Souvent analysés sous le seul angle de l'immigration, les transferts d'argent vers le pays d'origine contribuent pourtant à la dynamique économique des États. Plus qu'un simple soutien à la famille restée au pays, ils sont une source de revenus et d'investissement non négligeables. On s'attendait à un effondrement de ces transferts d'argent, crise sanitaire oblige. Si 2020 enregistre une baisse significative des envois d'argent vers le pays d'origine des immigrés, 2021 est marquée par une nette reprise de ces transferts.
Le dernier rapport de la Banque mondiale relève ainsi que 281 millions d'immigrés ont transféré 751 milliards de dollars à leurs familles. La France est aussi touchée par le phénomène, principalement, du fait de ses travailleurs transfrontaliers. Quel impact pour l'économie française ?
France : championne européenne des transferts d'argent ?
En 2021, la France a reçu plus de 20 milliards de dollars de la part des Français résidants à l'étranger et a envoyé près de 11 milliards de dollars. Le pays est, avec l'Allemagne, l'une des rares puissances européennes à obtenir plus d'argent entrant que sortant. Selon la Banque mondiale, ces fonds ont représenté 0,96% du PIB français. Une manne financière bienvenue, alors que la France est frappée, comme le reste du monde, par la Covid-19. L'on pense rarement à l'impact des transferts privés sur les économies. Ils ont pourtant des effets bien concrets : hausse du pouvoir d'achat, relance de la consommation des ménages, investissements… En France, ces envois de fonds sont en progression depuis les années 2000, avec une accélération à partir de 2007 – alors même que la crise de subprimes touche l'économie américaine, puis le monde (en 2008). Ces transferts atteignent un pic à près 1% du PIB en 2015, avant de redescendre lentement (0,94% du PIB en 2018) pour répartir progressivement à la hausse et atteindre les 0,96% du PIB en 2020. La même année, la France est en récession, avec un PIB à près de -8%.
Les transfrontaliers boostent-ils l'économie française ?
En France, les envois d'argent sont majoritairement le fait des 450 000 travailleurs transfrontaliers. Rien qu'en Suisse, ils sont près de 200 000, et ont envoyé près de 12 milliards d'euros vers la France. La Suisse, qui résiste mieux à la Covid : en 2020, son PIB ne se contracte que de -2,9%. Meilleure santé économique, salaires plus élevés… Autant de paramètres qui peuvent expliquer ces transferts d'argent conséquents vers la France. Ces envois parviennent-ils cependant à booster l'économie ? Les régions transfrontalières profitent-elles de ces transferts d'argent ? Pour le département du Nord, la réponse est oui. Les régions du nord de la France sont parmi les plus pauvres du pays. Parmi ces personnes en situation précaire, beaucoup touchent le revenu de solidarité active (RSA). Mais malgré la crise sanitaire, le nombre d'allocataires a baissé : -3,4%. En 2021, 103 497 personnes ont bénéficié du RSA, contre 107 129 en 2020. Le département Nord a multiplié ses partenariats avec la Belgique. Pour les deux territoires, l'échange est gagnant-gagnant : la Belgique manque de main-d'œuvre dans les secteurs sous tension. La France a des demandeurs d'emploi.
Côté Nord de la France, c'est même double bénéfice : les offres d'emploi belges permettent de réduire le nombre de bénéficiaires du RSA, et donc, de baisser les dépenses publiques. De plus, les travailleurs transfrontaliers boostent l'économie du département via les transferts d'argent. Ils sont généralement mieux payés en Belgique qu'en France. En Belgique, le SMIC est de 1658,22 €. En France, c'est 1603,12€ (chiffres 2022). Mais si l'opération fonctionne dans le Nord, les résultats sont plus mitigés dans le Nord-Est. L'Agence d'urbanisme et de développement durable (AGAPE) étudie le nombre de créations d'emploi dans la région depuis plus de 10 ans. Pour elle, le compte n'y est pas. Les transfrontaliers n'ont pas fait décoller l'économie locale. Le rapport de 2021 de l'Unedic (assurance chômage en France) pointe les mêmes problématiques. En 2020, 50 000 salariés en Suisse ont perdu leur emploi (60% des transfrontaliers français). C'est 17 000 pour le Luxembourg (21%). Selon l'Unedic et l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), la pandémie n'explique pas à elle seule ces pertes d'emploi. L'internationalisation du marché de l'emploi met en concurrence les transfrontaliers avec d'autres profils. Une mise en concurrence qui désavantagerait, sur le long terme, les transfrontaliers, notamment les non-qualifiés.
Les transferts d'argent ne peuvent à eux seuls redresser toute une économie. Ils restent cependant un appui financier significatif, dont les retombées dépassent largement le simple cadre privé. Le soutien apporté aux familles (niveau micro-économique) peut aussi s'observer, localement, à une échelle plus importante.