Virginie, tu es en Pologne depuis près de 15 ans. Raconte-nous ton parcours.
Je suis originaire de Bordeaux où j'ai étudié l'économie et le droit avant de partir une année en Erasmus à Stockholm pour étudier le marketing. Aussitôt ma dernière année d'études achevée, j'ai pu intégrer le service marketing d'un opérateur télécom à Paris. 18 mois plus tard, malheureusement, il mettait la clé sous la porte et je suis partie pour la Pologne. J'y vis depuis 14 ans, j'y ai "importé" mon mari américain et nos 2 enfants sont nés dans la capitale polonaise. La Pologne a naturellement une place très spéciale dans nos cœurs ! Après avoir été entrepreneur pendant 10 ans à la tête du magazine francophone Les Echos de Pologne, je travaille désormais dans une agence de communication polonaise.
Tu es à Varsovie. Peut-on comparer la capitale polonaise aux autres grandes villes ?
Comme dans tous les pays, la capitale ne représente pas le pays. Vivent à Varsovie énormément de personnes venues pour travailler, et qui quittent la capitale pour visiter leur famille dès que possible. La ville a été détruite à 85% lors de la Seconde Guerre mondiale et reconstruite par les communistes. Elle a été mal aimée par ses habitants et négligée par les autorités pendant longtemps. Lorsque je suis arrivée à Varsovie, c'était nous, les étrangers, qui expliquions aux Polonais à quel point Varsovie était agréable à vivre.
En province, même dans les grandes villes, il règne un attachement naturel aux villes et à leur région : les familles ont des racines locales, les bâtiments y sont authentiques, même avec leurs cicatrices et leurs balafres. Les gens issues d'ailleurs en Pologne disent que le rythme à Varsovie y est effréné… C'est une ville moderne, plus libérale que le reste du pays.
Comment, pourquoi as-tu choisi de t'installer dans ce pays, et plus précisément dans sa capitale ?
J'ai découvert la Pologne en 1995. J'étais alors lycéenne. J'avais répondu à une annonce de l'UNESCO pour être assistante de français dans un camp linguistique d'été à Bielsko-Biala, une ville au sud du pays. J'ai eu la chance d'être recrutée. Je me suis fait assez naturellement plusieurs amis polonais avec qui je suis restée en contact. En 2001, je travaillais à Paris chez un opérateur de télécom qui a fait faillite en juillet 2001. Je trouvais qu'il régnait en France un immobilisme, un esprit attentiste. J'avais envie de quitter mon pays. A l'époque, mes copains de promo partaient à Londres. Le Royaume-Uni ne m'attirait pas spécialement, encore moins sa capitale… C'est ainsi que j'ai décidé de venir tenter ma chance à Varsovie. Je suis arrivée avec ma valise le 7 octobre 2001, pour 3 mois, pour voir. Et la chance m'a souri. J'ai pu rester !
As-tu eu l'occasion de vivre ailleurs qu'en France et en Pologne ?
J'ai toujours aimé voyager, découvrir de nouvelles cultures. J'ai vécu une année à Stockholm grâce au programme Erasmus. Cela a été une expérience très forte. Mon premier choc culturel ! Mais j'en garde un très bon souvenir. Stockholm est une magnifique ville, très agréable à vivre.
Mais comme je suis tombée amoureuse de Varsovie et que ma famille et moi nous nous y plaisons énormément, nous n'avons pas encore osé aller voir ailleurs.
Communiquer, te faire comprendre, te déplacer... toutes ces choses auxquelles on s'initie pour s'intégrer en arrivant dans un pays : cela a-t-il été facile pour toi ?
Avant de débarquer en 2001, j'étais venue à Varsovie en juillet pour préparer mon installation. Je m'étais inscrite à des cours de langue polonaise. Pour le reste, je connaissais déjà un peu la ville et la culture puisque j'étais venue en Pologne plusieurs fois entre 1995 et 2001. Je pense que j'ai aussi une facilité à me sentir à l'aise dans un nouvel environnement. Je ne me souviens pas d'avoir eu des difficultés, ni avec la langue, ni avec les Polonais.
Tu es à l'origine du magazine Les Echos de Pologne. Parle-nous de cette aventure.
J'ai trouvé un travail 3 semaines après mon arrivée à Varsovie, dans un magazine francophone qui existait à l'époque – Le Courrier de Varsovie. Lorsque les actionnaires ont décidé de fermer le magazine pour des raisons personnelles, j'ai trouvé que c'était dommage. Je pensais qu'il y avait quelque chose à continuer. Donc, j'ai lancé avec d'anciens collègues Les Echos de Pologne en avril 2003. L'aventure a duré 10 belles années et j'ai dû arrêter en 2013 pour des raisons financières. Nous avons tenté de convertir Les Echos de Pologne en plateforme multimédia mais nous n'avons pas réussi.
