Bonjour Mikki, peux-tu te présenter brièvement et nous dire ce qui t'amène au Japon ?
Fière trentenaire du Nord de la France, j'harcelais, durant toute ma jeunesse, mon indulgente parenté, pour qu'elle expose mes horribles tableaux dans le salon familial. Je les appelais sobrement « œuvres d'art de mon enfance ». C'est que, j'avais du goût et je m'imaginais impressionniste, héritière de Van Gogh.
C'est en partie pour des considérations artistiques que je suis venue au Japon. Van Gogh, encore ! Les impressionnistes, n'étaient-ils pas émerveillés devant les estampes ? Mon Master de droit en poche, je remballe mon Code civil, balance mon Code pénal, pour gribouiller sur mon cahier à dessin : des portraits, des textes, des historiettes. Japon, me voici !
Qu'est-ce qui t'a attirée vers Tokyo ?
Je n'ose l'écrire : rien en particulier. Je reluquais Niigata, moi ! Pour un premier voyage, Tokyo m'a semblé être un choix plus rationnel. Je suis finalement très contente d'avoir commencé par elle. J'y ai trouvé de petits endroits discrets et calmes où je badaude à m'en cramer les orteils.
Depuis combien de temps vis-tu au Japon ? Pourquoi as-tu décidé de quitter la France ?
Je suis au Japon depuis octobre 2016. Je voulais découvrir le pays depuis longtemps. Les études, puis le travail, puis encore quelques formations, car j'aime étudier (du moins, je simule à la perfection), m'ont éloignée de mes projets de voyage. L'an dernier, j'ai enfin pu saisir l'opportunité d'aller au Japon. C'était la décision des trente ans !
Quelles étaient les formalités à remplir pour que tu puisses t'installer au Japon ?
Je devais obtenir un visa longue durée. Je n'envisageais pas d'y aller juste quelques semaines. J'ai donc opté pour un Permis Vacances Travail (PVT). Si les démarches sont simples, mieux vaut s'organiser pour présenter un dossier complet à l'ambassade : budget, programme de voyage, activités professionnelles envisagées sur place, etc.
Parles-nous de ce que tu aimes le plus et le moins au Japon.
J'ai toujours du mal à répondre à ce genre de questions.
J'aime surtout les senbei. Bah quoi, on peut causer nourriture, non ? En hiver 2016, les senbei furent mes grands potes, avec leur croustillant qui faisait comme un concerto dans mes oreilles. D'ailleurs, le royaume des senbei se situe à Niigata !
J'aime aussi le silence. Qu'il est apaisant de prendre les transports à Tokyo, sauf aux heures de pointe (mais pour d'autres raisons). Le silence, le calme est là. Quelle joie j'eus, lorsqu'un jour, deux Japonais déposèrent leur tête endormie sur mon épaule. Je me sentais arbre ou oreiller, c'était la communion des dormeurs du train. Moi-même je suis devenue championne de sieste rapide. Je me surpris même, un jour, à pioncer debout. J'en éprouve une grande fierté.
Je trouve que Tokyo est une ville grise : des bâtiments au ciel, et même les sombres costumes des travailleurs. Mais les parcelles de végétation sont de véritables oasis, et j'aime y flâner, écrire à l'ombre d'un arbre, avec des airs d'autrice tourmentée. J'ai découvert le parc de Yoyogi peu après mon arrivée – c'était la belle saison des Momiji. J'en garde un très beau souvenir.
Ensuite, j'aime les matsuri. J'ai expérimenté mon premier matsuri peu après mon arrivée, à Nihonbashi. C'était la liesse ! Je discutais avec plusieurs Japonais qui, apprenant que je suis Française, chantaient des « bonsoir », « j'aime Paris et le fromage » (de l'importance du « et » !). L'ambiance est familiale et les gens, souriants. J'aime ces instants, où nous sommes tous mélangés, jeunes et moins jeunes, de toutes les couleurs. C'est la joie multicolore.
