Le défi est immense, et Joe Biden concède que les dernières décisions prises « ne résoudront pas les problèmes du système d'immigration. » Le président se montre cependant optimiste, convaincu que ces nouvelles décisions « aideront beaucoup ». Comment, dans un contexte de crise économique, inflationniste et internationale, pallier les pénuries de main-d'œuvre tout en luttant fermement contre l'immigration clandestine ? Le président américain cherche à faire un pas vers les républicains sans pour autant froisser sa base. Un exercice risqué, même pour le plus doué des équilibristes. Que faut-il retenir de la nouvelle politique d'immigration du gouvernement Biden ?
Nouvelle politique d'immigration : le défi de Joe Biden
Ses détracteurs l'ont accusé de ne pas assez prendre en compte la question migratoire. C'était sans compter la conjoncture (Covid, crise économique, inflation), peu propice à la mise en avant de ce dossier hautement sensible. Pendant 2 ans, le président a privilégié la politique intérieure, laissant le dossier de l'immigration à Harris. Le président a cependant rappelé que le Congrès s'est opposé, pendant 2 ans, à ses mesures de renforcement de la sécurité aux frontières. En se rendant à El Paso, ville texane frontalière du Mexique, le 8 janvier dernier (une première, depuis son élection), Joe Biden montre qu'il occupe le terrain. Le 10 janvier, le Sommet des leaders nord-américains a rassemblé Biden, Obrador, président du Mexique, et Trudeau, Premier ministre canadien. Au cœur des discussions : l'immigration. 5 jours plus tôt, il présentait justement sa nouvelle politique migratoire à la frontière avec le Mexique.
Le constat est sans appel : selon les services statistiques de Customs and Border Protection, la police des frontières américaines, près d'1,7 million d'individus en situation irrégulière ont été arrêtés à la frontière mexicaine en 2021. Le chiffre grimpe à plus de 2 millions d'arrestations en 2022.
Un programme spécial pour le Venezuela, le Nicaragua, Haïti et Cuba
Pour décourager l'immigration clandestine, la nouvelle politique d'immigration durcit le ton tout en ouvrant une voie légale pour venir travailler sur le sol américain. 4 pays sont visés : le Venezuela, le Nicaragua, Haïti et Cuba, d'où proviennent un grand nombre d'immigrants clandestins.
Après avoir testé sa nouvelle politique avec le Venezuela, l'administration Biden l'a élargie aux 3 autres pays, le 6 janvier. Ce programme étend le processus de libération conditionnelle. Il permet, chaque mois, à 30 000 ressortissants de ces pays d'immigrer aux États-Unis. 30 000 par mois, soit assez, selon le gouvernement américain, pour endiguer le flux des expatriés clandestins (chaque jour, plusieurs milliers tenteraient leur chance) tout en ne fermant pas totalement la porte aux candidats à l'expatriation. Concrètement, un candidat peut demander une autorisation de voyage, une libération conditionnelle temporaire (jusqu'à 2 ans) et une autorisation de travail.
Mais les règles sont strictes. Le demandeur doit impérativement se trouver hors du territoire américain. Il doit bien entendu être ressortissant du Venezuela, du Nicaragua, de Haïti ou de Cuba, ou être un membre de la famille proche (époux, conjoint non marié ou enfant de moins de 21 ans), qui voyage avec le ressortissant éligible. Il faut également avoir un « supporter » : citoyen ou ressortissant américain, résident permanent ou temporaire légal… C'est ce supporter qui démarrera la procédure. Le supporter doit pouvoir assurer le soutien financier du demandeur (logement, alimentation, frais éventuels de santé…). Le demandeur doit posséder un passeport valide et pouvoir financer, en avion, son voyage aux États-Unis. Le président Biden insiste sur ce point : le voyage aux États-Unis doit se faire dans la légalité, pour plus de sécurité et d'humanité.
