travaillant dans la banque, les assurances, la technologie et l'immobilier, les affaires continuent. L'hôtellerie, le tourisme, l'aviation et le commerce sont les plus touchés par la crise. Le commerce est particulièrement visé, avec une chute des ventes prévues de 8,1 à 3,7%, selon Hong Kong business. La Hong Kong Retail Management Association (HKRMA) est plus pessimiste. Selon elle, 97% de ses adhérents ont déclaré subir des pertes commerciales.
Conscient que Hong Kong reste une place stratégique de la finance, nombre d'entrepreneurs et salariés étrangers se demandent cependant combien de temps ils pourront rester dans l'incertitude. Pour Ross Darrell Feingold, directeur du cabinet mondial de conseil en sécurité des voyages SafePro Group : « bien que Hong Kong ne soit "pas encore à un point d'inflexion", [...] davantage d'entreprises étrangères ont commencé à revoir leurs plans d'urgence. » (Nikkei Asian Review). Le FMI, lui, prédit des jours économiques plus sombres, si les tensions durcissent.
Partir, ou rester ?
Novembre 2019. Les élections locales prennent des allures de vote sanction, pour Carrie Lam, cheffe de l'exécutif, qui admet des « lacunes du gouvernement ». Avec plus de 70% de taux de participation, les démocrates battent largement le parti au pouvoir. Carrie Lam ne semble cependant pas prête à céder. C'est ce qui inquiète les expatriés.
Si nombre d'expatriés comprennent le mouvement de manifestation, ils craignent pour leur sécurité. Certains partent, d'autres hésitent à venir. Les demandes de visa de travail ont baissé de 7% par rapport à août 2018, selon Courrier International. Ceux qui restent s'inquiètent pour leurs enfants. Une expatriée britannique confie au Courrier international ne plus oser sortir dans la rue avec son fils. Un banquier chinois se voit contraint par son épouse hongkongaise de ne plus parler mandarin en public. Le couple envisageait jusqu'alors de rester vivre à Hong Kong. Il songe maintenant à prendre sa retraite en Chine continentale.Hong-Kong compte 7,5 millions d'habitants, parmi lesquels 25 000 Français. Delphine, résidente depuis 17 ans, comprend l'inquiétude de ses compatriotes, et regrette de n'avoir « reçu aucune information de la part du Consulat de France ». Seule la police hongkongaise l'averti parfois, par sms, les jours de manifestations. Sms également utilisés par les autorités pour avertir quant à l'évolution du coronavirus. Nathalie conclut : si départ il y a, il sera temporaire. « Hong Kong, c'est chez nous. Nous aimons vivre ici et nous espérons pouvoir rester le plus longtemps possible. »
Un sentiment partagé par d'autres expatriés. Certains soutiennent le mouvement pro démocratie, comme Marc Progin, photographe suisse installé à Hong Kong depuis 40 ans. Face à ses détracteurs, qui l'accusent d'activisme, Marc Progin se définit comme “un observateur”. Il distingue 3 camps : « En face des pro-démocrates, il y a les pro-establishment ou pro-Pékin.” Victime d'une agression, il affirme que “les pro-Pékin sont beaucoup plus violents que la police et les étudiants. »
D'autres, comme Eric et Anne, expatriés français, choisissent également de s'engager. Pour Anne, il s'agit de remplir “un devoir moral”. Charles, lui, participait aux manifestations et s'active sur Internet via des forums de discussion. Habitant à Hong Kong depuis son enfance, il comprend les questions des expatriés. Partir ou rester; s'engager ou pas ? D'aucuns s'estiment illégitimes, dans un pays qu'ils ont choisi pour ses nombreux avantages (multiculturalisme, économie etc.) sans forcément bien connaître son histoire. Illégitimité davantage ressentie pour celles et ceux qui savent n'être que de passage à Hong Kong.
Les manifestations se concentrent habituellement autour des stations de métro, des quartiers d'affaires, des administrations. Le calme semble revenir progressivement - un calme trompeur : le coronavirus est dans toutes les têtes. Hong Kong a déclenché le niveau d'alerte maximale. Les autorités recensent 42 cas et un décès. Pénurie de masques, de papier toilette, de riz, de gants, de solutions hydroalcooliques... La police va jusqu'à déplorer des vols de papier toilette en bandes organisées. Un climat de psychose s'installe. Des expatriés - surtout les familles - préfèrent partir. Comme Jacob, originaire de Nouvelle Zélande, qui préfère mettre sa fille en sécurité (bloomberg.com). Hong Kong porte encore les stigmates du SRAS, virus qui avait fait plus de 300 morts en 2003. L'angoisse se répand jusqu'aux lieux de culte. Missionnaire à Hong Kong depuis 2014, Nicolas de Francqueville a suspendu temporairement les messes et célébrations. Il décrit un climat tendu, où les habitants fuient les lieux publics pour se calfeutrer chez eux. Le masque devient presque un signe extérieur de richesse - denrée rare, ne pas le porter serait vu comme « une provocation et transformerait] la personne en pestiférée dont il [faudrait] s'éloigner. » Les événements culturels sont suspendus ou annulés. Les écoles, fermées. Ce qui incite davantage les familles expatriées à envisager le départ.
2020 s'annonce comme une année de défis, pour Hong Kong. Urgence sanitaire, avec l'épidémie du coronavirus. Défi politique, avec les revendications des démocrates. Quelles conséquences sur l'attractivité de Hong Kong aux expatriés ?