Ce que j'aime le moins, par contre, c'est le fait d'être collée-serrée-cimentée dans les transports. C'est le mauvais côté des transports, surtout sur les lignes Yamanote et Saikyo où les gens se laisser aller les uns sur les autres. Et puis, les transports sont chers. C'est pour cela que je marche beaucoup. J'économise de précieux yens, que je convertis en senbei. Je dirai aussi l'absence d'isolation. Les premiers jours, je pensais que quelqu'un ouvrait la porte de mon logis. C'est un raffut continuel chez les voisins : des bruits de pas, des chaises que l'on tire, des chasses d'eau, peut-être.
Peux-tu nous décrire le Japon en une phrase ?
Le Japon, c'est parfois comme le bonheur retrouvé.
Est-il difficile de trouver un logement à Tokyo ? Quels sont les types de logements disponibles pour les expatriés ?
Non. Il existe une belle offre de logements à Tokyo, du dortoir à la sharehouse, en passant par l'appartement. Tout est une question de budget.
Qu'est-ce qui caractérise le marché du travail japonais ? Est-il facile pour un expatrié d'y être embauché ?
Comme dans d'autres pays, on peut parler de « marchés du travail ». Au Japon, on différencie nettement le baito (petit boulot) du shigoto (travail). Et pourtant, l'on transpire aussi en baito ! Mais il reste déconsidéré, car souvent peu qualifiant, regroupant les professions les plus en bas sur l'échelle sociale.
Dans le cas d'un expatrié, il convient de se demander si l'on recherche un baito ou un shigoto, et pour quel secteur d'activité ? Côté baito, il n'y aura pas trop de difficultés : restauration (des fast-foods aux établissements gastronomiques), cours de langue (le français n'a plus la côte, hélas !), baby-sitting, etc. Les offres d'emploi ne manquent pas. Et si l'on parle (un peu) japonais, le panel des offres s'agrandira d'autant plus.
Pour le travail, c'est plus compliqué. Pourquoi une entreprise japonaise prendrait-elle le CV d'un expatrié avec toutes les démarches que cela implique (visa de travail) ? D'où l'importance de bien cibler le secteur d'activité/le métier. C'est pareil pour les entreprises internationales qui recherchent toujours les meilleurs candidats.
Que penses-tu du mode de vie à Tokyo ?
J'ai parfois l'impression d'être dans la ville des contradictions. Une relative quiétude règne sur Tokyo, mêlée à un stress, une anxiété presque palpable sur les visages des actifs Japonais. Depuis que je travaille et que mes horaires ressemblent aux leurs (parfois, je reste une flemmarde), j'observe leur visage bas, la fatigue, la nervosité, et même la résignation.
Ils marchent vite, ils courent, le nez sur leur téléphone. En même temps, il y a tous ces rires qui s'échappent des game centers, des restaurants, de ces gens allongés dans les parcs. On entend de la musique partout et on voit les néons colorés à tous les coins de rue. Il n'y a plus ni jour ni nuit. Le temps est toujours trop court. Tokyo vampirise, et même la joie devient fatigante. Comme ces acteurs qui surjouent, j'ai parfois l'impression que les rires de Tokyo sonnent faux.
En même temps, lorsque je me promène dans les rues d'Itabashi, de Shinjuku, de Nakano, lorsque j'entends la jolie musique de la station Takadanobaba, lorsque je découvre un parc nouveau, et ces gens, si calmes et souriants, je pense, très fort : j'aime cette ville et la vie ici ! Je dois être pleine de contradictions, moi aussi.
Quels sont les moyens de transport disponibles à Tokyo ? Comment te déplaces-tu ?
Tokyo est très bien desservie : train, métro, bus, et même tramway. J'utilise surtout le train : Yamanote et, depuis peu, la surchargée Saikyo Line. Avant, je carburais au métro.
