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Expatriés à Hong Kong : « Il n'est pas question de partir ! »

Hong Kong
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Écrit parAsaël Häzaqle 05 Avril 2022

Nouvelle vague Covid en mars dernier, tensions sociales et politiques, influence de plus en plus prégnante de la Chine… la situation à Hong Kong inquiète. La « fuite des cerveaux » et « l'exode des expatriés » font régulièrement la une de la presse internationale. Qu'en pensent celles et ceux qui vivent sur place ? Entre le « j'y vis, j'y reste » et le « c'était mieux avant », les immigrés de Hong Kong confient leurs craintes, leurs doutes, mais surtout leurs espoirs.

Mon Hong Kong

« Hong Kong, j'y vis, j'y reste. » John est catégorique. Arrivé en 2016 pour un stage en banque, il avoue : « J'étais bourré de préjugés et croyais que l'anglais suffirait. » John se remet en question, apprend le cantonais, change de secteur professionnel, se marie, devient père, et ouvre un commerce avec sa femme. « Hong Kong m'a transformé. Je ne suis pas un « expat ». Je suis un immigré, qui espère le meilleur pour sa cité de cœur. » Pour John, le quotidien « n'est pas aussi noir que ce que décrivent les médias internationaux. Bien sûr, il y a beaucoup d'inquiétude, notamment à cause de la loi sur la sécurité nationale. Que deviendra Hong Kong ? Pour l'instant, on vit. »

Pour Farah Joo, manager pour l'American Women Association in Hong Kong (AWA) le quotidien reste « incroyablement sûr pour les familles ». Malgré les restrictions, elle est optimiste. « Il y a beaucoup à faire, à Hong Kong. La ville a de formidables infrastructures. Tout peut arriver si rapidement ! Trouver un endroit où vivre, chercher des colocataires, se faire un réseau, avoir des amis… Tout est incroyablement simple à Hong Kong. Mais mon conseil serait de commencer cette aventure – comme toute aventure à l'étranger – en ayant l'esprit ouvert. » Farah revient sur l'histoire de son association : « Il y a tant d'histoires de nos membres qui ont eu l'opportunité de vivre ici et pour qui l'expérience a changé la vie. Il y a tant de choses à faire, ici. D'incroyables restaurants, parcours de randonnées, festivals, îles, sites historiques et culturels… La liste est sans fin ! » Si la Covid a stoppé ou contraint nombre de ces activités, Farah Joo a bon espoir que les choses reviennent à la normale.

La menace toujours prégnante de la Covid

Avec un peu moins de 10 000 nouveaux cas par jour en moyenne, Hong Kong reprend haleine. En début mars, la ville affronte sa 5e vague, avec une explosion des cas Omicron et BA.2 : plus de 60 000 nouveaux cas par jour. Les restrictions vont croissant, et touchent une population déjà épuisée par les contraintes à répétition. C'est la vague de trop pour de nombreux expatriés, qui décident de partir. Plus de 140 000 étrangers auraient déjà quitté le pays cette année. Selon le gouvernement hongkongais, le nombre de visas délivrés actuellement est deux fois moins important qu'en 2018. Les annonces postées par les candidats au départ se multiplient sur les réseaux sociaux « je quitte mon appartement », « vente mobilière » etc.

Pour Farah Joo, la « Covid représente un défi pour tout le monde. En tant qu'organisation dépendant des activités que nous proposons à nos membres, les restrictions nous mettent en difficulté. La santé de nos membres est cependant essentielle. Heureusement, notre communauté est très compréhensive. » Interviewé en février dernier, Marc Guyon, conseiller des Français de l'étranger pour Hong Kong et Macao, accuse le coup : « la situation est évidemment moins bonne pour moi car beaucoup de mes amis et clients français ont quitté Hong Kong. Cela a un impact sur ma vie sociale et sur mon business. Travaillant dans le sport, plus précisément les arts martiaux, […] je dois fermer tous mes clubs à cause des restrictions sanitaires. La Covid-19 aura tout détruit, et je dois me reconvertir professionnellement. Mais les affaires reprennent, nous sommes en sécurité, la ville reste très internationale, et beaucoup de choses ne changent pas, comme les beaux paysages, les belles plages, montagnes, tout ce que la nature fait si bien ici. Je n'ai actuellement pas de raisons de quitter Hong Kong. »

Situation politique et démocratie

C'est un sujet sur lequel peu s'expriment ouvertement. L'influence chinoise, plus que palpable, a déjà poussé de nombreux étrangers au départ. Carrie Lam, cheffe de l'exécutif, paraît plus isolée que jamais. Ses mesures strictes pour lutter contre la Covid sont mises en parallèle avec la répression de plus en plus stricte contre toute forme d'opposition. L'ombre de Pékin grandit, alors que Lam a repoussé l'élection à sa succession prévue le 27 mars, au 8 mai.

