Portugal, fin de l'âge d'or du Golden Visa
Jeudi 16 février, António Costa, Premier ministre portugais, annonce la fin du Golden Visa. Lancé en octobre 2012, il accorde la résidence (et la citoyenneté au bout de 5 ans), moyennant des investissements dans l'immobilier, le transfert de capitaux, la création d'entreprise, le don, ou les fonds de capital-risque.
Très cher « miracle économique »
Retour en 2008. Au Portugal, la crise financière migre en crise politique. En 2010, le Portugal, au bord de la faillite, s'engage dans un programme d'austérité pour réduire ses déficits publics. Un mouvement de grève national éclate. José Socrates, le Premier ministre socialiste d'alors, est poussé vers la sortie. Le libéral de centre-droit Pedro Passos Coelho le remplace. C'est sous son mandat que naît le Golden Visa, avec un objectif : ramener des capitaux étrangers pour relancer l'économie.
Le programme est-il un succès ? Oui, à en croire les chiffres. Entre 2012 et 2021, il aurait rapporté 5 à 7 milliards d'euros au Portugal. La croissance repart, d'abord timidement (0,9 % en 2014, 1,5 % en 2015) avant de dépasser les 3 % en 2017. Le chômage passe de 17,5 % en 2013 à 6,4 % en 2019. Le pays se transforme, au point que l'on parle d'un « miracle économique » portugais. Mais à quel prix ? Les bénéfices des milliards investis par les riches expatriés atteignent-ils l'économie locale ?
Golden visa et crise immobilière
Encore faudrait-il que les locaux soient toujours là. Au Portugal, le « miracle » s'est accompagné d'une hausse spectaculaire des prix de l'immobilier, notamment dans les grandes villes comme Lisbonne ou Porto. Les riches expatriés y achètent des biens immobiliers en masse, et font grimper les prix. Comme en Espagne, ces hausses se répercutent dans les autres sphères de l'économie locale. 2022 est même une année record, avec des prix de l'immobilier en hausse de 19 %. C'est la plus forte augmentation depuis 1991.
Les taux d'intérêt augmentent eux aussi. Certains parlent déjà de plusieurs générations sacrifiées. Le miracle a viré au cauchemar pour beaucoup de Portugais, qui désespèrent d'accéder un jour à la propriété. Des quartiers se transforment, perdent de leur authenticité ; les Portugais alertent sur le risque d'un embourgeoisement. Ils s'inquiètent aussi de la provenance de l'argent investi, et ils ne sont pas les seuls. Le Portugal et d'autres États comme Malte, le Luxembourg ou les Pays-Bas sont sous la surveillance de l'UE. Pourtant, lorsqu'en 2017, les experts européens publient leur liste de paradis fiscaux, aucun État membre n'y figure. La même année éclate l'affaire des Paradise papers, qui éclabousse de nombreux investisseurs dans le monde. Plusieurs noms d'États européens reviennent dans la liste des paradis fiscaux, notamment Malte, les Pays-Bas, et le Portugal.
Des voix se font de plus en plus pressantes pour mettre fin au Golden Visa, considéré comme une porte ouverte sur le blanchiment d'argent. Le système est définitivement enterré par l'annonce du Premier ministre Costa, qui cite cependant moins le blanchiment que la spéculation. Pour Costa, le Golden Visa a « rempli son rôle ». Le Premier ministre s'engage désormais à soulager les classes moyennes. Il admet néanmoins que le Portugal traverse une « crise du logement » et promet 900 millions d'euros pour aider les habitants à se loger.
Irlande, clap de fin pour le Golden Visa
Simon Harris, le ministre de la Justice, se veut rassurant. La fin du programme Irlandais Immigrant Investor (IIP), équivalent du Golden visa, était à l'étude depuis longtemps. « [...] éclairé par des examens internes et externes, j'ai recommandé qu'il soit maintenant temps de fermer ce programme [...] » a déclaré le ministre.
