Après avoir obtenu son master en administration à but non lucratif à San Francisco, Kelly rentre à Singapour, son pays d'origine, où elle décroche successivement des postes dans les secteurs privé et public. En 2016, elle décide de passer ses vacances à l’île Maurice, terre natale de son époux. Ce qui ne devait être qu'un court séjour s'est, par la suite, transformé en véritable aventure. S’intéressant de près à l'alimentation locale, elle décide alors de développer une ferme biologique. Kelly parle à Expat.com de son expérience entrepreneuriale et de sa vie quotidienne à l’île Maurice.
Bonjour Kelly, peux-tu te présenter brièvement et nous parler de ton parcours ?
Originaire de Singapour, j'ai vécu quelques années à San Francisco. Aujourd'hui, je suis la cofondatrice de Farmcity, une start-up visant à créer des fermes modernes pour le bien-être de la communauté. Avant de venir à l'île Maurice, j'ai décroché mon master en administration à but non lucratif. J'ai ensuite travaillé avec des organismes à but non lucratif dans le Bay Area.
Qu'est-ce qui t'a attiré vers l'île Maurice ?
Je dirai que c'est le fruit du hasard. Mon époux, qui est Mauricien, voulait rendre sa visite à sa famille à l'île Maurice. Notre séjour nous a permis de prendre connaissance de certaines lacunes au niveau de l'alimentation sur l'île. Il y avait non seulement un surprenant manque de légumes sains sans les supermarchés mais aussi une hausse drastique des prix durant la période des pluies. Qui plus est, les produits bio sont loin d'être accessibles à tous. Ne pouvant pas fermer les yeux sur ce problème, nous avons donc décidé de remettre à plus tard nos projets à Singapour pour nous installer à l'île Maurice. C'est ainsi que nous avons démarré Farmcity. Cela fait deux ans que nous sommes ici.
Quelles étaient les formalités à remplir pour que tu puisses t'installer à l'île Maurice ?
Pour ma part, j'ai dû faire une demande de permis de résident pour conjoint d'un ressortissant Mauricien auprès du bureau des passeport et de l'immigration au Sterling House, à Port Louis, en présentant une série de documents, y compris mon acte de naissance, notre certificat de mariage et un certificat de moralité. Tous ces documents doivent être légalisés par une autorité compétente telle que le ministère des Affaires étrangères de votre pays d'origine, ou avoir une apostille de la Convention de Hague du 5 octobre 1961. Les documents originaux doivent aussi être produits. Une fois tous les documents soumis, il ne vous reste plus qu'à attendre qu'on vous rappelle pour vous informer du statut de votre demande. La période d'attente peut durer jusqu'à 90 jours, voire plus. On peut tout de même faire une demande d'extension de visa auprès du bureau des passeports avant que le permis soit délivré.
Parles-nous de ce que tu aimes le plus à l'île Maurice et le moins.
Ce que j'aime le plus, c'est sans doute l'hospitalité indescriptible des Mauriciens. Il y a toujours quelque chose à célébrer et ils font tout pour vous accueillir du mieux qu'ils peuvent. Les gens sont chaleureux et souriants, même en période de cyclone et lorsqu'il n'y a plus électricité. Comme le veut la tradition, on prépare des faratas et un cari poule (poulet au curry).
Ce que j'apprécie le moins, en revanche, ce sont les formalités administratives et le manque de responsabilité qui l'imprègne. Un simple permis peut prendre des mois pour être délivré, sans oublier le fait de devoir parler à différents officiers et leur raconter à chaque fois la même histoire, et d'aller d'un département à l'autre sans avoir une personne capable de fournir des solutions réelles. On dirait que c'est la norme ici.
Comment décrirais-tu l'île Maurice en une phrase ?
Maurice est une île ayant un fort potentiel pour ceux qui savent être patient.
Qu'est-ce qui t'a le plus surpris à l'île Maurice ?
Dans les régions commerciales telles que Rose-Hill, Quatre-Bornes et Curepipe, les boutiques ferment aux alentours de midi le jeudi. Selon les anciens, c'est parce qu'auparavant les marchands devaient fermer leurs boutiques pour aller récupérer leurs marchandises au port le jeudi après-midi. Je ne pense pas que ce soit toujours le cas.
