
L'héritage transfrontalier est un vrai casse-tête pour les expatriés dont les familles vivent dans d'autres pays. Les lois successorales diffèrent d'un pays à l'autre et les traités fiscaux bilatéraux ajoutent encore une couche de complexité. Alors, comment s'y retrouver sans risquer de perdre l'accès à ses biens hérités, de compliquer la transmission de son patrimoine à ses enfants ou de se faire taxer à outrance ? Voici quelques pistes pour y voir plus clair.
Faites appel à un professionnel : conseiller fiscal, comptable ou avocat
Quand on aborde des sujets aussi complexes, mieux vaut se faire accompagner par des experts. Gérer un héritage ou déclarer ses impôts dans son pays d'origine, c'est une chose. Mais dès que le droit international s'en mêle, les risques de se tromper doublent. Un Américain expatrié en Chine, par exemple, doit sans doute s'y connaitre en matière de règles de l'IRS (le fisc américain). Mais qu'en est-il des subtilités du traité fiscal entre les États-Unis et la Chine ? Ou des lois successorales chinoises ?
Quelle que soit votre nationalité, si vous êtes un cadre dirigeant ou un chef d'entreprise installé à l'étranger, vous avez sûrement déjà un comptable pour vous guider. Pour les autres expatriés, il est fortement recommandé de consulter un conseiller fiscal ou un avocat, surtout si un proche décède dans votre pays d'origine en laissant des biens, ou s'il vous transfère des actifs de son vivant.
Même les héritages qui semblent simples peuvent cacher des pièges fiscaux. Par exemple, si vous héritez d'un logement locatif sur Airbnb, d'un restaurant ou d'actions qui génèrent des dividendes, ces actifs pourraient être soumis à des règles fiscales différentes s'ils continuent de produire des revenus dans votre pays d'origine. Et ce n'est pas tout : la durée de votre expatriation, ou même la double nationalité du défunt, peuvent compliquer les choses. Dans ce dernier cas, les lois de trois pays pourraient entrer en jeu : votre pays de résidence actuel, ainsi que les deux pays de nationalité de votre parent décédé.
Alors, pour éviter les mauvaises surprises, mieux vaut investir dans les conseils d'un professionnel. Il saura vous expliquer comment tirer parti des traités de double imposition et réduire au maximum votre facture fiscale. Et puis, avouons-le : quand on vient de perdre un proche, gérer des formalités administratives complexes est la dernière chose dont on a envie. Confier cette tâche à un expert, c'est aussi une manière de se préserver.
Les termes clés à connaître en matière de succession
Voici un petit lexique des termes que vous croiserez sûrement si vous êtes confronté à une succession transfrontalière. Attention : ces termes peuvent varier d'un pays à l'autre, car chaque système juridique a ses spécificités. Certains concepts ne se traduisent pas toujours parfaitement d'une langue à l'autre, mais ces notions restent universellement utilisées.
- Les actifs (ou biens) : les actifs, ce sont tous les biens, matériels ou immatériels, qui ont une valeur économique et qui peuvent être transmis à votre famille, de votre vivant ou après votre décès. La liste inclut les biens immobiliers (terrains, maisons), les voitures, les comptes bancaires, les actions en Bourse, les entreprises (comme un restaurant), les droits d'auteur (sur des livres, par exemple), les bijoux, les tableaux, etc.
- Les droits de succession (ou impôt sur les successions) : Prélevé sur les biens que vous recevez d'une personne décédée, ou sur un don fait de son vivant le montant de cet impôt dépend de plusieurs facteurs, comme la valeur des biens, votre lien de parenté avec le défunt ou le donateur, votre statut de résidence, surtout si vous êtes expatrié.
- Domicile vs résidence : on appelle domicile le pays que vous considérez comme votre foyer permanent. Quant à la résidence, il s'agit de l'endroit où vous vivez actuellement, par exemple, un pays où vous êtes expatrié pour un contrat de travail de trois ans. Votre domicile et votre résidence peuvent être dans le même pays ou dans des pays différents. Cette distinction est capitale pour les lois successorales et la fiscalité. Par exemple, certains pays taxent vos biens partout dans le monde si vous êtes domicilié chez eux, tandis que d'autres se basent sur votre résidence pour déterminer vos obligations fiscales. Bien comprendre cette différence est essentiel pour bien planifier votre succession et vos impôts.
- La planification successorale : c'est le fait d'organiser à l'avance ce qui arrivera à vos biens après votre décès. Cela implique de faire l'inventaire de tous vos actifs et de rédiger votre testament.