Dans le cas contraire, toute immigration est interdite, et sera sanctionnée. « Contourner les voies légales d'immigration entraînera des conséquences sérieuses », prévient l'administration Biden. Toute entrée illégale sur le territoire provoquera une expulsion immédiate. Les personnes non éligibles à la libération conditionnelle seront expulsées vers le Mexique : l'État mexicain a accepté d'en accueillir 30 000 par mois.
Accueillir plus de réfugiés en provenance du continent
C'était un vœu du candidat Biden. Accueillir davantage de réfugiés. La nouvelle politique concrétise le souhait du président en triplant les capacités d'accueil des réfugiés. Seuls ceux en provenance du continent (Amérique latine et Caraïbes) sont concernés. L'État devrait ainsi accueillir quelque 20 000 réfugiés sur la période 2023-2024.
Vers une citoyenneté pour les « Dreamer's » ?
En serrant la vis sur la lutte contre l'immigration clandestine, Joe Biden espère faire passer son projet de loi sur les « Dreamer's ». Ces enfants d'étrangers en situation irrégulière sont nés et ont grandi aux États-Unis. Plus proches de l'État américain que de leur État d'origine, ils sont pourtant sans véritable statut juridique. Le gouvernement Obama leur a octroyé un statut temporaire (autorisation d'étudier et de travailler). Le président Biden veut le transformer en statut définitif : leur donner la citoyenneté américaine. Une vision dans la droite ligne de son projet, et qui permettrait de garder ces talents sur le sol américain.
Lutter contre les pénuries de main-d'œuvre
30 000 nouvelles arrivées par mois, c'est déjà beaucoup, se félicitent les entreprises, qui désespèrent de trouver de la main-d'œuvre. Les entreprises et autres organisations peuvent en effet être supporter. Dans ce cas, elles s'engagent à favoriser l'insertion du demandeur : apprentissage de l'anglais, emploi, scolarité, s'il vient avec des enfants mineurs. De son côté, le candidat dont la demande est validée pourra demander une autorisation d'emploi et un numéro de sécurité sociale.
Comment attirer les travailleurs dans les secteurs fortement exposés aux pénuries ? Sans surprise, ce sont aussi ceux qui souffrent d'une mauvaise presse : métiers pénibles et peu rémunérés, horaires décalés, évolution de carrière lente, difficile ou inexistante… Dans les métiers de la restauration, notamment les fast-foods, des robots viennent pallier le manque de main-d'œuvre. Dans la santé, les services à la personne, l'hôtellerie, le tourisme ou le transport, les recruteurs se cassent la tête pour trouver des candidats. Le taux de chômage retrouve son niveau prépandémique (3,5%), mais 10 millions d'emplois restent non pourvus. Augmenter les salaires ne suffit pas toujours. Dans le très touristique État du Maine, les fast-foods proposent jusqu'à 16,50 dollars de l'heure. Les affiches « now hiring » (nous recrutons) se sont multipliées en 2022, avec des résultats parfois mitigés. Faute d'employés, des milliers d'établissements réduisent leurs horaires ou ferment leurs portes.
Dans le secteur de la santé, on attend beaucoup de la nouvelle politique migratoire. Comme de nombreux autres pays du monde, les États-Unis font face au vieillissement de la population. Plus de séniors, plus de dépenses de santé, plus de besoins humains. Certaines organisations voudraient même aller plus loin, et demandent la création d'un visa spécial, réservé aux « métiers essentiels », notamment les personnels soignants et les aides à la personne. Un bon moyen, selon eux, de sortir les populations concernées de la précarité (les demandeurs ciblent les demandeurs d'asile), tout en répondant aux besoins de la demande. Mais rien ne dit que les candidats à l'immigration seront forcément attirés vers ces métiers, souvent délaissés par les citoyens et ressortissants américains.
