Empêcher la fraude fiscale internationale. Si l'objectif est loin d'être encore atteint, les États se félicitent d'avancées notables depuis le renforcement de leur coopération. Dans son arsenal pour contrôler les comptes bancaires à l'étranger, le fisc peut également compter sur un allié inattendu : les réseaux sociaux.
Renforcement de l'échange automatique d'informations
Depuis les années 2010, les États renforcent leur coopération pour mieux contrôler les comptes bancaires à l'étranger. C'est la stratégie privilégiée par les États pour lutter contre l'évasion fiscale. Le 19 avril 2013, les pays membres du G20 désignent l'échange automatique de renseignements comme la nouvelle norme pour traquer les comptes bancaires étrangers. Le 19 juin de la même année, l'OCDE publie « Un tournant pour la transparence fiscale » (A step change in tax transparency), rapport détaillant les « mesures concrètes » à mettre en place pour développer un unique modèle d'échange automatique de renseignements commun à tous les pays.
En 2014, le G20 et l'OCDE approuvent l'échange automatique de données comme « nouvelle norme mondiale ». Publiée le 6 mai 2014, la Déclaration de l'OCDE sur l'échange automatique de renseignements en matière fiscale est adoptée par les 34 pays membres de l'OCDE et plusieurs pays non-membres. En parallèle, les États-Unis lancent la réglementation extraterritoriale FACTA (Foreign Account Tax Compliance Act) dès mars 2010. En vigueur depuis le 1er juillet 2014, elle oblige les banques des pays ayant signé un accord avec les États-Unis à transmettre au fisc américain toutes les informations bancaires de leurs clients contribuables américains. En février 2012, les pays du G5 (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne) ont signé l'accord. En 2013, les Bermudes, Malte, Jersey et Guernesey, l'île de Man et les Pays-Bas entérinent l'acte. Victoire pour les États-Unis, qui arrivent à faire signer des paradis fiscaux. D'autres pays connus pour leur opacité (Suisse, Luxembourg, Singapour, îles Caïmans…) se rangent également du côté de Washington. Le Canada signe l'accord FACTA (en février 2014). Le Canada et les États-Unis se sont également engagés à renforcer leur partenariat en matière de lutte contre l'évasion fiscale.
En novembre 2022, le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales se félicite des avancées mondiales en matière de contrôle des comptes bancaires à l'étranger. Les administrations fiscales attestent s'échanger les informations de 111 millions de comptes dans le monde. Les échanges de renseignements représentent 11 000 milliards d'actifs, rien que pour l'année 2022. Mais il reste encore des efforts à faire.
Très chère évasion fiscale
427 milliards de dollars par an. C'est le coût astronomique des évasions fiscales dans le ventre. Le chiffre est révélé par l'ONG Tax Justice Network, dans un rapport publié le 20 novembre 2020. D'après l'ONG, les entreprises « exportent » environ 1380 dollars de bénéfices dans les paradis fiscaux et les pays riches échappant aux listes noires (notamment celles de l'Union européenne/UE). Les particuliers placent plus de 10 000 milliards d'actifs dans ces pays. Avec respectivement 184 et 95 milliards de dollars de pertes, l'Europe et l'Amérique du Nord sont les grands perdants de cette évasion fiscale. A contrario, les îles Caïmans captent le plus de ces « ressources offshores » (16,5%), juste devant le Royaume-Uni (10%), les Pays-Bas (8,5%), le Luxembourg (6,5%), et les États-Unis (5,53%).
Pour l'ONG, ces résultats confirment la difficulté des États de lutter efficacement contre l'évasion fiscale, malgré le renforcement des mesures de coopération. L'ONG voit surtout, derrière un relatif consensus mondial pour plus de transparence fiscale, une facilité, pour les grandes entreprises et les riches particuliers, à continuer de profiter de leurs comptes situés à l'étranger. Faut-il conclure à un fléchissement des gouvernements devant les plus riches ?
Un contrôle des comptes bancaires à l'étranger à renforcer ?
