Si pour beaucoup, le scénario était déjà écrit, certains espéraient un retournement de situation digne d'un film. Mais la chute annoncée est véritablement arrivée. Barnier démissionne après la motion de censure votée contre son gouvernement. La France entre dans l'inconnu. Une marche forcée qui fait réagir aussi bien les locaux que les Français de l'étranger. Quel regard posent-ils sur cette situation ?
Censure du gouvernement français : le temps de l'incertitude ?
Mercredi 4 décembre 2024 restera dans les annales. L'Assemblée nationale refuse le budget 2025 et vote une motion de censure contre le gouvernement Barnier. Depuis plusieurs jours, les principaux acteurs de ce scénario (le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National) annonçaient la couleur. Sans suspense et sans surprise, le Premier ministre Michel Barnier, nommé le 21 septembre, est contraint de démissionner. Du jamais vu depuis 1962. Du jamais vu pour les quelques 3 millions de Français de l'étranger qui, comme les locaux, entrent dans une période floue. L'allocution télévisée du chef de l'État (jeudi 5 décembre) ne semble pas avoir apporté l'éclaircissement attendu.
Discrets témoignages des Français de l'étranger
La presse s'est penchée sur l'opinion des Français de l'Hexagone le jour même du vote de la motion de censure. Les témoignages relayés depuis les territoires d'outre-mer se font plus rares, malgré l'urgence dans laquelle se trouvent ces territoires. Même constat pour la parole des Français de l'étranger, plutôt discrète. Si l'on peut pointer une sollicitation moins importante des médias, il faut aussi relever un grand nombre de personnes ne souhaitant pas s'exprimer sur le sujet. Leur refus de commenter l'actualité française n'est cependant pas une marque de désintérêt, au contraire. Les expatriés français font part de leur inquiétude, de leur incompréhension, de leur tristesse… La vie à l'étranger exacerbe paradoxalement l'attachement à son pays. L'éloignement géographique leur fait prendre du recul sur leur vie d'expatrié et la vie de leur pays.
Ceux qui acceptent de témoigner, souvent de manière anonyme, ou en demandant d'utiliser un nom d'emprunt, sont partagés entre déception, honte, pessimisme et appréhension. Même les expats jouant la carte de l'indifférence (qu'ils soient effectivement concernés ou non par les conséquences du refus du budget) utilisent le cynisme pour mieux exprimer leur ressenti. Ils relient la situation française au contexte international. Un contexte qui, pour eux, s'est durci depuis la fin de la crise sanitaire. Ce ressenti rejoint celui de nombre de locaux, pour qui le climat politique, économique et social s'est considérablement dégradé. Comme dans l'Hexagone et dans les territoires d'outre-mer, il existe néanmoins des Français de l'étranger qui commentent l'actualité à la lumière de leur orientation politique.
Les Français de l'étranger seront-ils impactés par la censure du budget ?
« Je pense à des conséquences directes comme les bourses scolaires des enfants. C'est déjà la bataille pour avoir une aide. Ça sera peut-être pire après » s'inquiète un père de famille expatrié aux États-Unis. En effet, l'absence de budget 2025 pourrait avoir des incidences concrètes sur les revenus des Français : hausse des impôts, baisse des allocations… « Je ne suis pas surprise », explique Estel, une expat en Espagne. « On n'en parle pas beaucoup, mais le gouvernement était parti tailler dans les aides pour les Français de l'étranger. On ne s'occupe pas de nous. Ce n'est pas maintenant que ça va changer. Je ne m'attends à rien. J'attends la suite plutôt que de faire des pronostics. Je pense que la France a touché le fond. Elle ne peut que remonter. »
En effet, la loi de Finances 2025 (PLF 2025) prévoyait une baisse du budget alloué au « Programme 151 », programme rassemblant les actions en faveur des Français de l'étranger (allocations sociales, subventions, rapatriements, services publics, aide à la scolarité, traitement des demandes de visa…). Le PLF 2025 prévoyait un budget de 156,9 millions d'euros pour le Programme 151, soit une diminution de 3,9 millions d'euros (-2,4 %). L'essentiel des baisses était subi par les aides sociales et les aides à la scolarité (respectivement -6 % et -5,81 %).
Expatrié au Maroc, Mithié nous partage son ressenti : « Vivant au Maroc depuis bientôt 11 ans, je ne suis rentré en France que 2 fois 15 jours pour des soins. Bien sûr, je suis quotidiennement ce qui se passe en France, mais avec un certain détachement (bien que je participe à chaque vote ouvert aux Français de l'étranger). Au fil des ans, je suis de plus en plus désabusé face à ce qui se passe en France. Particulièrement ces derniers mois, je trouve que la France donne au monde une triste image d'elle-même. Entre le moment où je suis venu m'installer au Maroc et aujourd'hui, le pays qui paraissait plutôt stable (politiquement et financièrement) semble maintenant ne plus savoir vraiment vers quoi il va. Je crains un scénario identique à ce qui est arrivé à la Grèce entre 2010 et 2015. Retraité, je ne serais pas surpris de voir nos retraites diminuer, je ne me dis plus : « Est-ce que ça va arriver ? », mais plutôt : « De combien vont-elles baisser ? ». Comme je suis expatrié au Maroc, cette baisse probable de mes revenus sera amortie par le coût de la vie ici qui est plus bas qu'en France. Ce qui confirme le bien-fondé du choix que j'ai fait de choisir l'expatriation. Y compris s'il y a une hausse des impôts en France, puisque je les paye au Maroc. Quant à savoir si la France se préoccupe des expats, il me semble évident que non. Même si des députés des Français de l'étranger sont élus, ils n'ont aucune influence sur la politique générale de la France, quel que soit leur bord politique. »
Un nouveau Premier ministre « dans les 48 heures »
Dernières tractations politiques. Lors de son allocution télévisée (5 décembre), le président Emmanuel Macron assurait une nomination rapide du nouveau premier ministre. Annoncée le 9 décembre, la nomination aura finalement lieu « dans les 48 heures ». Selon plusieurs sources journalistiques, la nomination devrait avoir lieu jeudi soir. En attendant, une loi spéciale a été présentée en conseil des ministres mercredi 11 décembre. La loi spéciale est une mesure législative d'urgence permettant aux administrations d'éviter la paralysie, en cas d'absence de budget au 1er janvier. Pour les Français de l'étranger, l'incertitude demeure.
« Très franchement, je ne suis pas l'actu française », reconnaît Mike, qui réside en Espagne. « Même là, je préfère ne pas regarder les infos. On ne comprend rien. C'est la bagarre non-stop. Ça vous ruine le moral. On me parle de la SECU (sécurité sociale), que c'est galère et ça va être encore plus galère. Franchement, mon sentiment, c'est la tristesse. Voilà. Même si je ne suis pas l'actu, les autres m'en parlent et ça s'affiche dès que j'ouvre mes e-mails. C'est vraiment bizarre, ce qui se passe. »