
Rencontre avec Myriam Blin, la directrice du Centre Charles Telfair, un hub indépendant dans l'océan Indien occidental, dédié à la réflexion sur les défis régionaux et à la promotion du dialogue entre chercheurs, décideurs et acteurs économiques. En parallèle, elle dirige des programmes de formation en leadership de transformation de genre, répondant aux besoins des entreprises locales pour un leadership inclusif. Dans cette interview, elle partage ses réflexions sur l'importance de la diversité et de l'inclusion dans le monde professionnel moderne et les défis spécifiques à Maurice.
Directrice du Centre Charles Telfair, quelles sont les activités principales du Centre et quels liens avec vos activités dans le développement, la promotion et la mise en œuvre de programmes de formation en Gender Transformation Leadership ?
Le Centre Charles Telfair est une plateforme indépendante dédiée à la production et au partage de connaissances fiables sur les défis économiques, sociaux et environnementaux de l'océan Indien occidental. Nous sommes un espace neutre où différents acteurs — chercheurs, entreprises, décideurs politiques et société civile — peuvent dialoguer et échanger des perspectives fondées sur des faits et la recherche.
Nos activités incluent l'organisation d'événements, d'ateliers et la publication d'analyses accessibles à un large public. Par exemple, nous avons récemment organisé un atelier sur la pénurie de talents où la question de la diversité, de l'équité et de l'inclusion a été largement abordée.
Par contre, mes travaux sur le leadership transformationnel en matière de genre ne sont pas menés dans le cadre du centre, mais en tant que chercheuse et experte en économie du genre. J'accompagnele centre de formation Leadership Academy de Charles Telfair Education, la maison mère du Centre, dansla conception et la dissémination des programmes de Gender Transformation Leadership.
Qu'est-ce qui vous a motivée à initier les programmes de Leadership de Transformation de Genre ? Comment l'idée est-elle née et comment a-t-elle été accueillie ?
Ce sont les entreprises elles-mêmes qui ont exprimé un besoin en matière d'accompagnement sur les questions du leadership inclusif dans le cadre de leurs initiatives DEI. Soit pour des raisons de convictions, de besoin de rester compétitifs ou encore parce que confrontées à des défis tels que l'attraction et la rétention des talents, ces entreprises ont pris conscience que la diversité et l'équité ne sont pas uniquement des enjeux de responsabilité sociale, mais aussi des leviers stratégiques.
J'essaye donc d'accompagner cette prise de conscience et nous avons travaillé avec une équipe d'expertes venant de Maurice, d'Australie et des États-Unis au développement de formations adaptées aux réalités du contexte mauricien en prenant compte de ses spécificités culturelles.
Pourquoi la question de la diversité, de l'équité et de l'inclusion est-elle importante pour les entreprises ?
Au-delà de la question de justice sociale, les entreprises plus inclusives sont plus innovantes et plus performantes. La diversité, l'équité et l'inclusion (DEI) sont aussi aujourd'hui des réponses stratégiques à la pénurie de talents. Lors de notre atelier sur la pénurie de talents, il est apparu clairement qu'un important vivier de compétences féminines n'est pas pleinement intégré au marché du travail.
De plus, les jeunes générations ont des attentes différentes en matière d'environnement professionnel : elles recherchent des entreprises plus inclusives et alignées sur des valeurs d'équité et de diversité. Les organisations qui ne prennent pas en compte ces aspirations risquent de se retrouver en difficulté pour attirer et retenir les meilleurs talents.
Intégrer la DEI dans les stratégies d'entreprise permet non seulement de répondre à la pénurie de main-d'œuvre, mais aussi de renforcer l'attractivité et la compétitivité à long terme.
Quels sont les plus grands défis auxquels vous êtes confrontée dans la mise en œuvre de ces programmes de formation à Maurice ?
