C'est en 2012 que je déménage à Paris depuis l'Angleterre, mon pays natal.
À l'époque, j'avais en tête de ne rester qu'une année ou deux avant de rentrer chez moi bilingue, « gamine » (attirante de manière enfantine – à l'époque je ne savais pas ce que ça voulait dire mais ça avait l'air cool !), et accomplie.
Huit ans plus tard… je suis toujours là !
Je me revois, il y a huit ans, trimballer cette énorme valise à bord de l'Eurostar et je réalise que je ne savais absolument pas dans quoi je m'embarquais. Pour moi, il s'agissait plus, à ce moment-là, de satisfaire un caprice, d'y passer pas plus de 18 mois sans embûche. Mais en fait, lançais dans un voyage beaucoup plus long qui définirait la prochaine décennie et même le restant de ma vie (me voilà mélodrame). À l'époque, je ne me rendais pas vraiment compte de l'importance de ce cap que je franchissais et de l'impact de ce changement. Si je l'avais réalisé, j'aurais probablement été terrifiée par l'ampleur. Au lieu de ça, sourire aux lèvres, je traînais ma valise le haut des escaliers de la Gare du Nord, impatiente de commencer mon escapade à la française.
Aujourd'hui, on peut tout à fait dire que rien ne s'est déroulé comme prévu ! Je ne suis pas bilingue. Je ne sais toujours pas ce que signifie le mot « gamine ». Et, à moins d'être un peu fou, on ne me qualifierait pas exactement de personne accomplie. Par contre, je suis passée d'une histoire d'amour sans lendemain avec la France à une immigrée sans projet de départ. Quand je me suis installée ici, je n'aurais jamais cru que ce projet qui était à la base un caprice m'aurait autant transformé et que ce pays deviendrait une partie fondamentale de ce qui me définit. Pourtant, nous sommes bien là. Nous, expatriés, changés à jamais par l'expérience de la vie dans un pays autrefois, inconnu.
Pour les expatriés de longue date, la question de l'appartenance vient souvent comme un bourdonnement en toile de fond de la vie quotidienne : parfois inaudible, parfois assourdissante. Il y a des jours où vous avez l'impression d'y être arrivé. Le serveur du café du coin sait exactement ce que vous aimez et comment vous prenez votre café, vous arrivez enfin à faire une blague dans la langue de votre pays de cœur, vous parvenez à accomplir une démarche administrative dans avoir besoin d'aide ou d'un traducteur. Et puis, il y a les autres jours.
Même avec un passeport, le droit de vote, la maîtrise de la langue, et en ayant la résidence et la citoyenneté en règle, nous sommes toujours confrontés à des obstacles encore plus importants : l'humour, les références culturelles, les nuances sociales, la politique, la langue, l'amour de chez-soi.
C'est un casse-tête existentiel. Sommes-nous vraiment chez nous ici ? Bien sûr ! Et puis, ben non.
D'un côté, nous avons tellement rêvé de cette vie que nous avons franchi toutes les barrières pour y être. On y vit, on y mange, on y travaille, on y paie les impôts. Et de l'autre côté ? Nous ne sommes simplement pas _______ (indiquez la nationalité de votre pays d'adoption).
Pire encore, après avoir passé des années dans un autre pays, j'ai appris une chose surprenante : se sentir comme un expatrié ne s'applique pas exclusivement au pays dans lequel vous choisissez de vivre. Curieusement, je me sentais de plus en plus étrangère dans mon propre pays. Il est impossible de ne pas emmener votre nouvelle vie avec vous, où que vous alliez. J'aime l'Angleterre, le caractère non français de mon pays natal, mais je ne peux m'empêcher de comparer les deux mondes et de voir les choses différemment maintenant – à commencer par le pain. Les deux pays sont aimés et aucun des deux n'a été épargné par les critiques. Ma réalité, aussi nouvelle et déconcertante soit-elle, est que quand que je suis là-bas, je suis à moitié ici, et qu'ici, je suis à moitié là-bas.
Comment réconcilier nos identités ? Après des années passées à vivre dans un autre pays et à l'aimer, où sommes-nous vraiment chez nous ?
C'est lors d'une conversation avec un ami français que m'a été offerte une nouvelle perspective sur toute cette énigme. Il m'a écouté m'expliquer - ou au moins essayer - dans mon français à peu près. Je croyais que son air confus était le résultat du massacre que je venais de faire de sa langue maternelle mais j'avais tout faux.
« C'est une bonne chose ! Tu appartiens à deux mondes maintenant », a-t-il dit. « Tu es ni l'un ni l'autre. Tu n'es pas simplement Française, tu n'es pas simplement Britannique. Tu appartiens aux deux mondes. C'est incroyable ! C'est un super pouvoir ! »
Et depuis, je n'arrive plus à voir les choses autrement. J'ai décidé de célébrer l'entre-deux, au lieu de m'inquiéter. Oui, je suis Britannique. Mais je suis aussi un peu moins Britannique que je l'étais avant, et un peu plus Française que je l'aurais cru possible.
Il ne s'agit pas d'aimer une culture plus qu'une autre, mais d'apprendre, de comprendre et d'apprécier autant que possible les deux. En tant qu'expatriés, c'est un choix et un privilège d'être influencés, exaspérés et inspirés par plus d'un chez-soi. Nous choisissons d'être les champions de deux cultures et de grandir des deux expériences. Et ce n'est là que l'une des beautés de l'expatriation. Juste l'un de ses nombreux super pouvoirs...