Le rêve américain existe-t-il toujours pour les enfants d'immigrés ?

Vie pratique
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Écrit par Asaël Häzaq le 28 août, 2024
Qu'est-ce que le « rêve américain » aujourd'hui ? Représente-t-il le même espoir d'ascension sociale ? Entre désillusions et réalités du marché socioéconomique, les enfants d'immigrés posent un regard lucide sur leur vie aux États-Unis et leur avenir.

Loin du rêve, les difficultés des enfants d'immigrés

En 2022, près de 46,2 millions d'immigrants vivent aux États-Unis. Ils représentent environ 13,9 % de la population. Près de 17,6 millions d'enfants de moins de 18 ans ont au moins un parent immigrant. Ces enfants, qui représentent 26 % des 68,6 millions d'enfants de moins de 18 ans, appartiennent à la deuxième génération d'immigrants. Ils sont nés et ont grandi aux États-Unis.

Ces jeunes Américains devenus adultes posent un regard différent de celui de leurs parents. Pour ces derniers, nés à l'étranger, s'expatrier aux États-Unis était le rêve d'une vie. Le fameux « rêve américain », basé sur un postulat simple : chacun peut réussir, quelle que soit son origine, pourvu qu'il travaille dur. Cette valeur travail est toujours inscrite dans la culture américaine. C'est le triomphe du « self made man », l'homme « qui s'est construit seul » à la seule force de son poignet.

Mais les jeunes Américains issus de l'immigration n'ont pas vécu la même histoire que leurs parents. Leur vision des États-Unis est beaucoup moins portée par ce triomphe de la méritocratie. Des États-Unis, ils voient plutôt les discriminations à l'embauche, la hausse vertigineuse du coût de la vie, les montants exorbitants des loyers et de l'assurance maladie, les prêts étudiants qui hypothèquent leur avenir. Ils regardent avec circonspection les violents affrontements des hommes et femmes politiques censés les soutenir. Loin de l'espoir suscité par le « rêve américain », ces Américains de la génération Z se sentent désespérés. Certains prennent une décision radicale : quitter le pays.

Faut-il s'expatrier ailleurs ?

Quitter les États-Unis ? La question, sensible, divise. Les Américains peinent à verbaliser leur souhait. Comment expliquer à leurs parents, qui ont tout sacrifié pour vivre aux États-Unis, qu'ils ne partagent pas leur rêve ? Cette difficulté à parler de leur malêtre provient d'un décalage entre les parents immigrés et les enfants. Les premiers ont choisi les États-Unis pour le symbole qu'ils représentaient et les réelles perspectives d'ascension sociale qu'ils offraient. Ils ont accepté de supporter le coût du rêve américain pour élever leurs enfants dans de meilleures conditions. Car ce « rêve » a bien un coût : le travail tant vanté est une affaire de sacrifices au quotidien. Des sacrifices consentis par les parents pour assurer l'avenir de leurs enfants.

On comprend mieux les difficultés des enfants d'immigrants. Ils n'ont pas choisi de vivre aux États-Unis, mais sont nés dans le pays. Ils n'ont pas connu les difficultés de leurs parents pour immigrés, mais leur vie n'est pas plus facile pour autant. Car ces Américains se sentent parfois écartelés entre la vision du rêve américain qui continue de planer dans l'inconscient collectif, et leur quotidien de citoyens américains aux États-Unis.

Ceux qui font le choix de l'expatriation viennent rejoindre les quelque 3 millions d'Américains qui vivent à l'étranger. Ils partent pour préserver leur santé physique et mentale, pour trouver un emploi en accord avec leurs qualifications, pour vivre dans un meilleur cadre de vie… Ils parlent de leurs difficultés aux États-Unis, notamment concernant l'accès à l'emploi, à la santé et au logement. La parole se libère sur les réseaux sociaux, où les jeunes Américains issus de l'immigration s'échangent les bons plans pour s'expatrier ou pour demander la double nationalité. Contrairement à leurs parents, ils ont moins de difficultés à dire qu'il existe de meilleurs pays que les États-Unis.

États-Unis : quand le rêve tourne court

De quel « rêve américain » parle-t-on ? C'est la question que se posent les jeunes tentés par l'expatriation. Car l'expression, passée de discours en discours au fil des époques, a dévié de son sens premier. Dans la bouche des Républicains, elle est toujours associée à une valeur travail, mais contre l'État et ses supposées largesses (les aides sociales accordées aux défavorisés). Le discours des Républicains lancé dans la bataille pour la présidentielle se muscle et exclut. Ironie du sort : de plus en plus d'Américains estiment qu'ils n'atteindront jamais l'idéal du rêve américain.

À l'origine, ce rêve s'inscrit dans une vision progressiste, où l'État intervient pour réguler le capitalisme. L'expression « American Dream » est attribuée à l'écrivain James Truslow Adams qui l'aurait utilisée dans son roman The Epic of America, paru en 1931. L'expression figurait pourtant dans une publicité pour matelas, sortie en 1930. Si les experts se divisent sur les origines de l'expression, ils s'accordent pour dire qu'elle voyait positivement l'intervention de l'État. Le rêve était d'échapper à la Grande Dépression, pour que tous aient une vie meilleure. Certains Démocrates se réapproprient d'ailleurs cette vision positive du rêve américain.

En réalité, ce rêve américain passe sous silence le racisme et les autres discriminations auxquelles les immigrants de la première génération ont dû faire face. Leurs enfants voient moins les États-Unis comme un objectif à atteindre. Ceci s'explique en partie parce qu'ils sont nés dans le pays, mais aussi parce qu'ils se sont ouverts à d'autres opportunités. Ils parlent de géopolitique, de préservation de l'environnement, droits des femmes…

Rêve américain et nouvelles réalités

D'aucuns estiment que cette perte de « valeur » du rêve américain s'inscrit dans une perte de puissance des États-Unis. En proie à de multiples crises, le pays n'est plus le « bouclier du monde ». Fragilisé, il n'offre plus le rêve des années précédentes. Mais d'autres rappellent au contraire que le rêve américain n'a été atteignable que pour ceux qui ont pu effectivement l'atteindre. Il n'est pas exempt de failles ; failles qui ne sont pas apparues lors des récentes crises économiques. Ils voient plutôt dans ces expatriations de jeunes enfants d'immigrés une façon de se réapproprier leur histoire.

Ces jeunes Américains partent pour mieux se retrouver ailleurs. Ils connaissent les points forts et les points faibles des États-Unis. Ils comprennent pourquoi le pays reste le rêve de nombreux candidats à l'expatriation. Ces jeunes restent lucides ; ils savent que les autres pays ont aussi leurs points forts et leurs faiblesses. Ils ne choisissent pas l'expatriation au hasard, mais après une longue réflexion. Ils continueront d'observer les États-Unis de loin et construiront leur propre avenir à l'étranger.

Source : Beset with 'doomism,' some Gen Z children of immigrants are giving up on the American dream