Un Golden Visa pour sortir de la crise
Comme le Portugal, l'Irlande a mis en place son Golden Visa en 2012. Comme les autres économies du monde, l'Irlande est alors en crise. Une crise financière, bancaire et économique qui fait fuir nationaux et immigrés. Selon le Central Statistics Office d'Irlande, 65 100 personnes ont quitté l'île entre 2009 et 2010, dont 42 % d'Irlandais, pour à peine 30 800 installations. Avant la crise, on comptait 42 000 départs pour 110 000 arrivés (chiffres 2007). Les années 90, marquées par une forte croissance, sont désormais loin. C'est pour retrouver son attractivité que l'Irlande met en place les Golden Visa.
Le principe est le même que pour les autres pays : les riches investisseurs étrangers accèdent à la résidence irlandaise et tous ses avantages à condition d'investir. Depuis sa création, le programme de Golden Visa aurait rapporté 1,17 milliard d'euros. En 2022, le nombre de demandes connaît une hausse significative ; elles émanent principalement des ressortissants chinois, américains et vietnamiens. Ils figurent parmi les principaux investisseurs en Irlande, via ce programme. En 2022, le ministère de la Justice valide 1613 demandes de passeports dorés, dont 1511 provenant de ressortissants chinois. Les autres nationalités les plus représentées restent les États-Unis et le Vietnam.
Soupçons d'abus fiscaux : la fin programmée du passeport doré
Mais comme au Portugal, les soupçons de blanchiment d'argent pèsent. En octobre 2022, Juan Fernando López Aguilar, président de la Commission européenne des libertés, de la justice et des affaires intérieures, déclare : « Ces pratiques doivent cesser. Nous devons mettre de l'ordre dans les soi-disant régimes de visas dorés et de passeports dorés et la résolution du Parlement européen est absolument claire. » Plus tôt, un rapport du Parlement européen révélait que le Golden Visa irlandais était vulnérable face à l'évasion fiscale. Suite à l'invasion de la Russie en Ukraine, l'Irlande avait suspendu son programme de passeport doré. Il est désormais définitivement enterré.
Investisseurs étrangers : tous à Malte ?
Il y a pourtant un État qui se frotte les mains. Malte fait encore de la résistance. Les expatriés le lui rendent bien. Les demandes de visa dorées des riches américains, déjà en hausse de 447 % depuis 5 ans, pourraient connaître de nouvelles augmentations. Les Américains seraient même devenus les premiers investisseurs sur l'île de Malte, devant les Chinois et les Russes.
Le principe du passeport doré maltais reste le même : des investissements contre la résidence. Malte a développé deux Golden visa. Le premier, appelé « Citoyenneté par naturalisation pour services exceptionnels par investissement direct » offre la citoyenneté via l'investissement. Le riche étranger peut investir 600 000 euros pour avoir son passeport maltais au bout de 3 ans, ou 750 000 pour l'obtenir au bout d'un an. Le second Golden Visa se nomme « Programme de résidence permanente de Malte (MPRP) ». Comme son nom l'indique, il n'offre pas la citoyenneté, mais la résidence. L'investissement demandé est moins important : 100 000 euros.
Pour les autorités maltaises, le Golden Visa est une « assurance pour l'avenir ». Loin des polémiques autour de l'évasion fiscale, elles comptent bien tirer profit des décisions du Portugal et de l'Irlande.
Deux autres pays pourraient bien tirer avantage de la situation : l'Autriche et la Grèce. En Grèce, le ministère de la Migration enregistre un pic des demandes de Golden Visa. 2 767 passeports dorés ont été accordés en 2022, soit une hausse de 81 % par rapport à 2021. La Grèce va d'ailleurs modifier ses règles, en exigeant 500 000 euros d'investissement (au lieu de 250 000) concernant des territoires spécifiques. Ainsi, l'investissement dans les banlieues Nord et Sud de l'Attique passe à 500 000 euros. Ceci explique la flambée des demandes ; les riches étrangers souhaitant acquérir la résidence avant la promulgation de la loi.
L'Autriche pourrait également devenir le nouvel Eldorado des riches étrangers, même si les montants à investir y sont généralement plus élevés (plusieurs millions d'euros). Quelques États en résistance, pour une tendance qui semble se confirmer. Au regard de la crise internationale, les Golden Visas sont de plus en plus décriés.