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Immigration en France : Les expatriés face à un débat houleux

groupe de personnes en France
Lucian Milasan / Shutterstock.com
Écrit parAsaël Häzaqle 30 Octobre 2023

Mis en sommeil ces derniers mois, le projet de loi immigration revient sur le devant de la scène dans un contexte particulièrement tendu, en France. L'émotion est toujours à son comble après l'attentat survenu dans un lycée d'Arras. Le texte, prévu pour être examiné au Sénat à partir du 6 novembre, suscite de vifs débats. Qu'en pensent les expatriés ? Décryptage et analyse.

Immigration en France : un sujet sensible ?

On pourrait s'attendre à ce que nombre d'expatriés prennent la parole. Mais la question invite à la prudence. Les étrangers qui acceptent de témoigner soulignent un climat électrique. Le phénomène n'est pas nouveau, rappelle l'un d'entre eux, qui travaille en France depuis 10 ans, « et toujours en situation régulière ». Il préfère garder l'anonymat, et regrette que « toute parole sur la question » puisse être « mal interprétée ».

Pour lui, les expatriés ne se sentent tout simplement pas concernés. « Je ne pense pas que les expats s'assimilent aux personnes visées dans le texte. Quand on dit "expat" c'est toujours quelqu'un avec ses papiers, non ? Même si rien ne dit que la personne a ses papiers... "Expatrié" signifie juste que vous avez quitté votre pays. On peut donc être expat sans papiers comme immigré sans papier. Mais les expats n'accepteront pas ça. En France, on dit toujours "le problème de l'immigration". En quoi venir en France est un problème ? Si j'enfreins la loi, bien sûr, je devrais accepter la sanction. Mais si j'arrive légalement en France, où est le problème ? »

Marie (nom modifié à sa demande) compare le Royaume-Uni, où elle résidait avant, et la France. « C'est quand même plus libre là-bas, même si ça devient de plus en plus n'importe quoi. En France, tout devient vite très grave. Bien sûr, il y a le contexte, terrible. Mais les débats politiques font des raccourcis dangereux. Maintenant, ils veulent expulser les étrangers qui ne respectent pas les valeurs de la République. Mais c'est quoi, les valeurs de la République ? Est-ce que tout le monde s'accordera sur une définition et l'interprétera de la même manière ? La France respecte-t-elle ses valeurs ? On parle plus d'expulsion que d'immigration. Mais ça n'a rien à voir. »

Loi immigration et valeurs de la République

Mercredi 18 octobre, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, expliquait que l'article 13 de la loi immigration permettrait (en cas d'adoption de la loi) de retirer le titre de séjour d'un étranger qui ne respecterait pas les « valeurs de la République ». Et le porte-parole de citer le « port ostensible d'un signe religieux » ou encore, « le refus d'être reçu par un agent de sexe opposé dans un service public ».  

Par « valeurs de la République », le ministère de l'Intérieur entend la devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » et laïcité. Les étrangers interrogés s'accordent pour dire que la loi d'un pays doit être respectée. « Sur cette base, toute personne qui souhaite s'expatrier en France (ou dans tout autre pays) devrait être consciente des conditions requises pour y vivre » et des sanctions en cas de manquement à la règle. Si obéir aux lois d'un État est la norme, rien n'empêche, pour les expatriés interrogés, de s'engager dans « la politique locale » pour que « ses opinions soient entendues. » Il ne s'agit pas de « transformer » le pays d'accueil pour qu'il devienne comme le pays d'origine, mais plutôt de participer à la vie du pays d'accueil.

Certains sondés trouvent cependant qu'il serait « dangereux » d'expulser un individu au seul motif du non-respect aux valeurs de la République. « Chacun risque d'interpréter ça à sa sauce. Le racisme existe toujours. Si ma tête ne revient pas à un juge alors que je n'ai rien fait ? Quel sort pour les Français qui ne respectent pas les valeurs de la République ? La loi ne vise que les étrangers, comme si nous étions responsables de toutes les dérives en France. On dirait qu'on veut supprimer tous les étrangers, même ceux qui n'ont rien fait de mal. »

Non-respect des valeurs de la République : la position des autres pays

L'un des expatriés interrogés rappelle que la France ne serait pas le seul pays à adopter de telles mesures : « Ça me semble tout à fait normal. C'est bien la moindre des choses pour un étranger que de respecter les lois, coutumes et modes de vie du pays qui l'accueille. [...] Il y a, par exemple, au Maroc, un article dans la loi sur les titres de séjour qui permet au Maroc de retirer le titre de séjour et d'expulser un étranger en situation régulière qui aurait un comportement pouvant porter atteinte à l'ordre public. À plus forte raison s'il est en situation irrégulière. »

