![manif contre la reforme de la retraite en France](https://www.expat.com/images/upload/8/4/1/7/1681726458-manif-en-france-news_item_slider-t1681726458.jpg)
On tablait sur trois scénarios possibles : le Conseil constitutionnel rejette l'intégralité de la loi, valide l'intégralité de la loi, ou en retoque une partie. On pariait sur la troisième option, plus adéquate pour espérer regagner la confiance des Français et des syndicats. Coup de tonnerre vendredi 14 avril : le Conseil constitutionnel valide la réforme. Le président Macron la promulgue dans la nuit. Est-ce la fin des rebondissements ? Pas si sûr. Les syndicats n'ont pas dit leur dernier mot. Qu'en pensent les expatriés ? La communauté d'Expat.com nous livre ses impressions.
Réforme des retraites en France : les dates clés
C'est un feuilleton qui tient en haleine la France et le monde depuis le début de l'année. Le 10 janvier, la Première ministre Élisabeth Borne présente son projet, avec sa mesure phare : repousser l'âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans d'ici 2030. La contestation ne se fait pas attendre. Le 19 janvier, au moins 1 million de manifestants répondent présents à l'appel des syndicats (1,12 million selon le ministère de l'Intérieur, plus de 2 millions selon la CGT).
Les mois de février et mars continuent sur la même lancée, entre grèves, manifestations (dont la fameuse mobilisation du 7 mars), et passages en force du gouvernement. Le 11 mars, le Sénat vote la loi. Le 16, l'exécutif décoche l'article 49.3, qui lui permet de faire adopter son texte sans vote de l'Assemblée nationale. Le pouvoir craignait que le soutien fragile du parti de droite Les Républicains (qui adopte pourtant une vision similaire sur la question) ne lui porte préjudice. Exit donc le vote des députés. Depuis, syndicats et opposants à la réforme crient leur indignation. Ils l'affirment : la décision du Conseil constitutionnel ne les fera pas faiblir. Bien au contraire.
La réforme des retraites en France vue par les expatriés
Le Conseil constitutionnel a donc tranché. L'essentiel du projet de loi sur les retraites est validé. La demande de référendum d'initiative partagée proposée par la gauche est rejetée. Quelques dispositions – 6, précisément – sont annulées. Mais il ne s'agit que de dispositions secondaires. Le gros du projet, dont le fameux report de l'âge légal de la retraite, est passé. Le jour même (vendredi 14), les syndicats français appellent « solennellement » le président Macron à ne pas promulguer la loi. Il faut croire que le président n'a pas reçu l'appel.
Qu'en pensent les expatriés ?
Vsam, Belge résidant en France, prévient. Son avis ne risque pas de plaire : « Je sais bien que ma réponse est l'une des moins populaires, alors tirez sur le pianiste si vous en ressentez le besoin. » Mais pour lui, il faut bien rappeler les faits, et en tirer les bonnes conséquences. « Nous sommes confrontés à deux problèmes majeurs dans le monde : 1. Population vieillissante et faible taux de natalité 2. Nous vivons beaucoup plus longtemps que jamais. Nos économiques actuels courent droit vers le ravin... ». Pour Vsam, lutter contre le changement de ses « droits » est une chose, affronter les changements inéluctables en est une autre. « Si nous ne faisons rien à ce sujet, nous ferons face à la perte de nos modes de vie. Si demain il y a plus de retraités que d'ouvriers, tous les retraités paieront la facture, quel que soit leur âge. Notre système économique est porté sur les épaules des ouvriers, pas sur celles des retraités. » Et Vsam de demander. « Injuste, vous dites ? Absolument ; la maladie et les accidents aussi. »
Tout comme Vsam, SimCityAT estime que la réforme est nécessaire. Expatrié anglais en Autriche, il a vécu plusieurs années en France et compare le cas français à celui d'autres pays. « Allonger l'âge de la retraite de 62 à 64 : je ne vois vraiment pas où est le problème ! De nombreux pays ont un âge de la retraite beaucoup plus avancé. Les Français devraient donc être reconnaissants que l'âge de départ à la retraite ne soit repoussé qu'à 64 ans. S'ils le souhaitent vraiment, ils peuvent toujours prendre une retraite anticipée, tant qu'ils font attention à leur argent. »
Vivre plus, travailler plus : une évolution « dans l'ordre des choses » ?
Les expatriés s'étant exprimés sur le sujet penchent plutôt en faveur de la réforme. Ils ne la défendent pas forcément avec hardiesse, mais parlent plutôt d'une mesure objective, compte tenu de l'évolution des sociétés. Dans bien d'autres États, on part à la retraite plus tard qu'en France.
C'est ce qui fait s'étonner Roger, d'origine anglaise, qui songe à une expatriation en France. « […] 64 ans c'est encore relativement bas. Ce serait intéressant si ceux qui protestent contre la réforme des retraites indiquaient les impôts supplémentaires qu'ils paieraient pour maintenir l'âge [légal de départ à la retraite à 62 ans. » Roger sait qu'il n'aura pas de droit à la retraite en France, mais s'interroge sur « les actes destructeurs de certains prétendant protester contre le changement […] ». C'est l'autre une dont s'empare la presse internationale. Casseurs et individus au comportement violent s'infiltrent dans les manifestations. Des « violences graves » qui seraient, selon certains médias, traitées avec une « étrange compréhension », voire une « légèreté » par les politiques français et certains syndicats. Syndicats qui pointent, eux, la violence de certaines forces de police.