Tu es employée localement en Pologne. Quelles ont été les formalités pour que tu puisses vivre et travailler en Pologne dès 2001 ?
En 2001, lorsque je suis arrivée, les formalités pour trouver un travail étaient complexes. La première société de recrutement que j'ai visitée pour laisser mon CV m'avait dit « pour trouver un travail, il faut un visa de travail. Pour avoir un visa de travail, il faut un travail ». Cette procédure kafkaïenne était véridique et m'a donné le ton : « Tout est possible en Pologne ! ». Et comme il n'y a pas de problème sans solution, j'ai pu trouver un travail.
Connais-tu les formalités pour s'expatrier en Pologne aujourd'hui ?
La Pologne a intégré l'UE il y a 12 ans. A ce titre, les ressortissants de l'UE ne sont soumis à aucune procédure particulière pour travailler.
Quelle est la plus grande satisfaction que t'offre ta vie en Pologne ?
Il y a tellement de satisfactions à vivre en Pologne qu'il m'est difficile de n'en citer qu'une. Mais disons, que d'abord pour moi vivre à l'étranger, c'est un bonheur quotidien. J'ai à la fois l'émerveillement d'apprendre tous les jours de nouvelles choses, de me confronter à une culture que je maîtrise mais qui ne sera jamais la mienne – et en même temps, je me sens chez moi. Je connais Varsovie comme ma poche, je suis parfaitement à l'aise en polonais et avec les Polonais.
L'autre énorme satisfaction c'est la qualité de vie qu'offre Varsovie.
A l'inverse, y a-t-il des choses qui te manquent ?
Je suis partie parce que je voulais quitter la France. Je pense que cela m'a conditionnée à ne pas avoir le mal du pays. A part mes amis et ma famille qui vivent en France – et les fromages bien faits – rien ne me manque de la France.
Un cliché sur la Pologne et/ou sa population qui s'est révélé complètement faux ?
Lorsque j'ai découvert la Pologne en 1995, je ne savais de la Pologne que ce qu'on en apprend à l'école – c'est-à-dire très peu. Après cela, j'ai découvert le pays grâce à mes amis Polonais, au fil de mes voyages. Non, je ne vois pas de clichés erronés. Je vais vous dire que le cliché le plus connu est sans doute « saoul comme un Polonais » et celui-ci est tout à fait vrai ! Mais la plupart du temps, ce sont les Français qui l'interprètent mal. Car en réalité, « saoul comme un Polonais » est un compliment. Napoléon, en campagne en Pologne, avait dit à ses soldats, « saouls, d'accord, mais soyez saouls comme des Polonais ». Car les Polonais sont fêtards, ils sont capables de boire beaucoup, d'être très saouls, mais le lendemain, ils sont au front, frais, prêts à combattre.
Te vois-tu toujours en Pologne d'ici 5 à 10 ans ?
Mon mari est américain et bien que nous nous plaisions énormément à Varsovie, nous pensons aller nous installer aux Etats-Unis d'ici 5 à 10 ans. En fait, cela fait déjà 5 ans qu'on dit « 5 à 10 ans » ! Je voudrais que mes enfants vivent dans l'un de nos pays. Idéalement, nous aimerions encore vivre dans un autre pays avant de nous poser aux Etats-Unis, mais quand j'imagine le mal que je vais avoir à quitter Varsovie, cela me semble compromis.
Pour finir, quels seraient tes meilleurs conseils pour les personnes qui souhaitent s'expatrier en Pologne ?
Le premier conseil, qui peut sembler un lieu commun pour des personnes souhaitant vivre à étranger : c'est vraiment d'être ouvert aux différences culturelles. Quand on arrive en Pologne, au quotidien, on voit peu de différences. Mais au travail, les différences de management, de mode de réflexion, de culture de travail… peuvent donner lieu à pas mal de frustrations, de malentendus, voire de faux pas.
Par ailleurs, le polonais est une langue assez complexe, mais très belle. Si on ne se met pas au polonais tout de suite, on va s'apercevoir que l'on peut tout à fait vivre à Varsovie sans parler polonais. En outre, les Polonais sont extrêmement sensibles au fait que des étrangers fassent des efforts pour parler leur langue.
Même si les Français sont appréciés en Pologne, il faut faire preuve d'humilité et se rappeler que ce sont nous les étrangers. Nous n'avons pas de leçon à donner aux Polonais qui peuvent se froisser car ils sont très patriotes et très fiers de leur pays à l'histoire dramatique et compliquée.
La Pologne est un pays très conservateur – mais à Varsovie, cela n'est pas forcément flagrant, si on n'habite pas à côté d'une église. Aussi, les débats de société ici sont naturellement tout autres. La société polonaise est complexe et pleine de paradoxes.
Il est impossible de résumer la culture d'un pays en une conversation. Et tant mieux, d'ailleurs : il faut bien garder un peu de mystère pour les futurs arrivants !
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