A quoi ressemble ton quotidien d'expatriée à Tokyo ?
A mon quotidien lillois ! L'heure de marche en plus ! Je vais au travail tôt, je rentre tard.
Que fais-tu de ton temps libre ?
J'apprends le japonais, j'écris des scénarios, je dessine. Je travaille sur mon blog et également pour un site Internet. Je déambule : Ikebukuro, Shibuya, Ueno, Yoyogi, Shinjuku, Nakano, Ebisu, Gotanda.
Y a-t-il à Tokyo des activités nocturnes pour les fêtards ?
Hélas, je suis une casanière qui préfère festoyer dans sa chambrette avec le tome du manga Genshiken qu'elle a trouvé à Book-off.
Quelles nouvelles habitudes as-tu adoptées au Japon ? Quelles vieilles habitudes as-tu laissé tomber ?
Côté nouvelles habitudes, j'ai des expressions de vieux. Je passe mon temps à lâcher des yoisho dès que je me lève, que je soulève un truc lourd (ou pas), que je m'assieds… En français, on dirait « humpf ! » ou « oh hisse », je pense. Par contre, j'ai gardé toutes mes vieilles habitudes, dont la plus scandaleuse de toutes : procrastiner.
Quel est ton avis sur le coût de la vie à Tokyo ? Combien coûtent un trajet en bus, une bière, ou encore, un bon pain ?
Le coût de la vie à Tokyo n'est pas si élevé. La nourriture est plutôt bon marché. Topvalu et Aeon sont des marques abordables. Certes, les fruits et légumes sont chers, mais en furetant, l'on trouve de petites échoppes à prix solidaires. C'est comme cela que j'ai déniché, à Mejiro, mon vendeur de fruits et légumes. 30 yens la pomme juteuse et sucrée, taxes incluses (0,25€). D'habitude, je c'est plutôt 108-150 yens la pomme (0,90 -1,25€), voire plus !
Comme je ne prends pas le bus, je vais te dire un trajet en Yamanote coûte un minimum de 170 yens (environ 1,45€). Avec la carte Suica, c'est 165 yens.
Je remplace la bière par le jus. Dans les supermarchés, un litre de jus coûte 150 yens. Chez les discounters, on trouve du thé ou du jus sucré à 100 yens.
Le pain, je le fais moi-même. Je vais donc parler du prix des manga (même si cela n'a aucun rapport avec le pain). On en trouve à 100 yens (0,85€) à Book-off et dans les 200 - 300 yens (1,7 - 2,5€) à Mandarake. Ça donne des envies !
Y a-t-il quelque chose que tu voudrais faire au Japon mais dont tu n'as pas encore eu l'occasion ?
Je veux aller à Edo Wonderland comme Mito dans le manga Ugly Princess ! Et oui, c'est mon côté otaku ! Je projette aussi de visiter Kyoto, Osaka, Himeji et Nara comme je suis une grande fan de châteaux. Et puis, je veux aller à Niigata !
Quel est ton meilleur souvenir du Japon ?
La découverte du parc de Yoyogi, la promenade sur l'île artificielle de Tsukishima, la balade en kimono à Kawasaki… Il y en a tellement qu'il m'est impossible de n'en retenir qu'un seul.
Si tu pouvais repartir à zéro au Japon, que ferais-tu différemment ?
Je prendrais des vêtements chauds ! C'est vraiment dur de passer l'hiver en T-shirt.
Que penses-tu de la cuisine locale ? Quelles sont tes spécialités préférées ?
J'aime le raffinement simple de la cuisine japonaise. A part les senbei, je suis très branchée takoyaki. J'aime aussi les okonomiyaki, oyakodon, gyudon, tsukemono.
Qu'est-ce qui te manque le plus par rapport à ton pays d'origine ?
