Et si étudier à l'étranger était un passeport pour une nouvelle liberté ? En Chine, l'idée fait son chemin. La crise sanitaire, et surtout, les conséquences de la politique zéro Covid, pousse de plus en plus d'étudiants chinois à se tourner vers l'étranger. Mais les pays plébiscités hier ne sont plus forcément ceux d'aujourd'hui. Alors que la Chine a rouvert ses frontières au début du mois dernier, appelant à un retour à « la normalité », de nombreux étudiants chinois rêvent d'un avenir ailleurs. Décryptage.
Abaissement des restrictions, hausse des départs
Alors que Pékin fait le bilan de la première vague de contamination (plus de 80 % de la population avait été contaminée au 21 janvier), les étudiants chinois rêvent d'avenir par-delà les frontières. Pékin rouvre ses écoles primaires et secondaires. Les étudiants désertent les bancs des universités chinoises pour lorgner ceux des établissements étrangers. Si la Chine ne reconnaît encore que partiellement l'ampleur de cette première vague, elle met tout en œuvre pour un retour à la normale. Pour les étudiants chinois, ce retour rime avec une reprise des cours.
Une reprise mouvementée pour tous les étudiants inscrits dans des établissements étrangers. Depuis que l'exécutif a annoncé ne plus reconnaître les diplômes et cursus suivis à distance, c'est la ruée vers les demandes de visa et les réservations de billets d'avion. Pour valider leur cursus, les étudiants chinois doivent être présents physiquement en cours. Cette décision brutale du pouvoir n'a fait qu'accélérer la hausse des demandes pour étudier à l'étranger.
Sinorbis, entreprise de technologie et de marketing pour l'enseignement supérieur, a étudié les données des moteurs de recherche chinois depuis la réouverture des frontières. Les recherches concernant des études au Canada ont augmenté de 81 %. Le Royaume-Uni enregistre un pic à 138 % et l'Australie, à 128 %. Ces trois pays sont les trois destinations favorites des étudiants chinois. A contrario, les étudiants ne semblent plus rêver d'Amérique. Les recherches pour étudier aux États-Unis ont baissé de 16 %.
L'intérêt pour les universités américaines en perte de vitesse
Les universités américaines font-elles les frais des relations tendues entre les États-Unis et la Chine ? L'affaire du ballon-espion chinois est l'un des derniers épisodes du feuilleton tumultueux des deux puissances mondiales. Les États-Unis étaient pourtant l'une des destinations phares des étudiants chinois, grâce à ses universités mondialement cotées et au prestige de son « rêve américain ». Mais l'ancien président Trump et sa politique dure à l'égard de la Chine ont écorné la belle image. La montée du racisme contre les Chinois lors de la pandémie a écorné encore un peu plus l'image des États-Unis. En janvier, les Chinois titulaires d'un visa étudiant aux États-Unis sont près de 30 % de moins qu'en 2020.
Le Canada, le Royaume-Uni et l'Australie profitent largement de la baisse de popularité des États-Unis. Ils font aussi partie des destinations phares des expatriés. Les étudiants plébiscitent ces destinations, qui, selon eux, n'ont rien à envier au géant américain. Les atouts de ces trois pays sont nombreux : universités reconnues à l'étranger, cursus de qualité. Les pays asiatiques, Japon, Singapour et Hong Kong en tête, gagnent en attractivité auprès des étudiants chinois. Leur proximité géographique et la qualité de leur enseignement en font des destinations compétitives.
Étudier à l'étranger : un passeport pour l'emploi
Parce qu'il faut bien se projeter vers l'avenir, les étudiants chinois regardent aussi les débouchés professionnels. Bonne pioche avec le Canada, le Royaume-Uni, l'Australie ou le Japon, tous confrontés à de graves pénuries de main-d'œuvre. Tous bataillent pour attirer les talents étrangers. Le Canada compte accueillir 460 000 nouveaux résidents permanents cette année, 485 000 en 2024 et 500 000 en 2025. Le Japon cherche activement des travailleurs étrangers : 800 000 d'ici à 2030, 6,74 millions d'ici 2040.
Depuis le Brexit, le Royaume-Uni déroule le tapis rouge aux étudiants étrangers. Pas question, pour le pays, de perdre en attractivité. Et ça marche : l'État enregistre 40 % d'étudiants étrangers de plus qu'en 2017 (année suivant le référendum du Brexit), dont une majorité de Chinois et d'Indiens. C'est aussi, pour le pays, une question d'argent : les frais de scolarité des étudiants étrangers sont en moyenne deux fois plus élevés que ceux des locaux. Un aspect plus controversé que le Royaume-Uni se garde bien de mettre en avant.