Si l'évasion fiscale des particuliers fortunés est en chute, celle des multinationales continue. C'est l'un des constats du rapport de l'Observatoire européen de la fiscalité, publié le 23 octobre 2023. Les pertes pour les États sont encore lourdes : plus de 1000 milliards de dollars transférés dans les paradis fiscaux en 2022.
La France verrait filer entre 4,5 et 24,5 milliards d'euros au titre des seuls impôts des particuliers (selon le rapport de la Cour des comptes publié en novembre 2023). Des pertes encore grandes, mais des avancées notables. Grâce à l'échange automatique des données, l'administration fiscale a traqué quelque 35 000 comptes détenus à l'étranger. La Direction générale des finances publiques (DGFIP) confirme une progression constante du nombre de comptes provenant de l'étranger. La France entend augmenter les contrôles de 50 % d'ici 2027 ; les contribuables ayant des comptes bancaires à l'étranger seraient les premiers visés par cette recrudescence des contrôles.
Non-déclaration des comptes bancaires à l'étranger : quelles sanctions pour les expatriés ?
Pour rappel, tout individu se doit de déclarer ses comptes détenus à l'étranger. La déclaration s'étend à d'autres actifs, comme l'assurance vie. Pour éviter de contrarier les administrations fiscales, mieux vaut se renseigner sur les bonnes pratiques à observer, tant dans le pays d'expatriation que dans le pays d'origine (et/ou dans celui où sont détenus les actifs).
En 2022, l'Espagne s'aligne avec la réglementation européenne et confirme l'obligation de déclarer ses comptes bancaires détenus à l'étranger. Le Canada rappelle à ses contribuables qu'ils peuvent « devoir payer des impôts sur le revenu fédéral, provincial et territorial » même s'ils s'expatrient. En cas de long séjour à l'étranger, ils sont tenus d'informer l'Agence du revenu au Canada (ARC).
La non-déclaration des comptes bancaires à l'étranger peut coûter cher. Aux États-Unis, un manquement en concernant la déclaration de comptes bancaires et d'actifs financiers étrangers (Report of Foreign Bank and Financial Accounts (FBAR)) expose à des sanctions civiles ou pénales (selon la nature du manquement, délibéré ou non). Les sanctions civiles peuvent être de 10 000 dollars pour un manquement non délibéré, 100 000 dollars pour un manquement délibéré. D'autres dispositions sont prises en compte (inflation, soldes du ou des comptes bancaires détenus à l'étranger…). Au pénal, le contribuable fraudeur risque 5 ans d'emprisonnement et jusqu'à 250 000 dollars d'amende en cas de manquement délibéré. La sanction peut aller jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et 500 000 dollars d'amende (en cas de violation d'autres règles, par exemple).
Quand le fisc investit les réseaux sociaux
Pour renforcer la pression sur les contribuables, les administrations fiscales peuvent compter sur un outil largement utilisé : les réseaux sociaux. Tik Tok, Instagram, X, LinkedIn ou Facebook sont des alliés de choix. Nombre de contribuables s'y racontent, à grand renfort de photos. En 2014, le fisc américain (Internal revenue service/IRS) traque déjà les détenteurs de comptes bancaires à l'étranger sur les réseaux sociaux. Ce qui ne l'empêche pas d'épingler les réseaux sociaux eux-mêmes. En février 2020, l'IRS réclame 9 milliards de dollars d'arriérés d'impôts à Facebook.
La France opte pour la même stratégie. Sa loi de finances 2024 va même plus loin : les agents du fisc pourraient créer de faux comptes pour mieux traquer les fraudeurs sur les réseaux sociaux. Dans l'attente du décret d'application, les contrôleurs des finances (les seuls concernés par le projet de loi) se préparent. Depuis février 2021, un décret (protocole expérimental mené sur 3 ans) autorise déjà l'administration fiscale française à collecter et exploiter les données personnelles librement publiées par des particuliers sur les réseaux sociaux et les sites de vente en ligne (eBay, Vinted, Le bon coin etc.).