Mon four ! J'aimais bien faire des gâteaux, des quiches, du pain, des cookies ! Ici, je bricole des gâteaux à l'autocuiseur à riz, je fais du pain à la poêle, j'utilise mon espèce de cerveau pour me passer de four.
Es-tu déjà arrivée à un point de vouloir quitter le Japon ? Comment as-tu surmonté cette épreuve ? Qu'est-ce qui te retient au Japon ?
La première nuit, je me suis vraiment demandée ce que je faisais ici. Les voisins du dessus faisaient plus de bruit que dix déménageurs et ceux d'à côté vociféraient, et je me demandais comment j'allais pouvoir dormir. Mais j'ai fort bien dormi, du sommeil du juste. Je me suis imaginée héroïne d'un film : mon aventure, c'est ici, à Tokyo. On se met une pression, parfois. C'est peut-être ce monde de la perfection qui nous rend anxieux, ce monde où il faut toujours être extraverti et au top de sa performance. Il faut y arriver maintenant. Mais il faut aussi savoir apprécier le fait d'être là. J'aime être ici. Je me sens bien au Japon, et donc je reste.
Quels conseils donnerais-tu aux futurs expatriés au Japon ?
Allez-y ! Sans pression, allez découvrir le Japon. Partez à la rencontre de vous-même ! Picorez toutes les informations que vous trouverez, notamment sur Internet. Mais aux précieux conseils se mêlent les récits tragiques et autres témoignages prompts à vous décourager. Vous aurez tout le temps de faire votre propre expérience.
Qu'est-ce qui t'a motivé à écrire ton blog « Mikki Forever Nolife... au Japon ! » ?
Après des années à débattre manganime comme une petite enragée, seule dans ma chambrette, je me suis dit : pourquoi ne pas échanger dans cet espace-temps de l'Internet ? Et bim, le blog est crée ! Il se nourrit de mes « no news » et autres non expériences, hier, en France, aujourd'hui, au Japon !
Quelles seraient, selon toi, les 5 choses à emmener dans sa valise au Japon ?
Je suis également très mauvaise pour ce genre de questions, mais je vais répondre avec toute la « looserie » qui me caractérise, d'une manière sérieuse et honnête.
Pensez à emmener des médicaments (parole de quelqu'un qui a passé l'hiver malade), des vêtements chauds, un MP3 pour s'occuper les oreilles quand on marche, un ordinateur, plusieurs paires de chaussures (surtout si tu fais une pointure inconnue ou presque au Japon, style, 41), et des biscuits du pays dans lequel tu résidais avant de venir au Japon et que tu mangeras en chantant : « oh mon beau pays ! ».
Tes projets d'avenir ?
Je vais continuer mes efforts pour améliorer mon niveau en japonais. En immersion, l'on progresse si vite ! Grâce à mes cours à l'école, et, maintenant, à mon baito, j'arrive de plus à en plus à m'exprimer. Et je dois dire que je me la pète grave. Je veux devenir polyglotte.
Y a-t-il une chose que tu souhaiterais ramener avec toi en quittant le Japon ?
Je voudrais ramener tant de choses qu'il me faudrait bien trois valises supplémentaires ! D'abord, la collection du manga Kaze to ki no uta que j'ai vue en novembre 2016 au Mandarake de Nakano mais que je regrette de n'avoir pas pu acheter. Je vais aussi ramener des artbooks, des senbei, un kimono (depuis que j'ai essayé ce kimono à Kawasaki, je rêve d'en avoir un, à moi).
Même les « nolife » voyagent ! Cette aventure japonaise me permet découvrir les multiples facettes qui sommeillaient en moi. J'ai rencontré des personnes formidables, dépassé mes limites en participant à des activités nouvelles : ouvrir la porte d'un bar, est, pour moi, une activité digne sport extrême. Je ris, je m'amuse, je m'épuise, je dors, je parle japonais. Je suis bien, ici. C'est le bonheur retrouvé.
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