Si Roger comprend le mécontentement de la population, il rappelle que tout s'est fait « via un mécanisme légal », et que rien ne peut justifier « la violence et la destruction ». Et le candidat à l'expatriation d'interroger : « […] Quel pourcentage de la population veut payer plus d'impôts ? […] Je comprends qu'il est difficile de voir la retraite s'éloigner, mais la retraite à 64 ans reste une excellente affaire. » Chris oConnor, expatrié australien en France, ajoute « la retraite, c'est à 67 ans pour ceux de mon groupe d'âge, en Australie ».
Travailler plus longtemps : ceux qui disent « non »
Mais les choses pourraient justement être autrement, affirme Myrtille. La Française indique : « […] Ayant travaillé seulement 15 ans en France puisque j'ai passé la majeure partie de ma vie à l'étranger, ma retraite de France est proche de rien et je dois donc vivre hors de France. […] » Lorsqu'on évoque le vieillissement de la population, le défi démographique ou les mesures prises par d'autres pays, elle réplique : « il ne s'agit pas de comparer la France et d'autres pays. »
Pour Aaro, expatrié afghan en France, il faut au contraire comparer. Il rappelle que d'autres pays font subir à leur population des conditions de travail encore plus difficiles. Il reste cependant critique devant la stratégie de l'exécutif. « C'est du pur Macron ». Il fait ce qu'il y a de mieux « en particulier pour ses amis du monde globalisé. »
Grey Basketball est encore plus critique. L'Américain, qui envisage d'immigrer en France, comprend le désespoir des manifestants. « Les manifestations que j'ai vues ont un large éventail d'âges. Jeunes et vieux sont dans les rues, ils veulent que leur gouvernement les écoute. Les États-Unis tentent à nouveau de relever l'âge de la retraite. […] » Aux États-Unis, l'âge légal de départ à la retraite est de 62 ans, mais l'âge pour bénéficier du taux plein dépend de l'année de naissance. Dans leur course à la présidentielle de 2024, le sujet des retraites refait surface. « Bravo aux Français pour s'être levés [!] » encourage Grey. « Je pense que comme aux États-Unis, il n'y a jamais de discussion sérieuse sur la façon de faire contribuer davantage les riches [...], juste un prélèvement constant sur la classe ouvrière/moyenne. Les femmes [...] sont au bas de chaque régime de retraite. »
Retraites : le défi mondial
Qu'en est-il dans les autres pays ? D'aucuns diront qu'il n'est pas toujours possible de comparer des États aux histoires et organisations du travail différentes. Ils partagent cependant des défis démographiques et économiques similaires, des interdépendances manifestes, dans une économie mondialisée.
La retraite vue dans les autres pays
Pour l'instant, l'âge minimal de départ à la retraite en France (62 ans) est l'un des plus bas des pays de l'OCDE. C'est aussi 62 ans en Suède ou aux États-Unis. En Allemagne, au Royaume-Uni ou en Espagne, il est fixé à 66 ans, et même à 67 ans en Italie. Depuis 2013, en Corée du Sud, l'âge légal de départ à la retraite augmente d'un an tous les 5 ans. Il est actuellement de 63 ans. C'est 65 ans au Japon, où de nombreux seniors continuent de travailler. Selon l'OCDE, au Japon, 78,1 % des 55-64 ans travaillent, contre 57,2 % en France. Toujours au Japon, les 64-70 ans sont 48,4 % à travailler. Au point que le gouvernement réfléchit à faire reculer l'âge légal de la retraite à 70 ans…
Ces mesures ne risquent-elles pas d'aggraver la précarité chez les seniors ? Au Japon ou en Corée du Sud, nombre de personnes âgées travaillent par nécessité. Les pensions de retraite sont trop basses. La situation s'est même aggravée depuis la crise sanitaire (inflation, crise énergétique et économique). Pour ces seniors, le travail permet à peine de joindre les deux bouts, quand il ne dégrade pas une santé souvent fragile. En France aussi, la précarité touche une partie des seniors. Les entreprises françaises rechignent encore à embaucher des personnes âgées, d'où le faible pourcentage de travailleurs seniors. Une discrimination liée à l'âge dénoncée par les opposants à la réforme des retraites.
France : âge effectif de départ à la retraite
Et si en France, l'on partait déjà à la retraite après 63 ans ? En effet, 62 ans est l'âge légal de départ à la retraite. Cela veut dire qu'en dessous de 62 ans, on ne peut bénéficier de la pension de retraite. En mars 2023, la Caisse nationale d'assurance vieillisse (CNAV) publie ses derniers chiffres de départ effectif à la retraite : « Depuis 2004, l'âge moyen de départ des nouveaux retraités de droit direct est passé de 61 ans à 63 ans, avec des variations annuelles liées aux réformes ». Actuellement, la CNAV estime l'âge effectif de départ à la retraite à 62,9 ans en moyenne (62,6 ans en moyenne pour les hommes, et 63,1 ans en moyenne pour les femmes).
Les Français ne partent pas tous à la retraite à 62 ans. Certains partent plus tôt (retraite anticipée). D'autres, la majorité, partent plus tard pour cotiser davantage et bénéficier d'une meilleure retraite. Le président français a-t-il tablé sur la hausse de l'âge effectif de départ à la retraite ? La réforme pousse sur l'accélérateur et électrise un peu plus le climat social. Il y a 3 semaines, Macron expliquait, lors d'une allocution TV : « […] ça ne me fait pas plaisir. J'aurais voulu ne pas la faire [...] ». La réforme est faite. Il promet à présent une nouvelle explication. Reste à savoir s'il réussira à renouer le dialogue.