L'élection présidentielle française, elle, aura bien lieu les 10 et 24 avril. Alexandre Giorgini, Consul Général de France à Hong Kong et Macao, bataille pour maintenir le vote, eu égard aux contraintes sanitaires. Petite victoire : le chiffre des inscrits sur la liste électorale consulaire augmente légèrement avec « un peu plus de 8200 inscrits. », note le Consul le 27 mars dernier, au micro de la radio La French. Mais le nombre d'inscrits au consulat (inscription facultative) baisse. « On était, il y a deux ans, 14000, et nous sommes aujourd'hui 11500. Ces départs se sont malheureusement accélérés ces dernières semaines […] ». Conscient des difficultés de ces concitoyens, Alexandre Giorgini explique : « Nous n'avons jamais cessé, avec nos collègues européens, de saisir les autorités locales pour faire remonter vos préoccupations, votre mécontentement face aux mesures prises à Hong Kong. Il y a eu des annonces positives, le 21 mars, avec la levée de l'interdiction de voyager depuis la France. C'est un premier pas positif, mais évidemment, on va continuer d'exercer une pression forte sur les autorités locales pour que cette dynamique s'inscrive sur le long terme.» Une dynamique qui passera aussi par les urnes, encourage le Consul Général.

Le conseiller Marc Guyon encourage aussi, mais pour un vote extrême. Très actif sur Tweeter, fervent partisan du candidat Zemmour, il multiplie les allusions entre expatriation et vote extrême, quitte à se contredire. Le 28 mars, il tweete : « Nous sommes expatriés à Hong Kong à cause de l'insécurité et du grand déclassement de la France. Avec Zemmour président et une France forte, les expatriés pourraient envisager de rentrer en France. » Le même conseiller dit pourtant vouloir rester à Hong Kong, ville dans laquelle il a immigré par passion pour les arts martiaux. Cette radicalité reste marginale. Les Français de Hong Kong se préoccupent davantage de la politique restrictive anti-Covid, qui complique leur quotidien.

Faut-il parler d'un exode des expatriés ?

Si Farah Joo constate un changement, elle reste prudente : « Je ne peux pas me prononcer sur ce que les médias disent à propos de « l'exode des expatriés ». Mais nous avons vu des membres de notre association partir pour de plus longues périodes à cause de cette période d'incertitude, de la Covid. Ils préféraient être proches de leurs familles. Avec les restrictions, les tests etc., certains travaillent à distance pour s'occuper de leurs proches. » John relativise. « Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Certains partent car leur contrat est fini, d'autres veulent rejoindre leur famille… Il y en a aussi qui viennent travailler ici. » Même distance prise par Marc Guyon : « Il faut […] distinguer les raisons des départs, certains partent car ils n'ont pas le choix, c'est par exemple leur entreprise qui décide que les conditions à Hong Kong ne sont plus favorables à leur business. D'autres partent par choix personnel car ils n'en peuvent plus des restrictions sanitaires. Difficile de rendre visite régulièrement à la famille en France […]. Personnellement, j'ai trois neveux/nièces qui sont nés ces deux dernières années, que je n'ai pas encore rencontrés car n'ai pas pu revenir en France ! » Le conseiller revient également sur le terme « exode » largement employé dans la presse internationale. « On ne peut pas dire le contraire, évidemment, beaucoup d'expatriés sont partis à cause de toutes ces raisons (Covid, climat social etc.). Je ne parlerais pas d'un « exode » car ce terme me semble un peu trop fort pour décrire la réalité, et aussi car je rencontre encore beaucoup de Français qui arrivent à Hong Kong. »

Peut-on encore vivre à Hong Kong aujourd'hui ?

