Rendez-nous nos arbres!
J'ai récemment voyagé dans plusieurs villes du centre et du nord du Maroc: Tanger, Fès, Sefrou, Meknès, Kenitra, Rabat. Partout le même constat, on enlève des arbres qui ont trente ans ou plus pour les remplacer par des palmiers. Certaines entrées de ville me font penser au Caire ou à Bangkok selon le type de palmier choisi.
Depuis une dizaine d'années, les décideurs semblent s'être donnés le mot: municipalités, promoteurs, chaînes de supermarché ou encore agences bancaires, tous pratiquent la monoculture du palmier. Exit les arbres qui faisaient le charme et la signature visuelle de nos villes comme les ficus (centre-ville de Kenitra et de Mohammedia), les orangers (un quartier de la capitale porte leur nom), les pins (la Pinède de Rabat), les platanes (Fès), les cerisiers (Sefrou). Si vous jetez un coup d'œil sur votre rue à l'instant, il y a de grandes chances que vous aperceviez le tronc fruste et monochrome d'un palmier du Mexique (Washingtonia Robusta pour les érudits) ou la couronne monotone d'un palmier Cocos.
J'ai vu à Fès des entrepreneurs irresponsables défricher une ferme d'oliviers pour y bâtir une concession automobile hideuse encerclée par des palmiers géants. La même catastrophe se répète aux abords de Meknès où on a installé un complexe de loisirs aquatiques qui fait un bras d'honneur à l'écosystème local en plantant toute sorte de palmiers qui rappellent plus Miami que le Saïs. A Rabat, aux abords du Golfe de Dar Essalam, on construit un hôtel de luxe et un grand soin a été donné au défrichage des chênes liège et à leur remplacement par des palmiers du désert. Du délire. Il aurait fallu au contraire protéger la forêt - un héritage de nos ancêtres - et planter 10 chênes pour chaque arbre abattu. Je n'innove pas ici, je ne fais que partager des pratiques en cours dans tous les pays sérieux, ceux qui obligent les promoteurs à compenser les dommages infligés à l'environnement. Rassurez-vous: dix plants de chêne-liège, de pins ou de caroubiers ne coûtent pas grand-chose.
Mon goût importe peu à vrai dire, ce qui doit interpeller c'est le mouvement général de remplacement de la flore marocaine, riche et diverse, par une espèce unique. Il m'est difficile de l'expliquer tant ces plantes sont étrangères au Maroc et à ses écosystèmes. Est-ce une admiration tenace pour la couverture végétale de Dubai ou Djeddah? Ou un hommage mal-dissimulé à Punta Cana, destination touristique à la mode?
Ce qui est sûr est que ce phénomène se produit au pire moment, il survient après vingt ans de dévastation systématique des zones humides, des fronts de mer et des terres agricoles. L'alliance monstrueuse entre promoteurs, élus municipaux et pouvoirs publics a donné carte blanche aux destructeurs pour dévaster les jennane de Fès, les vergers et champs de menthe de Meknès, la forêt de Tanger sans oublier la Maamora meurtrie en plusieurs points comme à Tamesna, Bouknadel et Sala Al Jadida. A ce rythme, pommiers, amandiers, citronniers auront totalement disparu de notre vue comme de notre imaginaire. La laideur deviendra le dénominateur commun de nos villes. On n'est déjà plus dépaysé quand on se rend d'une ville à l'autre tant la dévastation a fait naître les mêmes paysages secs et bouchés.
Une main invisible semble commander le remplacement de nos paysages par des kilomètres carrés de ciments et de goudron agrémentés ça ou là par des palmiers chétifs. On se débarrasse de la couverture végétale traditionnelle, celle qui nourrit par ses fruits, abrite les oiseaux, filtre l'eau de pluie et maintient la température dans une fourchette acceptable. Un pin parasol, un peuplier ou un olivier permettent de réduire de dix degrés la température ressentie par les piétons au cœur des villes, une prouesse naturelle qu'un palmier n'atteindra jamais.
Un minimum de culture aurait commandé aux planteurs compulsifs de palmiers d'abandonner leur addiction et de considérer d'autres espèces. Puisque cette conscience n'est pas à l'ordre du jour, il reste plus qu'à leur rappeler les commandements des textes sacrés, Coran et Sunna, qui citent nommément oliviers, figuiers, palmiers dattiers, grenadiers et acacias. Puisse la peur de l'Au-Delà les raisonner et les convaincre de planter des arbres dignes des paysages légués par nos ancêtres.
Driss Ghali
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