Sentiments partagés par d'autres sondés, pour qui obéir à la loi fait partie de la norme. « Si vous décidez de vivre dans un pays autre que celui dans lequel vous êtes né, vous devez respecter les lois dudit pays, même si vous n'êtes pas d'accord. Les Français aussi respectent des lois auxquelles ils n'adhèrent pas toujours. » Ils rappellent que « tout voyageur sait qu'il doit obéir aux valeurs et règles du pays dans lequel il réside, sous peine d'être expulsé, emprisonné ou de devoir payer une amende. La règle est la même partout, que l'on s'expatrie en Inde, en Chine, en Europe, au Moyen-Orient... »

Réforme de la loi immigration : les craintes des expatriés

Si Marie comprend la nécessaire fermeté, elle fustige le « tout fermeté, qui conduit aux amalgames » et tempère : « il faudrait vraiment s'entendre et parler concrètement. De qui parle-t-on ? Déjà, on dit « loi immigration », mais on ne parle que des immigrés illégaux. En France, le mot a une mauvaise image alors qu'immigrer n'est pas le problème. Il faudrait aussi voir ce qui a conduit à la clandestinité, et quel rapport avec les valeurs de la République. J'ai l'impression que le gouvernement mélange tout et parle dans la précipitation. En quoi le fait de porter un signe religieux dans un lieu public, par exemple, fait de moi une ennemie de la République ? J'ai suivi les débats sur la suppression de l'abaya à l'école, et franchement, je n'ai rien compris. Je pense qu'une telle mesure est contre-productive. Au lieu de réunir les gens, on les monte les uns contre les autres. Pire : on vise une seule communauté. »

« C'est plus simple au Canada », constate un autre intervenant. Immigré en France depuis 2 ans (il a suivi son épouse, employée dans le secteur financier), il constate que « tout s'embrase vite ». Il comprend l'émoi national et en appelle aussi à « une grande fermeté envers les délinquants ». Mais il avertit contre toute forme de glissement. « J'ai été juriste. On peut hélas tordre le droit pour le faire rentrer dans notre vision. Mais c'est justement parce que les choses sont si graves qu'on devrait prendre le temps de s'asseoir. La France ne parle que de répression et met tout le monde dans un même sac. Quand va-t-elle s'asseoir pour parler de respect, de tolérance, d'accompagnement ? »

Un risque de glisser vers l'arbitraire ?

En France, les juristes alertent également le gouvernement. Ils redoutent un glissement dangereux vers une politique arbitraire et avertissent : le texte s'expose à l'anticonstitutionnalité. Ils rappellent l'exigence de prendre du recul au lieu de légiférer dans l'émotion. Mais si Olivier Véran reconnaît qu'actuellement, un titre de séjour ne peut être retiré qu'en cas d'infraction pénale, il défend un texte qui, justement, permettrait de « sortir du tout pénal pour pouvoir retirer un titre en allant sur les valeurs de la République ». Le lendemain, Darmanin réaffirme le « droit », pour l'État français, d'expulser toute personne qui ne serait « pas en conformité » avec « les valeurs de la république ». Dans le viseur du gouvernement figurent les étrangers en situation irrégulière, mais aussi régulière.

Le Canadien conjoint d'expatriée dit se sentir parfois « mal à l'aise » devant ce qu'il appelle une « stigmatisation systématique des mêmes types de personnes ». Pour lui, les débats actuels assimilent trop souvent « étranger » et « délinquant potentiel ». Il souhaiterait qu'au contraire, les atteintes à la loi soient traitées plus objectivement. « Le fait de frapper autant sur les étrangers donne l'impression que nous sommes tous des délinquants potentiels. Je dis « nous », mais je sais bien que le gouvernement vise des communautés bien ciblées. La France dit lutter contre ce qu'elle appelle le communautarisme, et en même temps, elle ne fait que cibler les mêmes communautés. Je ne comprends pas. »

Projet de loi sur l'immigration : rappel des faits

À droite toute ? Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin défend farouchement son texte et assume. Pour « protéger les Français », il n'hésitera pas à durcir la loi immigration. Pour rappel, ce nouveau projet de loi, porté par Darmanin et Olivier Dussopt, le ministre du Travail, avait fait parler de lui pour son article 3 « métiers en tension ». Présenté par les deux ministres le 2 novembre 2022, le texte prévoyait de créer un titre de séjour d'un an « métiers en tensions » pour les travailleurs sans papiers présents en France. En parallèle, la réforme rendait plus efficaces les obligations de quitter le territoire français (OQTF). C'est à la même période que « l'affaire Lola », jeune fille tuée par une ressortissante algérienne en situation irrégulière, émeut la France et oblige le ministre de l'Intérieur à expliquer son texte. Le récent drame survenu à Arras oblige une nouvelle fois le ministre à se justifier. Une justification qui passe pour lui par un durcissement du texte.