Avec ton conjoint, tu as lancé Farmcity, un projet qui te tient à cœur. Que penses-tu de la scène entrepreneuriale à l'île Maurice ?
C'est une expérience plutôt excitante vu que la scène entrepreneuriale à l'île Maurice est en pleine croissance. Il y a plein d'opportunités à saisir et à exploiter. L'on trouve tout de même sur l'île de nombreux incubateurs, ainsi que des espaces de coworking. Cela ne veut pas forcément dire qu'il est facile d'entreprendre à l'île Maurice. Le pays a encore du chemin à faire en termes d'infrastructure et d'accès aux marchés locaux et internationaux. Un projet que l'on pourrait développer et tester en six mois dans un marché développé pourrait prendre jusqu'à deux années ici. Les start-ups doivent aussi se rendre à l'évidence que le marché local est plutôt restreint et qu'il vaut mieux lancer un projet pouvant s'étendre à l'international. En revanche, si c'était facile, tout le monde aurait pu s'y mettre, ce qui entraînerait une saturation du marché. D'une manière générale, je pense que ça vaut le coup.
Quels changements souhaitez-vous apporter à l'île Maurice avec votre projet ?
Nous souhaitons rendre les aliments bio davantage accessibles à la population mauricienne, quel que soit leur seuil de revenu. Le projet comprend deux étapes : établir une certaine proximité entre les fermes et la population pour que tout le monde puisse se procurer des aliments frais, sains et abordables, et créer une nouvelle génération d'entrepreneurs en agriculture. La génération actuelle de fermiers ne devrait pas tarder à prendre sa retraite sans avoir planifié sa succession. Il y a donc un besoin urgent de fermiers pour produire les aliments de consommation courante d'une manière durable. Le modèle sur lequel se base Farmcity permet à n'importe qui de mettre sur pied une ferme même s'il ne s'y connaît pas en matière d'agriculture et sans avoir à dépendre de terres arables.
Que penses-tu du mode de vie à l'île Maurice ?
Maurice est une île calme dont les habitants profitent d'un mode de vie plus décontracté que dans bien d'autres endroits. Personne n'est jamais pressé, ce qui peut être assez frustrant si vous souhaitez y faire des affaires. En revanche, c'est l'endroit idéal pour passer ses vacances ou prendre sa retraite.
Quels sont les moyens de transport disponibles à l'île Maurice ? Comment te déplaces-tu ?
Le réseau de transports en commun est peu fiable, d'autant que les rues ne sont pas idéales pour la marche. Nous avons une voiture et je dépend beaucoup de mon époux pour me déplacer. Travailler ensemble a ses avantages. Je pense l'on a moins de mal à se déplacer lorsque l'on sait conduire.
Comment se définit ton quotidien d'expatriée à l'île Maurice ?
Je passe beaucoup de temps à la ferme et avec mes chiens. Des fois, nous avons des visiteurs et je les emmène faire le tour de la ferme. Je m'occupe aussi de nos plants, de nos téléconférences et des rendez-vous pour m'assurer que tout se passe comme prévu.
As-tu eu des difficultés à t'adapter ?
Disons que je ne me suis pas adaptée à 100%. Après avoir vécu deux années ici, je ne parle toujours pas le français. Je comprend un peu le créole mauricien, mais je n'arrive pas le parler. J'ai tout de même pris mes repères et je sais où aller faire mes courses, où me faire une nouvelle coiffure, ou encore, où trouver les meilleures spécialités locales.
Quelles nouvelles habitudes as-tu adoptées à l'île Maurice ?
A présent, je suis plus matinale, peut-être parce que nous avons une ferme, mais surtout, parce qu'il n'y a pas grand chose à faire ici après 21h.
Quelles vielles habitudes as-tu laissé tomber ?
Le shopping, comme tout ce qui est importé est forcément plus cher. Ensuite, je ne vais plus au cinéma comme il n'y a qu'un seul film en anglais par semaine. Je sors moins le soir avec mes amis parce tout ferme relativement tôt par rapport à d'autres endroits où j'ai vécu.
Quel est ton avis sur le coût de la vie à l'île Maurice ?