Quitter la Chine, rêver ailleurs
« Run xue » ou l'art de la fuite pour étudier librement à l'étranger. Depuis le printemps dernier, l'expression a fleuri sur les réseaux sociaux. Combinant habilement le verbe « courir » en anglais (run) et le mot « études » en chinois (xue), l'expression codée désigne les études à l'étranger. Plus qu'un jeu de mots, elle traduit une urgence chez de jeunes Chinois traumatisés par une politique zéro Covid qu'ils jugent déshumanisante. Derrière le motif sanitaire, ces jeunes ont surtout vu la main de Pékin, capable de s'immiscer dans tous les aspects de leur quotidien. Ces jeunes ont vu ce qu'il se passait à l'étranger : une vie pouvant, certes, être difficile, mais avec la liberté.
C'est cette liberté que veulent retrouver les Chinois qui partent étudier à l'étranger. Ils sont prêts à débourser des milliers de livres pour goûter au quotidien britannique. Ils rêvent d'un emploi en Australie, au Canada ou aux États-Unis. Bien qu'en perte de vitesse, le pays attire toujours des étudiants chinois. En Chine, la crise de l'emploi et le chômage des jeunes poussent d'autant plus les candidats au départ. Le « run ! » apparaît, pour ces étudiants chinois, comme la solution pour échapper à l'emprise de Pékin et vivre libre. Plus d'un million d'entre eux étudie actuellement à l'étranger. Bien que Pékin affirme que 80 % des étudiants reviennent à l'issue de leurs études, ces derniers, au contraire, ne semblent pas être pressés de rentrer au pays.
Les étudiants étrangers de retour en Chine
Qu'en est-il des étudiants internationaux en Chine ? Depuis le 24 août 2022, ils peuvent officiellement revenir dans les universités chinoises.
Des étudiants internationaux moins nombreux
La mesure ne concerne cependant que les étudiants qui demandent un visa d'étude long séjour ; de plus, les réouvertures se font progressivement. Depuis le mois de mars, de petits groupes d'étudiants coréens, russes ou pakistanais revenaient en Chine. À partir d'août 2022, la liste des pays autorisés à envoyer leurs ressortissants s'élargit à la France, à l'Inde, au Japon ou la Malaisie.
Avant la pandémie, la Chine accueillait près de 500 000 étudiants étrangers par an (chiffres 2018 et 2019 du ministère de l'Éducation en Chine). La deuxième puissance mondiale attirait de plus en plus d'étudiants internationaux, séduits par les perspectives de carrière. Étudier en Chine, c'était ouvrir son réseau professionnel, enrichir son CV, apprendre l'une des langues les plus parlées au monde, pour un coût bien inférieur à celui des études au Royaume-Uni ou aux États-Unis. La Chine était alors vue comme un investissement pour l'avenir.
Un avenir plus trouble depuis la crise sanitaire. En août 2022, China Admission, plateforme d'aide pour les étrangers souhaitant étudier en Chine, recensait moins de 20 000 étudiants étrangers sur tout le territoire. Plus que la pandémie, c'est surtout la gestion de cette crise par les autorités chinoises qui a contraint les étudiants internationaux. Nombre d'entre eux ont fait part de leur désarroi, entre des cours en ligne inadaptés (en raison du décalage horaire), un manque de communication avec les universités, et un coût des études toujours basé sur des cours en présentiel.
Fin de la politique zéro Covid, reprise des études en Chine ?
Aujourd'hui encore, les étudiants internationaux restent suspendus aux décisions gouvernementales. La flambée épidémique de l'hiver dernier a une nouvelle fois repoussé l'entrée des étudiants étrangers en Chine. Début janvier, le gouvernement abandonne totalement sa politique zéro Covid. Les étudiants étrangers espèrent une année 2023 moins mouvementée que les précédentes. Car leur intérêt pour la Chine reste toujours là. Ces étudiants rêvent d'opportunités de carrière en Chine ou en relation avec la Chine. Ils s'intéressent à la langue, la culture et l'histoire du pays. Ceux qui ont pu revenir en Chine après les mesures d'août 2022 parlent d'un rêve enfin réalisé, après près de deux ans d'attente.
Le pays fait face à une nouvelle situation : les Chinois sont plus nombreux à partir étudier à l'étranger. Les étrangers sont moins nombreux à venir étudier en Chine. Les autorités chinoises reconnaissent qu'il faudra du temps avant de retrouver les niveaux d'étudiants de 2019.
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