En novembre 2022, Darmanin reconnaissait que nombre d'étrangers en situation irrégulière étaient venus avec des papiers en règle. Débattu depuis début 2023, le projet de réforme de l'immigration cristallisait les tensions autour de son fameux article 3, présenté comme « le bras social » du texte : tendre la main aux expatriés en situation irrégulière, mais ayant un travail et étant bien intégrés en France. L'extrême droite fait pression pour le retrait de l'article, prédisant une « vague d'immigration illégale » en cas d'adoption du texte. La droite monte aussi au créneau.

Trouver un « compromis intelligent »

Le projet de loi revient sur le devant de la scène après l'attentat d'Arras, survenu le 13 octobre. Premier ministre à s'exprimer dans le Journal du Dimanche (JDD) après la nomination controversée du nouveau directeur Geoffroy Lejeune, journaliste et militant d'extrême droite, Darmanin se dit ouvert à de nouvelles négociations sur la question des métiers en tension. Il rappelle néanmoins au devoir de justice et d'équilibre pour les travailleurs sans papiers qui ne causent aucun trouble à l'ordre public. Le président de la République lui-même sous-entendait une possible modification du texte, dans une allocution télévisée (le 22 octobre). Pour Macron, véritable porteur du projet depuis 2017, il faut parvenir à trouver « un compromis intelligent ». D'un côté, régulariser les travailleurs expatriés en situation irrégulière. De l'autre, ne pas instaurer un « droit inconditionnel à la régularisation ». La droite y voit un pas vers de côté vers les positions qu'elle soutient.

Débats autour des « étrangers fichés S »

Une semaine après l'attentat qui a coûté la vie à Dominique Bernard, l'émotion est vive. Selon un sondage CSA paru le 18 octobre pour le journal Cnews, chaîne d'info à tendance conservatrice appartenant au groupe Bolloré (groupe qui a racheté Lagardère, propriétaire du JDD), 87 % des Français souhaitent l'expulsion des « étrangers fichés S ». Le sondage a été réalisé les 17 et 18 octobre via un questionnaire en ligne sur un échantillon national représentatif (1014 participants de plus de 18 ans).

Si les sondés sont majoritairement pour l'expulsion des « fichés S », on note une différence selon la tendance politique. Les électeurs du Rassemblement national (RN), parti d'extrême droite, soutiennent la mesure « à 100 % ». Scores quasi similaires pour les électeurs de Reconquête, autre parti d'extrême droite (97%). À droite, les soutiens des Républicains (LR) sont tout aussi nombreux (98%). Soutiens un peu moins massifs à gauche : 80 % des électeurs socialistes, 74 % des soutiens de la France insoumise et 68 % des sympathisants Europe écologie les verts (EELV) se disent pour l'expulsion des « étrangers fichés S ». Des étrangers interrogés se demandent si un durcissement de la politique est aussi prévu pour les Français fichés S. « On aimerait bien avoir aussi notre sondage. On aimerait bien être entendus. La loi parle de nous, mais sans nous laisser la parole. »

Qu'est-ce que la « fiche S » ?

Depuis sa médiatisation, la fiche S (pour « sûreté de l'État ») fait l'objet de nombreuses spéculations. Crée en 1969, il s'agit en fait d'un outil de travail appartenant au vaste fichier des personnes recherchées (FPR). Au total, le FPR contient 21 catégories, dont les fiches V (évadés), T (débiteurs envers le Trésor) ou les M (mineurs en fugue). Les personnes « fichées S » font l'objet d'une simple surveillance, et non de mesures systématiquement coercitives.

Il est donc possible d'être fiché pour tout autre chose que le terrorisme. La fiche S, souvent mise en lien avec les attentats terroristes ces dernières années, ne se limite d'ailleurs pas à ces attentats, mais a bien trait à tout ce qui concerne la sûreté de l'État. Le Sénat français rappelle que la fiche S n'est pas « un « fichier » de renseignement recensant l'ensemble des personnes considérées comme dangereuses », mais « un outil facilitant la collecte dudit renseignement ».

Il sera sans doute difficile pour le gouvernement de débarrasser la fiche S des idées fausses qui l'entourent. Tout comme il lui sera difficile de faire passer son projet de réforme. De son propre aveu, obtenir la majorité ne sera pas chose aisée. Mais pas question de passer par le 49-3. C'est du moins le souhait de Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale. L'article 49-3 permet au gouvernement de « passer en force » pour faire voter un texte de loi. Reste à attendre l'accueil que recevra le texte. Premières réponses en novembre, avec l'examen du Sénat.

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A propos de

Titulaire d'un Master II en Droit - Sciences politiques ainsi que du diplôme de réussite au Japanese Language Proficiency Test (JLPT) N2, j'ai été chargée de communication. J'ai plus de 10 ans d'expérience en tant que rédactrice web.

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