Le Congrès argentin pourrait bientôt adopter un nouveau projet de loi fiscale qui devrait changer la donne pour les télétravailleurs recevant des revenus depuis l'étranger. Jusqu'à présent, pour pouvoir légalement épargner leur revenu dans une banque en Argentine, ils devaient les convertir en pesos. La dépréciation du peso et l'absence de régularisation du travail indépendant ont poussé l'État à présenter un projet de loi qui permettrait à ces travailleurs de laisser jusqu'à 30 000 $US non-convertis sur leur compte bancaire argentin. La Chambre basse du Congrès a déjà approuvé ce projet de loi, mais le vote de la Chambre haute est attendu.
Hausse de l'inflation et dépréciation vertigineuse du peso en Argentine
La hausse de l'inflation constitue un sérieux problème en Argentine depuis plusieurs années. Ajoutée à cela, une sécheresse sans précédent au cours des premiers mois de 2023 qui a affecté le secteur agricole, un pilier économique majeur. Selon l'agence de presse Reuter, les mauvaises récoltes ont entraîné des pertes de l'ordre de 14 milliards de dollars américains à l'économie argentine. La récolte de soja de cette année devrait être inférieure à la moitié de la récolte de 2021-2022.
Cette sécheresse, ainsi que d'autres problèmes économiques à plus long terme, a entraîné une diminution des réserves de l'Argentine et une hausse de l'inflation de plus de 100 % d'une année sur l'autre, ce qui est une première depuis plus de 30 ans. Le gouvernement argentin, dirigé par le président Alberto Fernández, doit maintenant faire de son mieux pour stabiliser l'économie avant les élections générales d'octobre 2023.
Selon l'Institut national des statistiques et du recensement d'Argentine, les prix à la consommation ont augmenté de 104 % ces 12 derniers mois. Tous les produits du pays sont affectés par un taux d'inflation de plus de 4 %. Les prix des aliments et des boissons de base sont eux-mêmes touchés par un taux d'inflation alarmant de 9,8 %. La chaîne de télévision britannique BBC rapporte qu'au cours d'avril 2023, le prix du lait a augmenté de près de 13 %.
Pour faire face à la situation, les Argentins ont recours à des stratégies telles que l'achat en gros, le troc entre amis et voisins, l'achat à crédit sans intérêt et l'investissement dans des biens de grande valeur avant que le peso qu'ils détiennent ne se déprécie davantage. Nombreux sont ceux qui s'efforcent de convertir leurs pesos qui se déprécient rapidement en dollars américains ou en cryptomonnaies.
Selon le journal argentin El País, la valeur du peso a chuté à un niveau historiquement bas. Un dollar américain coûte désormais plus de 400 pesos ! L'ancien plus gros billet, celui de 1 000 pesos, ne vaut plus qu'environ 2,5 dollars. C'est la raison pour laquelle la Banque centrale argentine s'est retrouvée contrainte d'introduire un nouveau billet de 2 000 pesos en février. Le dollar américain reste difficile à trouver, si bien que de nombreux Argentins n'ont pas d'autre choix que de les acheter sur le marché noir, où le taux de change est plus élevé.
Les télétravailleurs et les indépendants, y compris les expatriés en Argentine, semblent avoir une issue de secours, car ils perçoivent des revenus depuis l'étranger. Mais il y a un hic : selon la loi argentine, les revenus en devises étrangères doivent être convertis en pesos pour pouvoir être épargnés sur un compte bancaire local et circuler dans l'économie locale.
Les télétravailleurs en Argentine perdent ainsi les avantages que leur confèrent leurs revenus dans les principales devises stables (dollars, euros, livres sterling) s'ils convertissent tout dans une devise en constante dépréciation. Ils ne peuvent pas profiter du filet de protection financier fourni par ces devises, à moins d'investir (souvent illégalement) dans la cryptomonnaie ou de cacher l'argent sur un compte bancaire à l'étranger. C'est pourquoi le gouvernement argentin a décidé de présenter le projet de loi sur la monotaxe technologique, plus connue sous le nom de Monotech, qui devrait régulariser la façon dont ils peuvent conserver un compte d'épargne en dollars américains en Argentine.