« Bien sûr ! », s'enthousiasme Anissa. « Hong Kong est magnifique. Il faut aller à la campagne, se perdre en dehors de l'hypercentre. Beaucoup ignorent cette facette de Hong Kong, pourtant très présente. La nature, les parcs… Hong Kong regorge de paysages splendides. » Pour Marc Guyon : « Il est clair que c'était mieux avant, on ne peut pas dire le contraire. Mais je dirais que c'était aussi mieux avant en France, et partout, d'ailleurs, dans le monde. » Le conseiller et entrepreneur compte cependant rester : « […] On vit très bien ici. Les restrictions sanitaires font que la vie n'est plus comme avant, mais malgré cela, on s'adapte. » Et Marc Guyon de citer en exemple le nouveau réseau qu'il crée, pour rassembler la communauté française : « […] Nous faisons le maximum, dans la limite des contraintes sanitaires. […] De nos jours, organiser un événement, un apéro, une randonnée, un petit rassemblement, à la limite de ce qui est autorisé tout en restant dans les règles, je trouve que cela devient un geste politique. Cela signifie quelque part que nous décidons de nous battre pour continuer une vie presque normale, que nous ne nous laissons pas déprimer et sombrer dans la peur du virus. En faisant ainsi, on mène une vie à Hong Kong tout à fait satisfaisante, qui justifie de vouloir y rester ou de venir s'y installer. »

D'autres, comme Anissa, regrettent une vision fausse de Hong Kong qui semble persister dans l'inconscient collectif. « Certains viennent et sont déçus de n'être pas compris partout, alors qu'ils ne parlent qu'anglais ! Ils ne font aucun effort pour s'intégrer et critiquent tout. » Harrow confirme : « Là où je vivais, les expats n'arrêtaient pas de se plaindre en disant que la seule bonne nourriture se trouvait dans les milieux business. Ça me fendait le cœur qu'ils osent dire ça en public. » D'autres sont encore plus directs : « les expats comme ça, on n'en veut plus. Si vous n'êtes pas capable d'apprendre le cantonais et de vous ouvrir à la culture et aux valeurs locales, ne venez pas. Arrêtez de penser comme des « expats » ». Serge approuve : « Il faut arrêter de tout miser sur l'anglais, de venir pour ne chercher qu'une communauté expat. Je sais que ça rassure, au début, mais c'est un piège quand ça dure. Beaucoup ventent l'hospitalité des Hongkongais, et c'est vrai. Mais nous, que fait-on pour être bien accueillis ? On demande beaucoup, mais on ne fait pas grand-chose. »

Quel avenir pour Hong Kong ?

John se montre optimiste : « Je ne sais pas, mais je resterai. » Même espoir pour Anissa, pour qui il est illusoire de vivre dans le « c'était mieux avant ». Au contraire, elle croit en un nouveau sursaut démocratique. « C'est justement quand tout semble perdu qu'il faut s'armer de courage et continuer la lutte ». Continuer la lutte, comme des milliers de Hongkongais pour qui l'oppression russe contre le peuple ukrainien fait écho à leur propre situation. L'universitaire et vice-président du Front civil des droits de l'homme Éric Lai (FCDH) fait partie de ces Hongkongais entrés en résistance. En exil depuis 2 ans, celui qui a organisé les grandes manifestations pro-démocratie de 2019 se sent proche du peuple ukrainien. Autre figure de la démocratie, l'avocate Chow Hang-tang purge actuellement une peine de 22 ans de prison pour avoir commémoré le massacre de Tienanmen. Hong Kong était le seul endroit où des milliers de familles pouvaient se rassembler pour rendre hommage aux victimes. Depuis la mainmise chinoise, l'acte devient répréhensible. Un nouveau signal inquiétant pour la population.

Pour Anissa, Pékin continuera de faire jeu double : contraindre Hong Kong, « mais pas au point de l'asphyxier, pour ne pas se rendre totalement détestable aux yeux des autres pays. » Atteintes aux droits de l'homme, menace sur la liberté d'expression, restrictions… Hong Kong ne fait plus rêver. La dernière étude sur les conditions de vie mené par ECA International classe Hong Kong 77e. La ville perd graduellement des points. Marc Guyon estime que la situation est passagère. « Lors du SRAS, Hong Kong avait aussi pris un bon coup. Les expats qui étaient restés ont bien profité de la baisse des prix de l'immobilier, puis de la forte croissance. » Pour lui, la Hong Kong de demain sera « de plus en plus chinoise », ce qui ne l'empêchera pas de s'adapter pour « toujours attirer le monde entier ». Mais s'adapter comment, et à quel prix ? John et Anissa veulent croire à un horizon dégagé pour Hong Kong. « Si on baisse les bras, on est fichus. Les gens peuvent rire, mais on est des milliers à continuer d'y croire. Chacun, à notre façon, on continue de porter cette petite flamme d'espoir. »

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A propos de

Titulaire d'un Master II en Droit - Sciences politiques ainsi que du diplôme de réussite au Japanese Language Proficiency Test (JLPT) N2, j'ai été chargée de communication. J'ai plus de 10 ans d'expérience en tant que rédactrice web.

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