- L'exécuteur testamentaire : il s'agit de la personne chargée de gérer et de distribuer les biens d'une personne décédée, en suivant les instructions de son testament.
- La donation (ou donation de son vivant) : il s'agit de transférer des biens de votre vivant, plutôt qu'après votre décès. Par exemple, si votre mère vous donne sa voiture de son vivant, c'est une donation.
- L'impôt sur les plus-values (ou taxe sur les gains en capital) : cet impôt, qui s'applique aux donations (et non aux successions), est calculé sur la plus-value réalisée lors du transfert d'un bien. Pour les donations transfrontalières, les variations des taux de change peuvent jouer un rôle si le bien est transféré dans une devise différente de celle utilisée par le bénéficiaire pour déclarer ses impôts. Par exemple, si votre mère en Australie a acheté une maison à Sydney pour 900 000 dollars australiens et vous la transfère alors que vous êtes expatrié en Europe, les fluctuations entre le dollar australien et l'euro seront prises en compte dans le calcul de l'impôt sur les plus-values. Même si vous ne payez pas de droits de succession sur une donation transfrontalière, le donateur (votre mère, dans cet exemple) devra souvent payer l'impôt sur les plus-values sur la valeur actuelle du bien.
- La fiducie (ou trust) : ce dispositif permet de confier la gestion d'un ensemble de biens à un tiers, appelé fiduciaire (ou trustee). C'est un outil pratique pour réduire la valeur imposable de votre patrimoine lorsque vous transférez des actifs à votre famille. Attention toutefois : créer une fiducie à l'étranger ne doit pas servir à échapper aux impôts. Ne pas déclarer une fiducie étrangère aux autorités fiscales de votre pays d'origine peut être considéré comme une fraude.
- Le règlement européen sur les successions : promulgué en 2015, ce règlement simplifie les successions et donations transfrontalières au sein de l'Union européenne. Il est très utile pour les expatriés européens vivant dans un autre pays de l'UE. Vous pouvez, par exemple, choisir d'appliquer les lois successorales de votre pays d'origine ou de votre pays de résidence. Ce choix peut être indiqué dans votre testament ou dans une déclaration écrite séparée. Attention : ce règlement ne s'applique ni au Danemark ni en Irlande et il ne couvre pas certains aspects, comme les droits de succession ou le régime matrimonial.
- L'héritage réservé (ou réserve héréditaire) : dans certains pays, une partie de la succession doit obligatoirement revenir aux enfants du défunt. Il est donc illégal de déshériter ses propres enfants. Dans certains cas, cette règle s'applique aussi au conjoint. Parmi les pays concernés, on trouve l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la France, l'Allemagne, le Japon, la Corée du Sud et le Brésil. Si vous êtes expatrié, consultez un avocat pour savoir si cette règle s'applique à votre cas. Si vous êtes domicilié dans votre pays d'expatriation et que vous y possédez des biens immobiliers, cette règle pourrait bien s'appliquer.
- Les traités de double imposition (ou conventions fiscales bilatérales) : la plupart des pays ayant de bonnes relations diplomatiques ont signé de tels traités pour éviter que leurs citoyens expatriés ne soient imposés deux fois, y compris sur les successions. En payant les droits de succession dans l'un des deux pays (par exemple, votre pays d'expatriation), vous bénéficiez d'un crédit d'impôt ou d'un allègement fiscal dans l'autre pays (par exemple, votre pays d'origine).
Les pays où il faut être vigilant lors de transferts d'actifs transfrontaliers
Si vous êtes concerné par une succession transfrontalière, voici les bonnes questions à vous poser :
Votre pays d'origine et votre pays d'expatriation appliquent-ils des droits de succession ?
Existe-t-il un seuil avant que ces droits ne s'appliquent ? Ce seuil est-il élevé ou bas ?
Un traité de double imposition existe-t-il entre votre pays d'origine et votre pays d'expatriation ? Prenez le temps d'en consulter les conditions.
D'autres lois, comme le Règlement européen sur les successions, s'appliquent-elles à votre situation ?
La nature de votre lien avec la personne qui vous transmet ou à qui vous transmettez des biens fait toute la différence en matière de succession. Les règles ne sont pas les mêmes selon que vous êtes conjoint, parent, enfant, frère, sœur, ou sans aucun lien de parenté. Au Mexique, par exemple, les donations entre conjoints ou de parents à enfants sont exemptées de taxes. Mais si un bien passe d'abord d'un enfant à un parent, puis de ce parent à un autre enfant, des taxes peuvent s'appliquer.