Création d'un régime fiscal à trois niveaux adaptés aux personnes rémunérés en dollars américains
Avant tout, il convient de préciser que, s'il est adopté, ce projet de loi s'appliquera à tous les résidents en Argentine qui perçoivent des revenus depuis l'étranger, c'est-à-dire les citoyens et les expatriés, y compris les télétravailleurs et nomades digitaux. Pour autant qu'ils soient des résidents légaux, les mêmes lois sur le travail et la même fiscalité s'appliquent aux expatriés.
Monotributo Tech, ou la monotaxe technologique, abrégé en Monotech, est un régime fiscal adapté aux services de l'économie de la connaissance qui peuvent être fournis à des clients basés n'importe où dans le monde à l'aide d'un ordinateur portable. Il concerne des professionnels tels que les programmeurs, les traducteurs, les testeurs de jeux vidéo, les journalistes, les chercheurs, les consultants, les joueurs professionnels en ligne, les scénaristes et les professeurs travaillant pour des universités étrangères. Ils travaillent souvent en free-lance et sur la base de contrats à court ou moyen terme, exportant souvent leurs compétences à distance.
Ces professionnels doivent avoir perçu moins de 30 000 $US au cours des 12 derniers mois pour pouvoir bénéficier du régime fiscal Monotech. Ce régime comporte trois niveaux : ceux qui ont touché jusqu'à 10 000 $US depuis l'étranger au cours d'une année, ceux qui ont touché jusqu'à 20 000 $US et ceux qui ont touché jusqu'à 30 000 $US. Il s'agit de tranches d'imposition différentes. Les membres des trois tranches pourront légalement facturer leur travail en dollars américains et conserver cet argent, sans avoir à le convertir en pesos, dans une banque argentine. Ils pourront également faire des retraits en espèces.
Comme l'utilisation des dollars américains sera parfaitement légale, ils pourront également faire l'acquisition de biens mobiliers et immobiliers, y compris des maisons et des voitures, sans avoir à se préoccuper du taux de change. Lorsque les travailleurs sont contraints de « cacher » leurs dollars dans des comptes cryptographiques ou étrangers, il est impossible de les utiliser pour rembourser un prêt immobilier ou automobile. Le fait de pouvoir déclarer tous leurs revenus d'origine étrangère et de payer des impôts d'une manière adaptée à leur situation donnera également la possibilité à ces travailleurs de contribuer plus facilement à un plan de santé et à la sécurité sociale.
Les raisons susmentionnées expliquent pourquoi de nombreux syndicats en Argentine sont en faveur de la Monotech. L'Association des syndicats informatiques (AGC), par exemple, estime que la régularisation des travailleurs indépendants de la technologie « garantira tous les droits des travailleurs » et leur permettra d'avoir un pouvoir de négociation. Un autre aspect de Monotech est qu'il n'exigera pas de contributions de sécurité sociale et de retraite de la part des participants s'ils sont salariés (même à distance) ou s'ils les paient déjà dans le cadre du régime fiscal Monotributo.
Pour le gouvernement argentin, Monotech n'est pas seulement un moyen d'encourager l'afflux de dollars dans le pays, mais aussi un moyen de décourager la fuite des cerveaux (départ des professionnels talentueux pour l'étranger), en particulier dans les domaines de la Science, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques. S'ils peuvent être rémunérés en dollars américains tout en vivant en Argentine, ils seront moins enclins à s'expatrier aux États-Unis ou dans d'autres pays. La Monotech pourrait également encourager les professionnels expatriés à rester plus longtemps en Argentine.
Les débats entourant le projet de loi Monotech ont commencé au Congrès en novembre 2022. Il a depuis été approuvé par la Chambre basse, la Chambre des députés. Cependant, la Chambre haute, le Sénat, a décidé de reporter son propre vote. Les sénateurs débattent encore de certaines spécificités de la loi, qui se heurte à l'opposition des grandes entreprises. Ces dernières craignent notamment que les télétravailleurs commencent à se concentrer sur les entreprises étrangères pour gagner plus et cessent de les considérer comme des partenaires prioritaires. Il reste à voir si le projet de loi pourra être adopté avant les élections générales d'octobre.