Je pense que le coût de la vie à l'île Maurice est plutôt élevé par rapport aux salaires moyens. Les loyers sont moins chers, mais sans compter d'autres dépenses quotidiennes. Si une baguette coûte à peine 10 roupies, comptez environ 6 dollars pour des nouilles dans une aire de restauration. Pour faire vos courses, comptez environ 300 dollars par mois pour un couple. Les prix des légumes subissent également des fluctuations significatives, un demi-kilo de tomates pouvant coûter jusqu'à 5 dollars. Un t-shirt coûte environ 15 dollars.
Y a-t-il une chose que tu voudrais faire à l'île Maurice mais dont tu n'as pas encore eu l'occasion ?
J'aurais aimé pouvoir vivre ici en tant que touriste et partir à la découverte de l'île. Nous sommes si occupés depuis que nous avons mis sur pied Farmcity. Nos précédentes visites n'ont duré qu'une dizaine de jours tout au plus.
Quel est ton meilleur souvenir de l'île Maurice ?
Pour la première fois de toute ma vie, j'ai fait l'expérience d'un cyclone. J'ai été prise de panique quand la météo a annoncé que le cyclone Berguitta s'approchait de l'île. Je n'arrivais pas à comprendre comment les Mauriciens pouvaient se réjouir de l'arrivée d'un cyclone. Toutefois, tout est redevenu calme en un rien de temps. Je n'avais même pas l'impression qu'on venait de vivre un cyclone puisqu'il ne s'est rien passé !
Si tu pouvais repartir à zéro à l'île Maurice, que ferais-tu différemment ?
Mettre de côté mes attentes et mes idées reçues. Je pense qu'il y a une grande différence entre visiter un pays et s'y installer à long terme.
Que penses-tu de la cuisine locale ? Quelles sont tes spécialités préférées ?
J'adore la cuisine mauricienne ! Je raffole des boulettes locales. J'aime aussi quand mes beaux-parents préparent du dholl, des faratas et des arouilles gratinés.
Qu'est-ce qui te manque le plus par rapport à ton pays d'origine ?
Sans aucun doute, la sûreté et les commodités dont dispose Singapour. L'on peut pratiquement tout faire en ligne et tout est ouvert jusqu'aux petites heures du matin, ou encore, 24/7. Il y a plein de choses à voir et à faire.
Es-tu déjà arrivée à un point de vouloir quitter l'île Maurice ? Comment as-tu surmonté cette étape ?
Plusieurs fois ! Au 6e mois depuis mon installation, c'était la fin de ce que l'on qualifie de « période de lune de miel ». C'était très dur de devoir faire face à la réalité. Je me suis mise à me poser des questions. Avais-je fait le bon choix en venant ici ? Je remettais constamment en question ma décision, particulièrement en raison de la lenteur des procédures et de certaines choses qui m'échappaient. La meilleure chose à faire est de réfléchir à la raison initiale pour laquelle vous avez décidé de partir à l'île Maurice et se rendre compte que vous n'êtes probablement pas le seul à vous sentir perdu, voire frustré. Essayez de rencontrer d'autres expatriés et des Mauriciens revenant de l'étranger. Chacun a des expériences intéressantes à partager et dont vous pourrez vous inspirer.
Quels conseils donnerais-tu aux futurs expatriés à l'île Maurice ?
Pensez à mettre dans votre valise des choses qui vous aideront à vous sentir chez soi et à surmonter le mal du pays. Cela prendre des mois pour obtenir vos papiers, vos permis, une connexion internet, ou encore, ouvrir un compte en banque à l'île Maurice. C'est tout à fait normal et le réaliser au plus vite vous évitera une plus grande frustration. Il est plus facile et rapide d'obtenir une information quelconque par téléphone plutôt qu'envoyer un courriel. Des fois, les prix affichés sur les rayons des supermarchés sont différents de ceux qui vous paierez à la caisse, particulièrement durant la période des soldes. Pour éviter toute confusion, pensez à prendre une photo du produit, du prix affiché et du code barre et assurez-vous de vérifier votre reçu.
Tes projets d'avenir ?
Nous souhaitons étendre le projet de Farmcity vers le reste de l'île, mais aussi l'exporter à Singapour et d'autres villes à l'étranger.
Y a-t-il une chose que tu souhaiterais ramener avec toi en quittant l'île Maurice ?
Des leçons en matière de résilience et de la maîtrise de soi.