Frontières : renforcer la coopération entre les États
Les relations Biden-Obrador sont-elles en passe de se réchauffer ? En juin 2021, Obrador ne s'était pas rendu au sommet des Amériques (se déroulant à Los Angeles), pourtant censé traiter de l'harmonisation de la lutte contre l'immigration clandestine. De leur côté, les États-Unis n'avaient pas invité Cuba, le Nicaragua et le Venezuela, pourtant tout aussi concernés par l'immigration clandestine. Changement de ton en ce début d'année. Le 10 janvier, Biden, Obrador et Trudeau affichent leur unité. « Nous sommes de véritables partenaires », affirment les trois présidents.
Côté mesures, les États-Unis renforceront les contrôles aux frontières, et la lutte contre la contrebande. 23 000 agents sont déjà déployés le long de la frontière. Des recrutements sont en cours pour augmenter ces chiffres. Le partenariat entre les agents américains et mexicains sera renforcé. Les procédures d'éloignement accéléré seront renforcées : la mesure concerne toute personne en situation illégale qui ne peut pas être expulsée en vertu du controversé « Titre 42 » (Title 42).
Pour Joe Biden, durcir les mesures de lutte contre l'immigration illégale va de pair avec le renforcement de la protection des personnes vulnérables. La nouvelle politique d'immigration renforcera la lutte contre le trafic d'êtres humains, les réseaux de passeurs, et la désinformation. Davantage de moyens seront donnés aux associations de soutien aux migrants.
Titre 42 : les inquiétudes de l'ONU et des ONG
Cela ne suffit pas à rassurer le monde humanitaire. Le « Titre 42 » fait grincer des dents. Le décret controversé de l'ancien président Trump a été mis en place au début de la crise Covid. Il s'agissait à l'époque de bloquer « préventivement » les migrants à la frontière américaine, pour éviter tout éventuel risque de propagation du virus. La mesure aurait dû prendre fin le 21 décembre 2022, mais une vingtaine d'États conservateurs ont déposé un recours. Les républicains promettent une flambée de l'immigration clandestine en cas de suppression du Titre 42. Les démocrates, ONG et ONU dénoncent une mesure raciste, qui nuit au droit d'asile.
Autre critique : la reconduction immédiate à la frontière. Le 11 janvier, Volker Türk, nouveau Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, alerte : les nouvelles mesures des États-Unis seraient contre le principe du refus des expulsions collectives, expulsions jugées contraires aux droits humains fondamentaux. Le gouvernement américain se veut rassurant et planche déjà sur l'après « Titre 42 » : les agents d'asile et les juges de l'immigration disposeront de plus de moyens pour traiter plus rapidement les demandes d'asile. Le gouvernement espère diviser les délais de plusieurs mois à quelques jours.
Humanité et fermeté : le jeu d'équilibre de Joe Biden
Pour se montrer à la fois ferme et ouvert, Joe Biden en appelle à la participation de tous, dans le respect des règles. Oui à l'immigration, mais légale. Dans son allocution du 5 janvier, le président sollicite directement le Congrès : « Les décisions d'aujourd'hui vont améliorer les choses, mais ne régleront pas complètement le problème à la frontière. Ce travail ne sera pas fait à moins que le Congrès autorise et finance un plan plus global pour l'immigration que j'ai proposé dès le premier jour. » L'obtention des 30 000 autorisations mensuelles pour quelques nationalités est déjà une victoire pour le clan Biden.
Mais les négociations continuent. Biden joue la carte de l'apaisement. Une main tendue vers les élus républicains, et un signe d'apaisement pour les élus démocrates. « Les voies légales d'immigration que nous présentons aujourd'hui sont généreuses », assure Joe Biden, qui refuse d'opposer humanité et fermeté. Un numéro d'équilibriste audacieux, pour le nouveau grand défi de l'année 2023.
Liens utiles (en anglais) :
Processus d'entrée aux États-Unis : Venezuela, Cuba, Haïti, Nicaragua