Dans certains pays, les règles de succession transfrontalière pour les expatriés peuvent devenir un véritable casse-tête. Voici quelques exemples de pays où il est fortement recommandé de consulter un avocat pour organiser au mieux votre succession :
Le Royaume-Uni
Pour les expatriés installés de longue date au Royaume-Uni mais dont le domicile fiscal reste leur pays d'origine, les nouvelles ne sont pas bonnes. En octobre, le nouveau gouvernement travailliste britannique a révisé les règles applicables aux « non-doms » (non-domiciliés) en matière de droits de succession. Désormais, c'est la résidence et non plus le domicile, qui sert de base pour calculer ces droits. Par ailleurs, un nouveau terme a fait son apparition dans la loi : « LTR » (Long-Term Resident, ou résident de longue durée), qui désigne un expatrié ayant vécu au Royaume-Uni pendant au moins 10 des 20 dernières années. Ces modifications entreront en vigueur en avril 2025.
Les expatriés LTR devront s'acquitter de 40 % de droits de succession sur leurs actifs mondiaux excédant un seuil de 325 000 £ (environ 415 000 USD). De plus, un expatrié continuera d'être considéré comme LTR pendant 3 ans après avoir quitté le Royaume-Uni s'il y a résidé pendant 13 des 20 dernières années. Chaque année supplémentaire passée sur le sol britannique ajoute une année à cette période de 3 ans. Ces réformes ont provoqué une vague d'inquiétude parmi les expatriés à haut revenu. Selon le Financial Review, des expatriés australiens répondant à ce profil envisagent de quitter le Royaume-Uni avant avril, date à laquelle les réformes seront appliquées.
Toutefois, ces changements ne concernent pas tous les expatriés. Si vous êtes un expatrié de courte durée prévoyant de rester au Royaume-Uni moins de 10 ans, vous n'avez pas à vous inquiéter. De même, les expatriés ne possédant pas d'actifs supérieurs à 325 000 £ ou n'ayant pas de famille à qui transmettre de tels actifs ne seront pas touchés. Les expatriés britanniques de longue date vivant dans d'autres pays et n'ayant pas résidé au Royaume-Uni au cours des 20 dernières années sont également épargnés par ces droits de succession.
Les États-Unis
Les États-Unis sont réputés pour leur administration fiscale, l'IRS, qui impose les citoyens américains où qu'ils se trouvent dans le monde. Heureusement, au niveau fédéral, l'IRS ne taxe pas les biens étrangers légués ou donnés à des citoyens américains. En revanche, ces transferts doivent impérativement être déclarés à l'IRS, sous peine d'une amende pouvant atteindre 25 %. Par ailleurs, une taxe fédérale sur les successions s'applique, mais uniquement si les transferts dépassent un seuil d'exemption particulièrement élevé, fixé actuellement à 13,61 millions de dollars par individu – ou le double pour les couples mariés.
Mais attention, bien qu'il n'existe pas de droits de succession au niveau fédéral, six États américains en prélèvent : le Nebraska, l'Iowa, le Kentucky, la Pennsylvanie, le New Jersey et le Maryland. Si vous êtes un expatrié américain originaire de l'un de ces États ou un expatrié non américain y résidant, il est essentiel de consulter un avocat ou un conseiller fiscal pour comprendre les implications successorales dans votre situation spécifique.
L'Espagne
Les expatriés espagnols vivant en dehors de l'Union européenne doivent se montrer particulièrement prudents en ce qui concerne les droits de succession. Il est crucial pour eux de travailler en étroite collaboration avec un avocat pour bien planifier leur succession. Comme le souligne le cabinet Spanish Lawyer NYC, ces expatriés sont tenus de payer des droits de succession à l'État espagnol, mais ils ne peuvent pas toujours bénéficier des déductions qui auraient été applicables dans leur ancienne communauté autonome de résidence en Espagne. Sans une planification rigoureuse, ils risquent de se retrouver confrontés à des droits de succession très élevés. Si leurs parents décèdent en Espagne, par exemple et leur laissent des biens, la facture fiscale pourrait s'avérer particulièrement lourde.
Le Japon
Le Japon impose des droits de succession sur les actifs mondiaux, qui peuvent atteindre jusqu'à 55 % de la valeur des biens transférés. Ce qui est particulièrement notable, c'est que cette règle s'applique également aux actifs mondiaux des expatriés non japonais ayant résidé dans le pays pendant une longue période (10 des 15 dernières années) ou détenant un visa classé dans le « Tableau 2 ». Les visas du Tableau 2 incluent notamment les visas de travail professionnel et spécialisé, ainsi que ceux destinés aux artistes, universitaires et experts culturels.