Il y a plusieurs obstacles :
Une vision limitée : Certaines entreprises, dirigeants, employés perçoivent encore la diversité comme un simple enjeu de conformité. Ils perçoivent les mesures DEI comme étant appliquées au détriment de la méritocratie, alors que justement les mesures DEI permettent que la méritocratie prime sur les processus actuels qui privilégient certains groupes de personnes.
L'absence de données genrées : Il est difficile de suivre les progrès sans indicateurs précis sur la répartition genree des rôles, opportunités et des responsabilités dans les entreprises.
La résistance au changement : Modifier les pratiques organisationnelles demande un engagement fort des dirigeants, qui doivent eux-mêmes être convaincus du bien-fondé de ces transformations.
Comment mesurez-vous le succès et l'impact de ces programmes ? Avez-vous constaté des changements considérables au sein du paysage mauricien depuis la mise en place de telles initiatives ?
Nous avons lancé un projet de recherche pour mieux comprendre les dynamiques à l'œuvre dans les organisations qui s'engagent dans ces transformations. Dans une première phase, nous avons étudié les comportements des leaders face au changement, en identifiant les freins et les facteurs de soutien dans la mise en place de pratiques plus inclusives.
Une deuxième phase est prévue, où nous évaluerons l'impact des initiatives et des formations sur l'évolution des pratiques de leadership. L'objectif est de mesurer si ces efforts se traduisent par des changements concrets dans la gouvernance et la culture d'entreprise.
En outre, comment voyez-vous l'évolution du paysage économique mauricien, et quelles implications ces changements pourraient-ils avoir pour votre domaine ?
L'économie mauricienne traverse une période de transformation, avec plusieurs tendances clés qui influencent directement les questions de leadership et de diversité.
Le vieillissement de la population, la fuite des compétences et les nouvelles attentes des jeunes générations obligent les entreprises à repenser leurs modèles d'attraction et de rétention des talents. Comme discuté lors de l'atelier du Centre Charles Telfair sur la pénurie de talents, l'inclusion est un levier sous-exploité pour mobiliser des ressources humaines aujourd'hui peu engagées sur le marché du travail.
Ensuite, l'adoption croissante des technologies oblige à revoir les compétences et les modes de travail. Cela pose aussi la question de l'équité d'accès aux opportunités dans un contexte où les écarts de compétences pourraient se creuser.
Les entreprises doivent aussi désormais intégrer des considérations ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) dans leurs stratégies. Cela inclut non seulement la gestion durable des ressources, mais aussi la création d'environnements plus inclusifs. Bien sûr, nous sommes maintenant dans une ère où les politiques DEI sont attaquées et il y a donc une grande tentation pour les entreprises d'abandonner toutes initiatives vers plus d'inclusions. Ce serait une erreur.
Les entreprises qui sauront anticiper ces transformations en intégrant une approche inclusive et équitable seront mieux positionnées pour naviguer ces défis et rester compétitives.
Selon vous, quels sont les éléments clés pour favoriser une culture inclusive au sein des environnements académiques et corporatifs ?
Créer une culture véritablement inclusive repose sur plusieurs leviers :
Un leadership engagé : Les dirigeants doivent être convaincus et engagés dans une transformation qui va au-delà du discours. Cela passe par des formations adaptées et un exemple donné par le haut.
Des politiques et des processus alignés : L'inclusion ne peut pas être une simple intention, elle doit être intégrée dans les politiques de recrutement, d'évolution professionnelle, d'évaluation et de rémunération.
Une culture du feedback et de l'apprentissage : Il faut créer des espaces où les collaborateurs peuvent exprimer leurs expériences et préoccupations sans crainte de représailles, et où l'on peut ajuster les pratiques en fonction des retours terrain.
Des données et des indicateurs mesurables : L'inclusion ne peut être améliorée que si elle est mesurée. Il est essentiel de suivre des indicateurs de diversité, d'équité salariale, de promotion et de satisfaction des employés.
Un travail sur les biais inconscients : Il est nécessaire de sensibiliser et de former les équipes pour identifier et déconstruire les biais qui influencent les décisions de manière inconsciente.